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Politique monétaire | Indépendance de la BCT : Pourquoi oui, pourquoi non ?

Avec une libéralisation totale des flux de capitaux, la BCT, pour conserver son pouvoir de mener une politique monétaire autonome, devra obligatoirement abandonner le régime de change encadré et céder la maîtrise du taux de change du dinar aux forces du marché.

En 2016, l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE) a publié une étude intitulée « L’indépendance de la Banque centrale tunisienne : enjeux et impacts sur le système financier tunisien », ayant pour objectif de comprendre les enjeux liés à la politique monétaire en Tunisie. En effet, à travers cette étude, l’OTE a présenté les enjeux liés à l’indépendance de la BCT, et ce, en puisant à la source et à l’origine de cette indépendance pour en comprendre sa définition et ses limites.

De là, l’observatoire a déduit l’inefficacité totale du critère d’indépendance d’une banque centrale à atteindre l’objectif annoncé de stabilité des prix. Par la suite, il a présenté les enjeux difficiles auxquels doit faire face une banque centrale pour stabiliser un système qui est structurellement instable, que ce soit à travers la monnaie endettée ou le système des réserves fractionnaires. L’OTE a, dans ce sens, souligné le rôle important des facteurs psychologiques et leurs impacts sur un tel système. Enfin, il a présenté les enjeux liés aux réformes structurelles du Fonds monétaire international (FMI) sur le système financier tunisien et les moyens et stratégies utilisés.

Le rôle joué par le FMI pour désarmer la BCT

Le choix de la BCT pour faire face aux régimes de change flottants, dans le cadre d’une économie de plus en plus intégrée dans la globalisation économique et financière, a été d’opter pour un régime de change encadré dont l’objectif principal était d’ajuster la valeur du dinar par rapport à un panier de devises contenant, entre autres, l’euro principalement, du fait de l’importance du commerce extérieur avec l’UE, mais aussi le dollar par rapport à l’endettement extérieur du pays. Ce régime de change encadré donne ainsi un pouvoir discrétionnaire très fort à la BCT pour stabiliser, dans la mesure du possible, la valeur du dinar tout en l’ajustant pour défendre la compétitivité des entreprises exportatrices tunisiennes.

Depuis 2011, le FMI et la Banque Mondiale, suite à la révolution en Tunisie, ont imposé leurs fameuses recettes de réformes structurelles issues du Consensus de Washington, et ce, malgré la multitude d’exemples qui ont montré leur échec. Parmi ces mesures, l’étude s’est focalisée sur deux d’entre elles qui ont une certaine importance pour stabiliser la monnaie. Pour comprendre la première, il faut présenter un principe économique appelé Triangle d’incompatibilité ou Triangle de Mundell. Ce principe énonce qu’il est impossible d’atteindre simultanément les trois objectifs suivants : un régime de change fixe ; disposer d’une politique monétaire souveraine ; avoir une parfaite mobilité de la circulation des capitaux. Jusqu’à présent, la BCT a tenté de garder un équilibre entre un régime de change encadré, un compte de capital asymétriquement et partiellement libéré et donc une certaine liberté sur sa politique monétaire.

Cependant, à travers le projet de loi de nouveau code d’investissement, le FMI et la Banque mondiale poussent la BCT à libérer totalement les flux de capitaux et plus particulièrement les sorties de capitaux à court terme. De telle sorte qu’avec une totale libéralisation des flux de capitaux, la BCT, pour conserver son pouvoir de mener une politique monétaire autonome, devra obligatoirement abandonner le régime de change encadré et céder la maîtrise du taux de change du dinar aux forces du marché. Ceci est confirmé par la BCT qui, dans une étude qu’elle a publiée, observe que « la maîtrise du taux de change par la BCT a été facilitée par les restrictions imposées sur les opérations en capital et, plus particulièrement, les capitaux de court terme. »

Ainsi, par des entrées et surtout par des sorties massives de capitaux à court terme, le dinar pourra facilement être attaqué par des spéculateurs malintentionnés. La crise asiatique à la fin des années 90 en est un exemple parfait. La deuxième mesure structurelle découle directement de la première. Ainsi, dès la première lettre d’intention du FMI en mai 2013, il est spécifié dans le tableau des réformes structurelles : mise en place d’une plateforme électronique permettant l’interconnexion avec les banques et entrée en vigueur de l’Accord de teneurs des marchés, et une plus grande souplesse du taux de change. Ainsi, la BCT doit abandonner le système de stabilisation du taux de change via un panier de devises pour adopter le système de teneurs de marchés où ce sont les banques ayant signé un accord de teneurs de marchés qui fixent le taux de change. De ce fait, après avoir abandonné le privilège de l’émission de la monnaie, la BCT abandonne à présent, et sous la pression du FMI, la fixation du taux de change via un panier de devises qui était pourtant un système mesuré entre le taux de change fixe et le taux de change totalement flexible.

Stabilité, de quels prix parle-t-on ?

