A l’affiche de «Un fils» de Mehdi Barsaoui, l’acteur franco-tunisien Sami Bouajila était parmi nous. Un rôle qui lui a valu le Prix de la meilleure interprétation masculine à la Mostra de Venise. Nous l’avons rencontré.
On sait comment vous êtes venu dans ce rôle mais comment êtes-vous entré dans ce rôle ?
Dans ce rôle, il y avait effectivement un piège ! Il fallait bien sûr s’imprégner du scénario et du personnage, ce qui est assez simple pour Najla Ben Abdallah et moi. En fait, c’est l’histoire d’un couple qui va vivre un drame qui va bouleverser leur vie. Mais en anticipant ce qui allait se passer, on risquait un peu de déflorer les émotions alors que le film sera réussi quand le réalisateur arrivera à filmer avec plus de sincérité comment ce couple va traverser ce drame. Donc, il ne fallait pas se projeter, il ne fallait pas déflorer ces choses-là.
Le risque était dans le sur-jeu ?
Non pas seulement le sur-jeu mais il ne fallait pas anticiper et aller chercher les émotions trop tôt. Il était là le piège ! Mehdi Barsaoui voulait qu’on fasse un travail sur les répétitions dans ce sens et on s’est dit «Attention ! Il faut garder la fraîcheur de ce qu’on va découvrir pour le tournage». L’intérêt des répétitions était surtout de se connaître, pour savoir quelle actrice elle est et quel acteur je suis et comment on va servir le film. Pour ma part, je me suis demandé comment je réagirai dans ce cas de figure (en l’occurrence ce drame) et, après, il fallait extrapoler pour nourrir le personnage et voir quelles sont sa fibre et sa psychologie.
Vous et Najla Ben Abdallah campez les principaux rôles. Comment vous avez fonctionné en tant qu’acteurs ?
Je pense qu’on appréhendait l’un et l’autre le fait qu’on allait s’entendre ou pas, au-delà de notre simple volonté de donner quelque chose au film. Ce point-là était très important, puisque c’était un duo qui porte le film. Et, donc, j’avais besoin en tant qu’acteur qu’elle me donne quelque chose et vice versa. C’est comme ça qu’on a construit ce couple et c’est comme ça qu’on a fonctionné. Très vite, j’ai vu qu’on était complice, très vite j’ai vu qu’on avait une sensibilité
commune et après, ça a pris l’ampleur qu’on voit dans le film.
Le réalisateur a choisi de filmer en caméra portée. Comment vous vous êtes comporté avec ce choix ?
Mehdi Barsaoui a juste eu la cohérence d’esprit de mettre une écriture filmée en adéquation avec ce qu’il avait écrit. C’est-à-dire que c’est dépouillé et que tout repose sur les personnages. D’où cette proximité avec l’image. Il fallait qu’il puisse filmer nos corps et nos âmes. Il était proche de nous et se sentait libre, il ne devait pas être écrasé par une machinerie… Il fallait que cela soit frontal et assez pur.
C’est le deuxième film tunisien dans lequel vous jouez après «Le silence des Palais» de Moufida Tlatli en 1994. Comment vous avez trouvé le cinéma tunisien depuis ?
Sincèrement, je ne connais absolument pas le cinéma tunisien depuis la génération Moufida Taltli. A l’époque, il y avait une nouvelle vague tunisienne très fraîche et très appréciée en France. Il y avait beaucoup de cinéastes qui avaient beaucoup de choses à dire. Je reviens en Tunisie et je découvre ici la nouvelle génération de cinéastes en l’occurrence Mehdi Barsaoui, un visionnaire qui maîtrise son plateau, qui aime le cinéma et qui a une facilité d’écriture certaine et un univers qui me fascine… J’ai eu donc deux expériences en Tunisie et avec deux bons cinéastes. Si je dois comparer le cinéma tunisien à l’époque des années quatre-vingt-dix avec pour seul exemple Mehdi Barsaoui, je peux vous dire qu’il y a un cinéma en Tunisie qui est très fort. Mais est-ce qu’il est représentatif de toute la nouvelle génération des autres cinéastes? Je ne sais pas vous dire…
Les rôles que vous avez interprétés abordent tous les registres, ils vont de la comédie au thriller. Comment faites-vous pour passer avec beaucoup d’aisance d’un genre à l’autre… ?
J’ai eu une bonne formation d’acteur. J’ai fait une bonne école nationale d’art dramatique et on abordait tous les registres. Après, à mes débuts, j’ai fait beaucoup de cinéma d’auteur où j’étais cantonné au drame. Je ne sais pas pourquoi… Les gens avaient du mal à percevoir mon côté «clown»… Par la suite on m’a proposé des rôles dans la comédie et ça marchait bien… Les comédies qu’on me propose ne sont pas nombreuses mais c’est souvent avec des cinéastes très doués, qui ont tout un univers de comédie qui me plaît. En tout cas, j’aime bien jongler avec les deux…
Il vous arrive de refuser des rôles comme celui de l’émigré par exemple ?
Oh cela fait longtemps ! Je ne refuse pas le rôle parce que c’est celui de l’émigré, si je le refuse, c’est pour les mêmes raisons que si c’était celui d’un avocat, médecin ou dealer… Il n’y a pas de rôle qui ne m’intéresserait pas. Par exemple j’ai interprété un émigré, (Dieu sait qu’il était fascinant et qui nous a même valu le Lion d’or). C’était «La faute de Voltaire» de Abdellatif Kechiche, son tout premier film et c’était l’histoire d’un sans-papiers tunisien qui est arrivé en France.