Le rôle et l’impact de la psychologie sont inestimables dans un contexte de crise sociale pour aider une société véritablement anxiogène.
La ville est devenue un hôpital géant à ciel ouvert tant la population souffre et étouffe dans la rue qui n’est plus un espace de vie mais source de tous les dangers. Manque de sécurité routière, insécurité, crimes, agressions, braquages, rackets et vols ont pourri le climat de la rue. De ce fait, «la psychologie ne se produit pas qu’à l’hôpital» d’après Mme Ben Alaya, enseignante universitaire. La dégradation du climat social en Tunisie est devenue criarde. Les gens sont moralement épuisés au travail, les enfants et les jeunes indisciplinés à l’école et dans la rue, la qualité de la vie est devenue une chimère, enfin, et pour couronner le tout, le niveau de vie et le pouvoir d’achat ont baissé.
Alors tous les maux sociaux : de la violence à la délinquance en passant par le harcèlement sexuel, le viol et d’autres troubles comportementaux, sont devenus légion et créent un mal profond qui abîme la société déjà empêtrée entre la moralisation et les extrémismes. Pour répondre au péril de la société tunisienne en trouvant des parades salvatrices, tous les regards se sont tournés vers Carthage où la psychologie est venue au secours dans les débats pour causer l’électrochoc nécessaire. Un important événement axé sur la psychologie dans sa globalité s’est déroulé vendredi 24 janvier à l’Acropolium de Carthage. Il va permettre de savoir dans quelle mesure cette discipline peut répondre aux besoins de la société. Mme Dorra Ben Alaya, enseignante universitaire à l’Institut supérieur des sciences humaines de Tunis (Issht) et membre du comité d’organisation qui a convié les spécialistes brésiliens dans ce domaine à exposer leur expérience sur place, résume les enjeux.
La sensibilisation, la lutte contre la violence, la délinquance et les comportements à risques seront abordés pour démontrer aux responsables, aux ONG et la société civile comment la psychologie répond à beaucoup de besoins. L’aboutissement de ce débat crucial a nécessité une convergence de vues avec la partie brésilienne. Mme Ben Alaya poursuit le raisonnement : «L’idée était de développer la psychologie avec mes collègues brésiliens sur des sujets communs mais dans des contextes différents. C’est l’occasion de voir comment le contexte peut influencer le comportement des gens dans différentes situations : situation à risque, situation d’inadaptation». Les universitaires brésiliens enseignent une psychologie sociale très efficace et présentent de nombreux points communs avec la Tunisie dans le cadre d’une approche croisée.
De nombreux exposés se sont déroulés dans l’enceinte principale de l’ancienne cathédrale de Saint Louis, rebaptisée Acropolium de Carthage.
La construction de sa vie, la révolution au travail ou encore d’autres thématiques touchant les enfants et les adultes ont été débattus à l’aune d’une meilleure qualité de vie et d’un meilleur climat social. Une des allocutions a eu trait sur la perception et le sentiment psychologique des jeunes piétons et écoliers sur le chemin de l’école.
La sécurité routière au menu
Mme Fatma Snoussi a dévoilé le compte-rendu de son étude qualitative en matière de sécurité routière en collaboration avec l’association des Ambassadeurs de la Sécurité Routière. «Dans une première étape, on a fait une étude qualitative avec une grille d’observation de la vitesse dans les dix régions à risques de la Ville de Tunis. On a décelé une vitesse excessive jusqu’à 74 km/h aux abords des écoles alors que la limite est de 50 km/h. On a choisi deux écoliers à risques qui subissent la vitesse excessive. J’ai fait une étude qualitative sur les focus groupes de 8 à 10 personnes au sujet de la sécurité routière axée sur quatre thématiques.