En général, lorsque nous entendons parler de stabilité des prix et de maîtrise de l’inflation, il est rare que l’on définisse ce qu’on entend par prix. En effet, la stabilité des prix ne concerne en réalité qu’une partie des prix représentée, en Tunisie, par l’Indice des Prix à la Consommation Familiale (Ipcf) et qui mesure l’évolution des prix d’un panier qui représente la consommation d’une famille représentative des ménages tunisiens.

Cependant, les prix des actifs (immobiliers et financiers) sont toujours exclus du calcul de l’inflation. En effet, dans un système de monnaie endettée et de réserves fractionnaires, il est quasiment impossible de maintenir une inflation faible pour tous les prix, actifs et biens de consommation compris. En effet, en période de surchauffe du système de crédit, il se forme des bulles dans l’immobilier et/ou sur les marchés financiers, ce qui permet d’éponger l’offre de monnaie endettée tout en contenant l’inflation de l’IPCF. Cependant, et comme cela a été démontré par plusieurs institutions, notamment la prestigieuse Banque des Règlements Internationaux — la banque centrale des banques centrales —, les politiques non-conventionnelles de création massive de monnaie sont un facteur essentiel de la réapparition des inégalités dans les pays développés, ce qui pose un réel problème de stabilité sociale.

Comment l’inflation est-elle contenue en Tunisie ?

Dans une étude réalisée par la BCT en décembre 2014 sur les mécanismes de la transmission de la politique monétaire en Tunisie, les différents mécanismes pour contenir l’inflation sont présentés. Dans toutes les théories récentes sur l’inflation, il est presque toujours sous-entendu que les prix, dans un pays donné, sont libéralisés et que le marché, par la rencontre de l’offre et de la demande, fixe les prix des échanges. Cependant, selon l’étude de la BCT, en Tunisie, 87 % des prix à la production sont libres tandis que 80 % des prix à la consommation le sont.

En ce qui concerne le panier servant à calculer l’indice des prix à la consommation familiale, un tiers de ce panier est constitué de prix administrés. Ainsi, par le biais de subventions alimentaires et énergétiques, l’inflation de l’IPCF est contenue au tiers grâce à l’administration des prix. La BCT dispose de même de deux outils puissants pour contenir l’inflation via le système de distribution du crédit par les banques commerciales. Le premier est le Taux Directeur (TD) de la BCT qui permet de resserrer ou d’assouplir les conditions dans lesquelles les banques vont prêter. On considère qu’un relèvement du Taux Directeur va se répercuter sur les taux débiteurs appliqués par les banques sur leurs clients et freiner la hausse du crédit par le renchérissement de son coût. C’est ce qu’on appelle communément un resserrement du crédit. L’autre outil est le Taux de Réserves Obligatoires (TRO) (non rémunéré) que doivent déposer les banques commerciales sur le compte de la BCT. Cela permet ainsi de réduire le volume de crédits que les banques peuvent émettre. Ainsi et pour résumer, le taux directeur joue sur le coût du crédit tandis que le taux de réserves obligatoires joue sur le volume. En réduisant ainsi le crédit, on réduit, par là même, la création monétaire et donc l’inflation engendrée. Historiquement, et jusqu’en 2012, la BCT a préféré utiliser la hausse du TRO pour freiner la hausse rapide du crédit plutôt que le TD, plus communément utilisé par les banques centrales des grandes puissances. Ceci s’explique par le fait que la demande de crédit est encore très forte en Tunisie et que malgré l’augmentation du coût par le relèvement du taux directeur, la demande de crédit continuera d’augmenter au même rythme. L’efficacité du TRO est redoutable tant que le crédit est majoritairement distribué à travers les banques commerciales et non via les marchés de capitaux ou les financements étrangers, ce qui est le cas en Tunisie.

La stratégie contradictoire du FMI sur l’inflation

Le FMI a conditionné le versement des différentes tranches à l’adoption d’une nouvelle loi instaurant l’indépendance de la BCT. De même, l’étude a démontré que cette indépendance est censée être un outil pour la maîtrise des prix alors qu’il n’y a aucun lien entre l’inflation et l’indépendance d’une banque centrale selon Cukierman. Ainsi, on pourrait en conclure que cette position traduit une volonté ferme de l’institution internationale de lutter contre l’inflation. Cependant, alors que, d’un côté, elle prône l’indépendance de la BCT pour mieux maîtriser l’inflation, de l’autre elle impose la suppression des subventions énergétiques et alimentaires pour les remplacer par un ciblage des populations les plus pauvres.

En forçant l’Etat tunisien à adopter une formule automatique des prix des carburants alignée sur les prix internationaux, le FMI expose le pays et ses citoyens aux fluctuations de ces prix dont la volatilité est plus induite par des stratégies géopolitiques que par les mécanismes du marché. De même, la suppression des subventions alimentaires repose sur un subterfuge qui consiste à prétendre que ces subventions ne profitent pas en majorité aux plus pauvres, ce qui est vrai, tout en masquant le fait qu’elles profitent en réalité en majorité à la classe moyenne. Par ce biais, la suppression de ces subventions alimentaires risque d’augmenter nettement le panier de consommation des ménages et risque de faire entrer une certaine partie de la classe moyenne dans la pauvreté. Ici, aussi, le pays et ses citoyens s’exposent aux fluctuations des prix internationaux des denrées alimentaires qui peuvent être manipulés par des spéculateurs malintentionnés et provoquer, comme lors de la crise mondiale de 2007-2008, des émeutes du pain. Par la suppression des subventions alimentaires et énergétiques, qui agissent comme des coussins pour protéger le pouvoir d’achat des ménages face à ces fortes fluctuations internationales, le risque d’apparition de tensions inflationnistes voire de tensions sociales n’est pas à écarter.

