Accueil Economie Supplément Economique Réduction des Inégalités sociales et efficacité économique : Quelle potion magique pour y parvenir ?

Réduction des Inégalités sociales et efficacité économique : Quelle potion magique pour y parvenir ?


Le problème des inégalités est international. Même dans les pays les plus égalitaires, le sentiment d’injustice sociale s’exprime par les remous et les protestations. En Tunisie, les experts tirent la sonnette d’alarme sur la situation des inégalités sociales qui ne cessent de se creuser depuis la révolution.


«Le peuple du 17 décembre 2010 n’a pas eu, jusqu’à aujourd’hui, ni gain de cause ni bénéfices du processus révolutionnaire. Par contre, le peuple du 14 janvier a gagné la rupture du contrat politique sans que la rupture du contrat social ait eu lieu dans notre pays. Et quand on dit contrat social, on pense à toutes les inégalités possibles et imaginables», a lancé le directeur de Sigma Conseil, Hassen Zargouni, durant la dernière édition des Rencontres de Tunis de l’année 2019, qui a été organisée jeudi dernier, 12 décembre, conjointement par le bureau d’études Sigma Conseil et la fondation Konrad Adenauer Stiftung KAS.

L’événement était sur le thème «Pour une économie inclusive et compétitive». D’éminents professeurs universitaires et chercheurs en matière de politiques économiques publiques ont été présents pour débattre du thème de la dualité efficacité économique et justice sociale. L’événement était également une occasion pour présenter les résultats de l’enquête «Pour une économie inclusive et compétitive», réalisée conjointement par Sigma Conseil et la fondation KAS.

Inégalités monétaires et non monétaires
Abordant brièvement le problème des inégalités en Tunisie, M. Zargouni a souligné, dans son allocution d’ouverture, que la justice sociale est une condition sine qua non pour l’instauration de la stabilité dans le pays. «Si nous n’arrivons pas à résoudre le problème des inégalités, le pays ne sera jamais stable, nous n’aurons jamais cette cohésion nationale», a-t-il affirmé. Pour illustrer l’ampleur et la complexité des inégalités sociales qui existent dans le pays, l’ingénieur statisticien a évoqué l’exemple d’une fille diplômée de l’enseignement supérieur, qui a suivi des études en sciences humaines ou sociales, et qui est, de surcroît, issue d’un milieu populaire, notamment rural.

La chance qu’a cette fille de ne pas trouver d’emploi est égale à 80%. «Dans la description de cette fille-là, il y a plein d’inégalités, en l’occurrence, des inégalités monétaire, genre qui n’est pas souvent conscientisée, et sociale étant donné qu’elle vient d’un milieu difficile et, par conséquent, elle n’a pas les réseaux et les connexions pour décrocher un poste d’emploi», a expliqué M.Zargouni. Et d’ajouter que le choix d’axer les politiques publiques économiques sur l’exportation favorise ces inégalités, dans la mesure où, fatalement, les zones littorales en bénéficient le plus. «Après l’Indépendance, le commerce a été divisé en deux. Vous savez, l’indice de développement humain au Nord-Ouest est l’indice le plus bas. Il est équivalent à la moyenne malienne», a souligné M. Zargouni. Il a précisé, dans le même contexte, que le problème des inégalités est international. La crise sociale que vit le Chili, malgré les taux de croissance élevés réalisés, prouve que la croissance ne veut pas dire forcément développement, soutient-on. Elle peut même être un facteur de creusement des inégalités. Par ailleurs, le directeur de Sigma Conseil a expliqué, indice de Gini à l’appui, que plus les institutions de l’Etat sont présentes, plus l’écart entre les inégalités est faible.

Pour un modèle de croissance qui favorise la justice sociale
S’exprimant sur les racines des inégalités sociales, le Pr en économie, Mongi Boughzala, a souligné que, selon une théorie économique, la plupart des gens héritent de leur mérite. «Le mérite ne s’acquiert pas grâce seulement aux efforts personnels mais, en bonne partie, il se transmet. Il dépend énormément du milieu dans lequel où on est né et élevé. Ceux qui sont nés dans des milieux éduqués et relativement aisés vont être plus méritants. Partant, encourager l’effort n’est pas seulement une question personnelle. Ce qui nous mène à l’obligation de ne pas confondre inégalités avec injustices», a-t-il expliqué.

Pr Boughzala a précisé que les statistiques mondiales entre les années 60 et 90 ont démontré d’une façon claire et nette la fonction décroissante entre inégalité et croissance : les pays où il y a plus de croissance, il y avait plus d’inégalité. D’où l’impératif d’une croissance inclusive.
Pour le professeur émérite Azzem Mahjoub, la question de justice sociale est aujourd’hui centrale et à l’ordre du jour partout dans le monde. Il a, à cet effet, mis en garde contre les répercussions, notamment sociales d’une éventuelle continuité dans le temps de cette situation d’injustice et d’inégalités. «Si vous regardez ce qui se passe dans plusieurs pays, comme la France, le Soudan, le Liban ou encore le Chili… Vous allez vous poser la question pourquoi les peuples sont en colère et se mettent à se révolter. Ce grand tumulte, ces révoltes, quel que soit le motif de l’étincelle du départ, traduisent au fin fond des choses un sentiment d’injustice qui est d’une réalité vécue dans le concret.

Ce sont les inégalités qui le suscitent. Ces mouvements anti-systémiques remettent en cause, à des degrés divers, le système politique auquel est adossé le système économique», a noté Mahjoub. Il a précisé que l’investissement dans l’éducation préscolaire et la prise en charge de la santé maternelle et infantile constituent les premiers gages pour assurer l’égalité des chances, compte tenu de leur importance dans le cursus des enfants. «Si nous faisons des investissements publics de masse sur ces fondamentaux, la Tunisie décollera. C’est ça la distribution des richesses», a-t-il conclu.


Forte perception du creusement des inégalités sociales
Les résultats de l’enquête «Pour une économie inclusive et compétitive» ont démontré, en somme, une forte perception de la dégradation de la situation économique et un creusement des inégalités sociales durant les 5 dernières années. En effet, plus de 66% des enquêtés considèrent que leurs situations économiques sont mauvaises. Plus de 60% des Tunisiens ont déclaré que le fossé entre les classes sociales s’est creusé davantage durant cette même période. Plus des deux tiers d’eux sont des universitaires. Ce qui prouve que cette perception de paupérisation est plutôt élevée chez la population éduquée. Environ 20% des enquêtés ont déclaré que le fossé entre les classes sociales s’est rétréci. Plus de 65% des répondants se déclarent comme faisant partie de la classe moyenne, contre près de 33% qui se déclarent comme appartenant à la classe pauvre. Plus de 88% des enquêtés ont affirmé que la crise économique par laquelle passe le pays a impacté leurs vies personnelles.


 

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