Elyes Fakhfakh, le chef du gouvernement désigné, laisse entendre depuis son installation à Dar Dhiafa qu’il a défini les choix de son futur gouvernement et qu’il s’est choisi «les partis révolutionnaires» qui lui accorderont leur confiance. Et si ces mêmes «forces révolutionnaires» mécontentes de l’appétit insatiable des uns et des caprices inadmissibles des autres l’obligeaient à revoir ses choix ?
Aujourd’hui, lundi 27 janvier, sonnera, en principe, l’heure pour que Elyes Fakhfakh, le chef du gouvernement désigné, entame la deuxième étape du processus des négociations en vue de la formation de son gouvernement.
Ainsi, après avoir défini dans sa conférence de presse de vendredi dernier les partis et les coalitions sur lesquels il compte fonder la ceinture politique qui soutiendra son futur gouvernement (les partis qui ont voté pour le président Kaïs Saïed au second tour de l’élection présidentielle), rencontré les dirigeants et leaders de ces partis et coalitions, sondé leurs premières réactions sur les grands axes de sa démarche de négociation et après avoir rendu compte, samedi 25 janvier, au Président de la République des entretiens qu’il a eus avec Ghannouchi, Abbou, Maghzaoui, Makhlouf, Taboubi, Majoul, Ezzar et Radhia Jerbi (ce qui constitue une première dans le processus de constitution des gouvernements post-élections législatives), Elyes Fakhfakh aborde à partir d’aujourd’hui l’essentiel de la mission qui lui est confiée : comment convaincre les partis et coalitions dont il attend le soutien pour son futur gouvernement de s’entendre sur les grands axes du programme qu’il va leur soumettre mais aussi — et là c’est l’essentiel ou le point fondamental de ses négociations — comment va-t-il régler la grande problématique de répartition des portefeuilles ministériels, dont en premier lieu ceux dits de souveraineté, entre les différents partenaires autoproclamés et avalisés par Fakhfakh lui-même «les forces de la révolution» ?
En plus clair, les questions que l’opinion publique se pose tournent autour des problématiques suivantes : Elyes Fakhfakh va-t-il prendre en considération, en vue de la formation de son gouvernement qu’il annonce aussi restreint que possible (entre 25 et 28 ministères), la règle de la représentativité des partis au sein du Parlement comme l’a insinué Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha, à l’issue de sa première rencontre avec le chef du gouvernement désigné, ce qui veut dire tout simplement qu’Ennahdha se taillera la part du lion au sein du futur gouvernement, vu qu’il dispose du plus grand nombre de députés au palais du Bardo ? La deuxième question que l’on se pose également concerne la contrepartie à laquelle Ennahdha aura droit en accordant sa confiance à Fakhfakh et à ses ministres pour changer sa position et accepter la décision concernant l’exclusion de Qalb Tounès du processus de formation du gouvernement, décision annoncée par le chef du gouvernement désigné et contestée par le président du parti nahdhaoui.
L’on se demande, en effet, que va céder Elyes Fakhfakh au parti nahdhaoui au cas où son Conseil de la choura tenu, hier, camperait sur la position de faire participer Qalb Tounès aux négociations de formation du gouvernement ?
Et sans prétendre être au parfum de ce qui se passe au palais Dhiafa et connaître les secrets de Montplaisir, il n’est pas difficile d’imaginer la situation embarrassante dans laquelle va se trouver Elyes Fakhfakh pour satisfaire un allié aussi important qu’Ennahdha et s’assurer ses 54 voix et aussi les 22 voix d’El Karama le jour du vote de confiance au Bardo alors que la direction de ce même allié n’a pas les coudées franches et peine à contenter sa base et ses cadres (les membres du Conseil de la choura qui ne sont pas prêts à revivre l’amère expérience du gouvernement Jemli, expérience au cours de laquelle les nahdhaouis ont essuyé un camouflet historique quand Qalb Tounès, le parti qui a porté, grâce aux voix de ses députés, Rached Ghannouchi à la présidence du Parlement, a décidé de ne pas accorder la confiance de son parti à Habib Jemli et à ses ministres.
Mohamed Abbou jouera ses cartes à fond, mais…
Ceux qui reprochent à Elyes Fakhfakh sa décision d’exclure Qalb Tounès des négociations semblent vouloir lui dire, sans avoir le courage de lui crier expressément et crûment qu’en agissant de la sorte il est tombé dans les griffes de Mohamed Abbou et de son parti le Courant démocratique, la formation politique qui s’est autoproclamée la championne de la lutte contre la corruption et qui s’est auto-octroyé le titre du symbole de la propreté, de l’intégrité et partant le parti «révolutionnaire» n°1 du pays.
Et Mohamed Abbou de changer, cette fois, de tactique dans ses déclarations et l’approche adoptée dans le processus de négociations de formation du gouvernement Fakhfakh.
En effet, jusqu’à hier, dimanche 26 janvier, et même à l’issue de la réunion de son conseil national, samedi 25 janvier à Sousse, le Courant ne s’est pas encore fixé sur les ministères auxquels il voudrait accéder au sein du gouvernement Fakhfakh.
En parallèle, Mohamed Abbou fournit aux médias une déclaration chargée de signification qu’on pourrait comprendre comme un rappel à ses anciennes revendications quand il réclamait les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Réforme administrative en contrepartie de l’aval de son parti au gouvernement Jemli.
Le secrétaire général du Courant démocratique souligne, en effet, «la volonté de son parti de prendre part au gouvernement Fakhfakh, ce qui lui permet de mettre en œuvre ses programmes liés à l’application de l’Etat de droit et à la lutte contre la corruption».
les intentions de Mohamed Abbou sont claires et nettes : la participation de son parti au gouvernement Fakhfakh est liée à la satisfaction de ses demandes d’avoir sous sa coupe les ministères indiqués.
Sauf que Mohamed Abbou oublie qu’Ennahdha et même son allié de circonstance le mouvement Echaâb, dépité et déçu qu’il est de voir Kaïs Saïed lui préférer Elyes Fakhfakh pour former «le gouvernement du peuple» (bien que le président s’en soit dédouané publiquement et officiellement), ne sont pas prêts à laisser le chef du gouvernement désigné céder aux caprices de Mohamed Abbou, de sa femme et de Ghazi Chaouachi, au risque de perdre, peut-être, les voix nahdhaouies et celles d’Echaâb.
En tout état de cause, ceux qui considèrent que Fakhfakh a tracé sa voie à suivre et qu’il la respectera scrupuleusement pourraient être appelés à revoir leur copie au cours de la semaine quand Si Elyes sera confronté à la dure épreuve de répartition des ministères au sein de son gouvernement dont il pourrait élargir la composition dans le but de contenter ses alliés.