Pourquoi une stabilité financière ?

Pour renforcer le taux de transmission de sa politique monétaire, la BCT dispose d’un outil très directif, le Taux du Marché Monétaire (TMM). En effet, la BCT a mis en place une norme d’indexation des taux appliqués par les banques sur ce TMM. Ainsi, cette norme d’indexation des contrats de taux bancaires en Tunisie sur le TMM induit une transmission quasi automatique de la politique monétaire aux coûts financiers effectifs des emprunteurs. Pour le dire autrement, la BCT décide des taux appliqués par les banques dans une large mesure, et laisse une certaine marge aux banques autour du TMM. Ainsi, une baisse du TMM oblige les banques, dans une certaine mesure, à faire baisser leur taux d’intérêt débiteur. L’avantage de cette politique est qu’elle permet de préserver le système bancaire du risque de taux d’intérêt. Cependant, le désavantage de cette politique est que ce risque est supporté par les déposants et emprunteurs via le risque de crédit qui, disons-le clairement, est géré de manière très légère par les banques tunisiennes. Cette politique d’indexation a permis cependant d’éviter le scénario de la crise du système bancaire américain en 2007. De ce fait, cet outil est un moyen puissant de stabiliser le système de distribution du crédit. Il faudrait rajouter à cet outil les taux directeur et de réserves obligatoires du fait du lien entre monnaie et crédit.

Le contrôle des taux d’intérêts appliqués par les banques est un outil puissant à la disposition de la BCT pour éviter des crises bancaires telles que celles subies par les Etats-Unis lors de la grande crise de 2007. Cependant, et consciente des enjeux liés à cet outil, le FMI n’a cessé de pousser la BCT à libéraliser totalement les taux d’intérêts bancaire, allant même jusqu’à prôner la modification de la loi relative aux taux d’intérêts excessifs, communément nommés les taux usuriers. Ainsi et toujours sous l’égide du FMI, la BCT a relevé le taux directeur, officiellement pour resserrer le crédit, bien que traditionnellement elle utilise le TRO, mais officieusement pour augmenter les taux d’intérêts en attendant leur totale libéralisation. Car c’est là le but ultime du FMI : une totale libéralisation des taux d’intérêts et donc le retrait d’outil du TMM aux mains de BCT. Officiellement, le FMI veut libéraliser les taux d’intérêts car il estime que c’est parce que les taux ne sont pas assez élevés que les banques ne prêtent pas aux PME, considérées comme des clients plus risqués et donc avec des taux d’intérêts plus élevés. Cependant, le FMI feint d’ignorer que la distribution du crédit est freinée principalement par les besoins en liquidité des banques plutôt que par l’incapacité d’appliquer des taux d’intérêts plus élevés aux PME. La gestion du risque de crédit au sein des banques tunisiennes est tellement sommaire que cet argument semble inadapté à la situation tunisienne.

Les recommandations de l’OTE

La complexité, parfois non nécessaire, de ce système financier empêche les citoyens de débattre sereinement et en pleine connaissance de cause de ces questions pourtant essentielles car elles touchent à la souveraineté et au développement économique et social d’un pays. La fuite en avant observée au niveau mondial, que ce soit par la mise en place de politiques non-conventionnelles ou des taux directeurs négatifs pour sortir de la déflation, n’augure rien de très optimiste pour le futur.

Ainsi, l’OTE a dressé une série de recommandations. Il s’agit en premier lieu de ne pas mettre en place l’indépendance de la BCT vis-à-vis de l’exécutif au vu de l’inefficacité de cette mesure à atteindre l’objectif de stabilisation des prix, et de ne pas permettre la rémunération des réserves obligatoires. Il a préconisé, en outre, d’inscrire la délégation du pouvoir de création monétaire aux banques commerciales dans l’article 13 du projet de loi et d’en exiger le suivi, notamment le montant des revenus provenant de ce droit de seigneurie cédé. Il importe, également, d’interdire la sortie des capitaux à court terme (code d’investissement) tout en rétablissant le régime de change encadré basé sur un panier de devises, ainsi que d’interdire toute libéralisation totale des taux d’intérêts et renforcer la loi sur les taux d’intérêts excessifs. Toutefois, l’OTE a appelé à conserver le système d’administration des prix des denrées de base pour protéger le pouvoir d’achat des ménages tunisiens. Dans le même sillage, l’observatoire a recommandé de réduire le nombre des (ex-) banquiers au sein du Conseil d’Administration de la BCT, voire supprimer leur représentation, et ce, au vu du pouvoir excessif déjà cédé aux banques commerciales à travers la délégation du pouvoir de création monétaire.

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