Le secteur de l’habitat est un domaine de convergences des flux contradictoires de développement, il se situe entre les activités productrices et de développement urbain et entre les tendances spéculatives de placement et de financement.
D’après le consultant et expert international en économie Hafedh Zaafrane, ce secteur «est aussi à la confluence de deux écoles en matière de politiques de développement: il est considéré par certains comme le moteur de la croissance par excellence et par d’autres comme un secteur social résiduel et une tare budgétaire à gérer».
L’étude sur la nouvelle stratégie de l’habitat en Tunisie, publiée en 2014, montre que ce secteur dégage une valeur ajoutée de près de 3 milliards TND représentant environ 4% du PIB (2013).
Cette stratégie fait ressortir un excès de logements par rapport aux ménages, un déficit de production de logements abordables par rapport aux besoins sociaux. Ces deux facteurs ont engendré la dégradation du cadre de vie et une prolifération de l’habitat informel.
D’après le consultant Mohamed Haddar, la production immobilière des promoteurs publics est en nette régression. En effet, la production de la Snit a atteint 580 mille logements entre 2008 et 2013. Pour la Sprols, la production est fixée à 150 mille logements durant la même période.
Concernant l’AFH, elle a acquis, depuis sa création en 1973, une grande expérience en matière d’acquisition foncière, ayant rendu des services de qualité avec des prix de vente moins élevés que les prix du marché.
Toutefois, son offre est limitée avec 77.321 demandes, soit une moyenne annuelle de 1920 lots, ses cycles de production sont longs, sa mobilisation du foncier se réduit considérablement.
L’Agence foncière de l’habitat a enregistré, par ailleurs, un surplus (excès) d’environ 600 mille logements par rapport aux ménages et un déficit d’offre abordable (logements et terrains en milieu urbain surtout en grandes agglomérations) pour les classes moyennes et de faible revenu. Ce déficit est comblé par une prolifération de logements informels et insalubres et de quartiers anarchiques.
Déficit d’offre en logements sociaux
Le secteur de l’habitat a enregistré un déficit d’offre en logements sociaux par le secteur informel. En effet, la production informelle (2008-2013) a atteint 50 mille logements par an, soit 1,5% par les opérateurs publics, 19,7% par les promoteurs privés et 78,8% par les ménages.
Concernant les logements sociaux, le taux de production total s’élève à 1,6%. Ce déficit est couvert par une prolifération de l’habitat anarchique (30 mille logements /an) et 15 à 20% du parc des logements selon les régions et les communes, et par un étalement des villes.
Le déficit d’accessibilité des couches de faible revenu, surtout dans les grandes agglomérations, est dû à l’augmentation vertigineuse des prix (coûts) depuis mi- 2000. La majorité des couches sociales (en général pauvres) ne dispose pas de revenus réguliers et se trouve exclu du crédit bancaire classique (absence de garanties). En effet, une grande partie de cette population ne peut bénéficier des aides de l’Etat, à l’instar du Programme Foprolos, destiné à soutenir les salariés. Dans le Grand-Tunis, la classe moyenne est également touchée par le déficit d’accessibilité (coût / revenu).
En somme, les trois principales problématiques de l’habitat social s’articulent autour du déficit de l’offre foncière, handicapant la production et l’accès à l’habitat, la rigidité de la réglementation urbaine favorisant la spéculation foncière par la complexité des instruments et des procédures bureaucratiques. À ceux-ci s’ajoute la capacité déclinante de l’Etat et des institutions publiques liée à l’absence de politique de réserves foncières (raréfaction du foncier public), le manque de capacité d’adaptation des opérateurs publics à l’évolution du marché de l’habitat…
Par ailleurs, la vision esquissée par le ministère du tutelle repose sur la multiplication de la production de logements en favorisant la maîtrise des coûts et le développement d’une offre diversifiée afin d’améliorer l’accessibilité à toutes les couches en rendant la demande sociale solvable (terrains viabilisés, logement en propriété, location ou location-vente). Il s’agit, en fait, d’élargir l’accès aux crédits aux ménages de faible revenu, améliorer l’efficacité des actions de l’Etat et le ciblage de ses aides, réduire le développement informel et l’étalement urbain, améliorer la qualité de l’habitat existant et maintenir une offre foncière adéquate (constitution de réserves, partenariat public-privé, instruments d’urbanisme plus adéquats). En outre, le consultant Mohamed Haddar appelle à la mise en place d’une stratégie foncière visant à constituer des réserves foncières selon une vision prospective et multisectorielle, anticiper et limiter l’action des spéculateurs. Il s’agit en outre d’optimiser l’assainissement de l’assiette foncière, en favorisant la transparence du marché foncier, la mise en place d’un système d’information foncière accessible aux différents acteurs publics et privés et la révision de la fiscalité foncière afin de réduire la rétention des terrains par les acteurs privés.