Accueil Société Interview avec elyès felfoul, responsable du world innovation summit of education (wise): « Un monde éduqué est un monde plus juste »

Interview avec elyès felfoul, responsable du world innovation summit of education (wise): « Un monde éduqué est un monde plus juste »


Récemment se tenait, à Doha, le World Innovation Forum of Education, assises internationales de tout ce qui se fait, se pense, se conçoit et s’imagine en matière d’éducation. 3200 participants, des chefs d’Etat, des ministres, des experts, des sommités du domaine, des journalistes, des stars engagées, participaient à cette rencontre dont on célébrait le dixième anniversaire.
Pour orchestrer tout cela, des centaines de panels, tables rondes, conférences, workshops, une organisation imparable, dont la fluidité, la précision, la rigueur étonnaient. Aux commandes de cette formidable machine, un jeune Tunisien à la redoutable et discrète efficacité. Nous avons voulu en savoir plus. Elyès Felfoul, jeune Tunisien des autres rives, a quitté la Tunisie à l’âge de douze ans pour suivre ses parents au Canada. Très actif dans la société civile, il est entré très jeune en politique, et à 23 ans il faisait déja partie du cabinet du ministre de la justice, le suivant quand il devint vice-premier ministre. Puis, changeant d’orientation, et de secteur d’activité, il choisit la finance, avant de décider de reprendre ses études, et d’entreprendre un diplôme de Sciences Po initié par Harvard…. à Singapour. A la fin de ce diplôme, Elyès Felfoul s’offre une année sabbatique, voyage en Chine, en Malaisie, au Cambodge, en Indonésie. Puis, il est recruté par la Qatar Foundation comme chef de cabinet du CIO du World Innovation Summit of Education, initiative lancée par la fondation, qui célébrait cette année son dixième anniversaire. Entretien


Aujourd’hui que les lumières se sont éteintes, que les micros ont été rangés, que les conclusions ont été tirées, que pouvez- vous nous dire de cette dixième édition du Wise ?
Les lumières ne s’éteignent jamais sur Wise ! Wise est une plateforme globale dont la mission est de faire avancer l’innovation dans l’éducation. C’est une mission qui ne peut se permettre aucun répit! Et aujourd’hui encore, 10 ans après la première édition de Wise, force est de constater que l’urgence de repenser l’éducation, partout dans le monde, est bien réelle.
Aussi, au-delà du Sommet, qui permet aux penseurs et innovateurs les plus influents de réfléchir ensemble à l’avenir, Wise porte un mouvement international qui accompagne les entrepreneurs sociaux de l’éducation au jour le jour.
Notamment, Wise met en œuvre une série de programmes qui soutiennent différents types de projets : de l’Accélérateur destiné aux start-ups de la EdTech aux Wise Awards qui récompensent chaque année 6 entreprises éducatives, en passant par le programme dédié aux jeunes leaders de l’éducation.
Par ailleurs, Wise publie tous les deux ans une dizaine de rapports de recherche, en partenariat avec les institutions éducatives les plus réputées au monde (Oxford, Babson College, Innovation Unit ou Institute of International Education). Pour revenir au Sommet, nous sommes extrêmement satisfaits du succès de cette édition. Je pense que le thème de l’année : «Désapprendre, réapprendre : ce qui nous rend humain » a permis de rassembler les expertises les plus variées et complémentaires (économistes, artistes, intellectuels, professeurs, entrepreneurs, décideurs…) pour composer une vision à la fois réaliste et souhaitable du monde.
Enfin, nous avons cette année donné beaucoup plus de place aux participants qui ont proposé eux-mêmes des sujets de débat et sont devenus acteurs du Sommet. Ils ont pu partager leurs histoires, présenter les challenges de leurs organisations et sourcer des solutions, ou pitcher des projets innovants (notamment avec les sessions «Hear My Story»).
Nous pensons qu’aujourd’hui ce qui fait le succès de Wise c’est notre capacité à fédérer les personnalités et les projets les plus novateurs ayant l’ambition de faire progresser l’éducation.
Wise, c’est un véritable bouillon de cultures dans lequel se développent les idées et qui accélère le changement pour bâtir les sociétés de demain.

La précédente édition se tenait au cœur de la tempête agitant les pays du Golfe. Elle a néanmoins connu un fort taux de participation. Celle-ci le dépasse largement. A quoi l’imputez-vous? Peut-on dire, comme cela a été le thème d’une conférence tenue quelques jours plus tard, que l’embargo serait un «bienfait déguisé» ?
C’est une année record en effet en termes de participation. Nous avons accueilli plus de 3200 participants venant de 110 pays dans le monde et plus de 800 élèves et professeurs des écoles de Doha. Ces acteurs sont en quelque sorte le noyau dur de notre communauté qui rassemble plus de 35 000 personnes dans le monde, toutes parties prenantes de la transformation de l’éducation.
Ce qui est sûr c’est que la cause de l’éducation et la volonté d’en faire l’outil de réconciliation des peuples et de la pacification du monde dépasse les enjeux géopolitiques. Une vingtaine de ministres étaient présents cette année, et c’est pour nous la preuve que la mobilisation politique est continue.

