Accueil Culture «Les misérables» de Ladj Ly, actuellement sur nos écrans: Les mauvais cultivateurs font les mauvaises graines

«Les misérables» de Ladj Ly, actuellement sur nos écrans: Les mauvais cultivateurs font les mauvaises graines


Le dernier film de Ladj Ly, «Les Misérables», est actuellement sur nos écrans. Il représentera la France aux Oscars. Une facture peu habituelle au cinéma français et qui se situe entre Spike Lee et Victor Hugo.


Voici une bonne dose d’adrénaline peu habituelle au cinéma français et, à notre sens, elle est la bienvenue tant ce genre de sujet nécessite un traitement assez «secouant» pour lever le voile sur une situation bouillonnante d’une France qui a du mal à contenir parfois son «surcommunitarisme». Un surcommunitarisme qui constitue autant d’îlots de pouvoirs qui échappent à l’Etat. Un film social mais aussi politique puisqu’il dresse une cartographie de la France où les islamistes, les Gitans, les Africains ont des zones d’influence. Une cité où même la police entre dans les combines et semble avoir du mal à trouver sa place. Le film est d’une très bonne facture du reste dans son écriture, dans le rythme de son montage où chaque plan semble avoir été dosé et mis à sa juste place. Même si on démarre sur le cliché du flic qui débarque dans une nouvelle équipe et qui tente d’apprendre ce qui se passe dans le quartier, on est vite happé par la force du récit et le jeu des personnages filmés de  près mais aussi par un dialogue très fignolé et qui introduit une note d’humour là où il faut.  Un film où tout est bien ramené et sans fioritures. En voici le synopsis

«Stéphane, tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade anti-criminalité de Montfermeil, dans le 93. Il va faire la rencontre de ses nouveaux coéquipiers, Chris et Gwada, deux “bacqueux” d’expérience. Il découvre rapidement les tensions entre les différents groupes du quartier. Alors qu’ils se trouvent débordés lors d’une interpellation, un drone filme leurs moindres faits et gestes».

En fait, «Les Misérables» de Ladj Ly (Français d’origine malienne) raconte l’histoire vraie d’une bavure policière qu’il a documentée à Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, en 2008. A l’époque, le futur réalisateur fait ses armes avec les vidéastes urbains de Kourtrajmé. Un film autobiographique lorsqu’on sait que le réalisateur a été condamné à 400 euros d’amende pour des «commentaires outrageants» à l’encontre de policiers dont il avait filmé une intervention violente et publié les image en ligne. Des violences policières qui ont inspiré le réalisateur pour écrire ce film. Un film autobiographique également puisqu’il épouse le point de vue de la communauté noire qui vit dans ces banlieues déshéritées et lugubres et qui servent de théâtre à toutes les émeutes qui ont secoué la France. Des misérables qui, plus d’un siècle après Victor Hugo, continuent à l’être! La seule chose qui a changé, semble dire le réalisateur, c’est que Gavroche et Cosette ont aujourd’hui une nouvelle couleur de peau. Le premier plan du film est celui d’un enfant noir qui porte sur les épaules le drapeau français pour rejoindre l’immense foule qui s’est rassemblée sur les Champs Elysées afin de fêter la victoire de l’équipe de France de football en 2018. Du coup, le réalisateur tisse un lien dans la tête du spectateur et nous installe dès le début dans la France des immigrés et des différences de couleurs de la peau. Ici, la couleur de la peau noire renvoie aux couleurs de l’équipe qui représente le drapeau tricolore et qui a honoré le pays. L’Africain et l’immigré maghrébin représentent la France dans son visage le plus offert au monde : sa victoire lors de la Coupe du monde.

Le Gavroche dans cette histoire n’est autre qu’un enfant d’origine africaine qui a filmé une scène par son drone où les policiers commettaient une bavure, les trois autres personnages africains sont ceux d’un maire combinard louche et manipulateur, pour la première fois un Africain salafiste, ce qui rompt avec l’image du Maghrébin qui représente toujours cette catégorie. C’est cette image filmée par le drone qui a ébranlé les policiers et fait basculer le film vers un rythme plus saisissant. «Les Misérables» met également l’accent sur la capacité de l’image à révéler la vérité. Qui a le pouvoir de l’image aujourd’hui, l’Etat ou la rue ? Tout le monde se met en branle et recherche cet adolescent qui a le pouvoir de l’image, celui qui a filmé avec son drone, celui qui avait le «regard de Dieu» grâce à ce gadget magique qui voit tout à partir du ciel. Dans le film, le pouvoir est détenu par ce Monsieur Tout-le-Monde (qu’on sous-estime souvent) qui filme sa vie et son quartier même si ses images se situent entre le voyeurisme et la dénonciation.

Ladj Ly fait appel à l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la littérature française «Les Misérables», écrit par un Victor Hugo au sommet de sa conscience politique pour dire que cette situation est toujours d’actualité et est toujours à l’origine des plus grandes émeutes. C’est d’ailleurs avec une citation de Victor Hugo :«Il n’y a pas de mauvaises graines, il n’y a que de mauvais cultivateurs» que le réalisateur clôt son film. Un Etat qui crée des marginaux et des laissés-pour-compte finit toujours par avoir des surprises sanglantes.

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