Il y a beaucoup d’élèves qui rencontrent des problèmes à cause du manque de réglementation et d’éducation à la sécurité routière». Le sentiment d’insécurité et la perception négative ressortent de leurs témoignages, analysés par un logiciel informatique. Cette étude sur le problème de l’insécurité routière impliquant des enfants dans la ville de Tunis, présentée par Mme Fatma Snoussi de l’Issht, Université de Manar, Tunisie, a constitué un bon point lors de l’événement à caractère psychologique et de sensibilisation. Dans un document remis à l’assistance, on retrouve l’essentiel de son intervention.
«La lutte contre l’insécurité routière est une des priorités du gouvernement tunisien et des pouvoirs publics depuis des décennies. Le phénomène des accidents routiers est préoccupant par ses conséquences sur le plan socioéconomique et psychologique. La Tunisie est le deuxième pays le plus meurtrier de la région du Maghreb. Selon le rapport de l’OMS (2018), le taux de mortalité routière pour 100.000 habitants est passé de 18% en 2010 à 24% en 2015. Sur une décennie, les routes ont fait 14.700 décès et 156.000 blessés. En 2017, le nombre le plus élevé des accidents de la route est enregistré dans le gouvernorat de Tunis.
Soit 1.405 accidents qui représentent 20% du total national. Les jeunes sont les premières victimes et représentent l’enjeu majeur de la sécurité routière. Souvent évoqué et dénoncé, le problème de l’insécurité routière en Tunisie est en effet rarement analysé dans ses processus ou dans ses relations avec le comportement et l’attitude des usagers de la route, qu’ils soient conducteurs ou piétons. Cette étude s’inscrit dans un projet plus large regroupant plusieurs partenaires (ambassadeurs de la sécurité routière, Global Road Safety Partnership, gouvernorat de Tunis, ministères de l’Intérieur, de l’Education, du Transport et de l’Equipement) ayant pour objectifs d’identifier les risques routiers impliquant des enfants aux alentours des écoles afin de concevoir des stratégies de sécurité efficaces.
La méthodologie adoptée fait appel à plusieurs analyses complémentaires tant quantitatives que qualitatives. Une analyse descriptive des résultats obtenus au moyen d’une grille d’observation de la vitesse à proximité de 10 écoles à risque de la Ville de Tunis a été réalisée. L’étude quantitative a montré des excès de vitesse assez fréquents à proximité des écoles avec une différence significative entre les différents lieux d’observation. La vitesse semble varier en fonction du profil du conducteur, de la catégorie du véhicule et de l’heure de l’observation. Cette démarche quantitative a été suivie par une démarche qualitative par focus groupes qui a permis d’évaluer les attitudes mais également les attentes et les besoins des participants vis-à- vis de la sécurité routière aux abords des écoles. L’analyse thématique réalisée à l’aide du logiciel Nvivo a permis de mettre en forme et de donner un sens aux données qualitatives.
Il s’agit de ranger les données brutes dans des catégories pour ensuite procéder aux opérations de codage et à une analyse statistique des thèmes dégagés. L’analyse textuelle conduite sur les corpus issus des différents focus groupes grâce au logiciel Tramuteq a permis de dégager le sens à partir de la structure, de la forme et de l’organisation du contenu des textes». L’apport psychologique consiste à améliorer la perception des usagers de la route et la prise en compte du risque routier. «La sanction et la répression ne suffisent pas car il faut agir sur les comportements et sur les consciences pour changer radicalement la situation», déclare notre interlocutrice.
Cette deuxième édition d’un colloque autour d’une psychologie en contexte a une double ambition : concrétiser une réflexion sur les problèmes sociétaux en Tunisie et dans un monde en crise, tenant compte des facteurs psychologiques et créer un espace d’échange entre les chercheurs des deux rives tunisiennes et brésiliennes. Durant le colloque, un vibrant hommage a été rendu à feu Abdelwaheb Mahjoub récemment décédé, ancien professeur universitaire à l’Issht «qui était un ami, un chercheur également. Il a sans cesse œuvré à instaurer un climat de bienveillance et de respect au sein de notre département», conclut Mme Ben Alaya.