Comment, qui, et en fonction de quels critères choisit-on le thème ? Les participants ? Les problématiques?
Le thème et les différents sujets abordés pendant le Sommet sont le fruit d’un effort de concertation sur plus de 18 mois. Depuis la dernière édition de Wise, nous avons organisé à Doha plusieurs ateliers avec la communauté locale et internationale pour identifier les sujets de préoccupation en matière d’éducation et définir les angles et formats les plus pertinents.
A travers nos événements régionaux également, au Ghana, New York et Paris, nous avons aussi identifié les problématiques les plus prégnantes en Afrique, en Europe et sur le continent nord-américain.
Enfin, le dialogue permanent avec notre communauté, que nous entretenons par des rencontres lors de nos déplacements, ou des échanges sur les réseaux sociaux (via nos Tweeter Chats, nos webinars ou appels à contribution) nous permettent d’être constamment à l’écoute des tendances partagées par notre communauté.
S’agissant des participants, Wise veille à rassembler un écosystème d’acteurs reposant sur un équilibre géographique, sectoriel et paritaire entre hommes et femmes. C’est pourquoi la participation au sommet est soumise, pour partie, à candidature. Nous faisons aussi en sorte de prendre en charge entièrement la venue de certains acteurs de pays en développement dont la présence est indispensable pour l’intérêt et la cohérence des débats mais qui n’auraient jamais pu faire le voyage autrement.
Pour intégrer davantage le grand public, nous avons également lancé un grand événement porté par 50 partenaires locaux : les Doha Learning Days. Ces rencontres ont permis aux parents et à toute la communauté locale de faire l’expérience de Wise et de s’immerger pendant une semaine dans un véritable festival de l’éducation.

On a pu reprocher à cette édition de pécher par excès, et d’être trop dense. Qu’en dites- vous ?
Oui, c’est une remarque que l’on entend souvent ! Notre programme est très riche mais c’est ce qui permet à chacun de suivre les sessions qui l’intéressent le plus.
Je comprends qu’il peut y avoir un peu de frustration d’avoir parfois à choisir entre plusieurs débats mais nous veillons aussi à ce que nombre de sessions se déroulent dans le Majlis, le cœur du Sommet. Cela permet aux participants de converger tous au même endroit et de rencontrer les intervenants en dehors de leurs panels.
Cette richesse est aussi ce qui fait notre valeur : être capable de parler de tous les sujets à tout le monde et que chacun se sente impliqué, concerné par les discussions qui se tiennent à Wise.

Où aura lieu le prochain Wise et pourquoi ?
Le prochain Wise aura lieu en Colombie. WISE@Colombia se déroulera à Bogotá et Medellín, la semaine du 18 mai 2020. C’est la première fois que Wise organise un forum régional en Amérique Latine, mais compte tenu de la vitalité de l’écosystème de l’innovation en Colombie et de l’étendue de notre communauté dans cette région, il était naturel de s’y rassembler.
Je pense par exemple à Vicky Colbert, fondatrice d’Escuela Nueva et Lauréate du Wise Prize en 2013 ou à la fondation Pies Descalzos créée par la chanteuse Shakira, ainsi qu’à une série de projets soutenus par Wise ces dernières années.
En outre, il nous semblait très intéressant de poursuivre notre réflexion sur ce qu’il faut désapprendre et réapprendre en venant nous immerger dans des villes aussi résilientes que Bogotá et Medellín, devenues des modèles aujourd’hui.
Medellin est internationalement reconnue comme l’une des villes les plus innovantes après avoir été l’une des plus violentes. Cette transformation a été rendue possible par une volonté politique forte mais aussi par l’engagement des citoyens. Ensemble, ils ont désappris la culture de la violence et ont réappris le vivre-ensemble autour d’un socle de valeurs communes et choisies, dont le ciment est l’éducation. Les habitants de Medellín ont récemment désigné la mairie comme l’institution la plus à même de résoudre les problèmes et de relever les défis de la ville. A l’heure où les citoyens ont plutôt tendance à se méfier des institutions, c’est une leçon intéressante !
Nous envisageons ce Wise comme la prolongation de notre réflexion sur ce qui nous rend humains et nous espérons en tirer des enseignements pour l’ensemble de notre communauté.

Concrètement, quelles sont les retombées de cette rencontre ?
D’abord, nous avons constaté qu’un Sommet comme Wise est fondamentalement utile aux participants. Lorsque l’on regarde le nombre de messages échangés sur la plateforme, on se rend compte de de la valeur des opportunités de networking que l’on offre au public. Près de 6000 conversations ont eu lieu sur l’app pendant les deux jours du Sommet, plus de 13.000 messages ont été échangés, ayant donné lieu à 320 «braindates», ce networking augmenté qui connecte les participants selon leurs expertises et centres d’intérêts.
Wise, c’est aussi un formidable coup de projecteur sur les plus grands innovateurs et penseurs de l’éducation. Je pense notamment au Lauréat du Wise Prize, Larry Rosenstock, qui a passé sa vie à faire tomber les barrières, entre les disciplines, les classes sociales ou les «races», pour permettre à tous de réussir. Nous espérons que son parcours et son succès en inspireront beaucoup.
Nous avons également infusé la communauté locale de toutes les meilleures idées et pratiques en matière d’éducation. Nous avons même inspiré un MOOC du Centre de Recherche Interdisciplinaire de François Taddéi sur la « planète apprenante », basé sur de nombreux projets et personnalités présents au Sommet.
Nous avons organisé une série de tables-rondes pour des publics spécifiques et notamment dans la EdTech où nous avons permis à une série de start-ups de pitcher leurs projets à des investisseurs.
Il est encore tôt pour savoir si des collaborations se dessineront suite à cela, mais nous en sommes convaincus, nous avons fait progresser la cause de l’éducation dans cette édition !
Wise est en passe de devenir un véritable hub pour l’innovation dans l’éducation. Parce qu’un monde éduqué est un monde plus juste, plus heureux et pacifié, notre mission est véritablement d’étendre ce mouvement qui génère et favorise des solutions innovantes ayant le potentiel de transformer l’éducation et l’apprentissage.

Charger plus d'articles
Charger plus par Alya HAMZA
Charger plus dans Société

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *