Le chef de gouvernement désigné acceptera-t-il d’introduire à son équipe gouvernementale déjà soumise au Parlement les rectifications qu’on lui demande ou qu’on cherche à lui imposer ? La question suscite un débat politique et constitutionnel qui tient en haleine l’opinion publique entre ceux qui se mobilisent pour arracher la confiance des députés en faveur du gouvernement Jemli (même si certains de ses membres seront remerciés aussitôt l’aval des députés acquis) et ceux qui interprètent la Constitution à leur façon, dans le but de faire tomber l’équipe Jemli avant même que le Parlement ne dise son mot
On l’a déjà prédit : la semaine allant du vendredi 3 au vendredi 10 janvier 2020, jour fixé pour la tenue de la séance plénière à l’ARP consacrée au vote de confiance sollicité par le gouvernement Habib Jemli de «compétences indépendantes des partis politiques» sera fertile en révélations, en analyses, en supputations, en pronostics et en explications à caractère constitutionnel aussi contradictoires les unes que les autres.
Une dynamique réflexive dont l’objectif paraît double: donner raison, d’une part, à Habib Jemli et chercher à mobiliser le maximum de forces politiques et civiles afin que son équipe ministérielle obtienne la confiance des députés au cas où la séance plénière prévue vendredi prochain serait tenue à la date fixée (on parle de l’éventualité de la reporter au 13 janvier, soit un jour avant l’expiration, le lendemain, le 14 janvier, du délai constitutionnel et le passage obligé à l’option dite «Le gouvernement du président».
D’autre part, la même dynamique de débats et d’échanges s’est fixée pour objectif de tout faire pour que le gouvernement Jemli ne parvienne pas à obtenir l’aval des députés et de faire en sorte que le chef de l’Etat prenne le relais comme le prévoit la Constitution pour peut-être doter le pays d’un gouvernement avant qu’il ne soit trop tard et que l’on se trouve face à l’obligation constitutionnelle — faut-il le rappeler — de recourir à la dissolution du Parlement et à l’organisation d’élections législatives anticipées.
Mais bien avant d’arriver à cette hypothèse que l’ensemble du paysage politique représenté actuellement au palais du Bardo redoute et que les composantes essentielles de la société civile (Ugtt, Utica, Utap, etc.) cherchent à éviter, l’on assiste à une mobilisation générale de la part des acteurs politiques les plus influents sur la scène nationale, en particulier Ennahdha, le parti qui assume, en premier lieu, la responsabilité de faire réussir le gouvernement Jemli — même s’il affirme avoir des réserves sur certains de ses membres —, l’objectif commun étant, y compris pour les partis qui ne figurent pas au sein de l’équipe ministérielle déjà soumise au Parlement, d’éviter le pire, c’est-à-dire recourir à de nouvelles législatives dont personne n’est en mesure de prédire les résultats qui pourraient révéler «un tsunami» plus dévastateur que celui dont ont accouché les législatives du 6 octobre dernier.
La voie de la raison et du dialogue ?
Hier, on a assisté à une campagne de sensibilisation, de «bons conseils» et d’encouragement à choisir la voie de la raison et du dialogue orchestrée principalement par les ténors d’Ennahdha considérés comme étant les lieutenants les plus proches du président du parti et président du Parlement, Rached Ghannouchi, dans le but de réunir les meilleures conditions possibles afin que le pays «soit doté dans les plus brefs délais d’un gouvernement, même si l’on se trouvera dans la nécessité d’en modifier la composition dans les semaines ou les mois à venir».
Hier, Abdelkrim Harouni, président du Conseil de la choura d’Ennahdha, Rafik Abdessalem et Samir Dilou, membres du même conseil et fidèles disciples et défenseurs de Rached Ghannouchi, se sont donné le mot et ont occupé les trois principales émission de talk-show sur les radios Shems FM, Mosaïque FM et IFM pour soutenir une thèse qu’ils ont essayé de simplifier au maximum : «Ennahdha votera pour le gouvernement Jemli bien qu’il ait des réserves sur certains ministres sur lesquels pèsent des soupçons de corruption et d’incompétence».
Les mêmes responsables nahdhaouis ajoutent : «Une fois la confiance du Parlement acquise, Habib Jemli aura toute la latitude de rectifier le tir et de révoquer les ministres objet de controverse. L’essentiel, pour le moment, est de prendre en considération l’intérêt supérieur du pays et les menaces sécuritaires qui pointent à l’horizon du fait du déclenchement de la guerre en Libye et d’accorder son soutien au gouvernement».
Restent les griefs à caractère constitutionnel que certaines parties évoquent dans leurs déclarations aux médias : est-il possible d’apporter certaines rectifications à la liste des ministres déjà remise au Parlement ?
Une deuxième question : le chef de l’Etat Kaïs Saïed acceptera-t-il d’adresser au Parlement une deuxième liste ministérielle au cas où Habib Jemli le lui demanderait après avoir accepté de revoir sa copie, suite aux pressions des uns et aux conseils des autres ?
Rien n’est clair sur le plan constitutionnel et ceux qui se sont prononcés pour ou contre l’éventualité de la recomposition de la liste avant la séance plénière du vote de confiance n’ont fourni, en réalité, qu’un effort d’interprétation pouvant être valide ou invalide dans la mesure où la Constitution ne prévoit pas de disposition claire et transparente sur cette problématique.