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Politique monétaire | La fragilité des banques, fardeau inhibant la croissance de l’économie

Durant les années de transition post-révolution, la BCT s’est trouvée confrontée à plusieurs problèmes : l’inflation, l’assèchement du secteur bancaire en liquidité, la sous-capitalisation des banques, l’accumulation de créances douteuses. Ce qui dénote de la vulnérabilité du secteur bancaire qui tarde à être réformé et de la fragilité des mécanismes de transmission de la politique monétaire.

D’après l’universitaire à la Faculté des sciences économiques et de gestion de Tunis, Mme Fatma Marrakchi Charfi, «l’examen de la politique monétaire tout au long des quatre premières années de transition montre qu’elle a évolué d’une politique accommodante en passant par une politique monétaire neutre à une politique restrictive, en utilisant le taux d’intérêt directeur ainsi que les taux de réserve obligatoire, comme instruments de politique monétaire».

Pour le système bancaire, l’universitaire indique qu’il ne pourrait réellement jouer son rôle de soutien à l’activité économique qu’après assainissement des grandes banques publiques actuellement en difficulté.

La recapitalisation, voire l’ouverture d’une partie de leur capital à des partenaires étrangers sont des solutions proposées. «Il faudra aussi penser à restructurer les entreprises publiques qui sont à l’origine des créances toxiques, qui, à leur tour, sont la cause des difficultés vécues par ces grandes banques publiques. Il faudra aussi instaurer les règles de bonne gouvernance dans ces banques et dans les entreprises publiques. Réformer le secteur bancaire reste une des priorités nationales et l’aide des bailleurs de fonds reste conditionnée par l’engagement sérieux du gouvernement dans ces réformes», précise-t-elle.

Dans une analyse exhaustive, Mme charfi examine l’évolution des principaux agrégats monétaires et économiques de la Tunisie depuis 2011 et le rôle joué par l’autorité monétaire dans la conduite de la politique monétaire du pays en période de transition (2011-2014). «Cette période est caractérisée par une décélération de la croissance, une augmentation de l’inflation et du chômage et une concomitance dans les déficits (budgétaire et courant), sur un fond d’assèchement en liquidités. Analyse focalisée également sur le rôle conféré au taux d’intérêt directeur pour combattre cette inflation, ainsi que la fragilité des mécanismes de transmission de la politique monétaire en présence d’un secteur bancaire vulnérable».

Dans un contexte difficile marquant la période post révolution, «la question est de savoir quel rôle a joué l’autorité monétaire durant la transition, outre l’obligation de fournir la liquidité au système bancaire et d’assurer le financement adéquat de l’économie», souligne Mme Charfi.

Politique de ciblage de l’inflation

La mission principale de la politique monétaire de la Tunisie est la préservation de la stabilité des prix comme réglementé par la loi de 2006.

Le cadre de la politique monétaire est intimement lié au régime de change adopté par le pays. «Le Fonds Monétaire International (FMI) classe la Tunisie comme appartenant à un “régime de parité mobile” sans point d’ancrage nominal explicite. Toutefois, la Banque centrale de Tunisie (BCT) surveille différents indicateurs dans la conduite de sa politique monétaire». Par ailleurs, «l’autorité monétaire a pris des mesures pour évoluer vers une politique de ciblage de l’inflation qui aurait nécessité un certain degré de flexibilité du taux de change».

La politique monétaire accommandante adoptée après la révolution montre que 2011 est caractérisée par un taux d’intérêt décroissant qui reflète une politique monétaire accommodante.

Selon l’experte, «l’objectif de la politique monétaire était dès lors de faire face au problème de liquidité et de veiller au financement de l’économie et au bon fonctionnement du système des paiements. Les mesures prises ont été de réduire les taux des réserves obligatoires à trois reprises durant l’année 2011 en faveur de la détente des pressions inflationnistes, ce qui a permis de libérer, au profit du système bancaire, de la liquidité (plus d’un milliard de dinars). Ces mesures ont très probablement réussi à éviter un “credit crunch”, moyennant un encouragement du crédit à l’économie».

Une politique monétaire restrictive a été adoptée en 2012, marquant une période de stabilité suite à laquelle, la politique monétaire est devenue restrictive avec une élévation du taux d’intérêt directeur.

D’après les données chiffrées fournies par Mme Charfi, la pression sur la liquidité des banques a entraîné une hausse du taux du marché monétaire de 3,23 % 2011 à 3,85% 2012 avec un accroissement du crédit à l’économie. En 2012, la liquidité bancaire a été aussi fortement et négativement impactée par la baisse des avoirs en devises. Le déficit courant rapporté au PIB, atteignant un niveau record de 8,1%, a nécessité une mobilisation d’importantes ressources en devises. Toutefois, la capacité à payer les importations a baissé de 104 à 98 puis à 95 jours. Elle n’a pas manqué de rappeler que «l’origine du creusement du déficit courant était essentiellement due à l’aggravation du déficit commercial. En effet, entre le premier semestre 2011 et le premier semestre 2012, le déficit commercial s’est aggravé de 65%, en passant de 2.689,4 MD à 4.448,8 MD, essentiellement du fait du ralentissement de la demande européenne des exportations tunisiennes et de l’accroissement des importations en valeur, dû en partie à la dépréciation du dinar vis-à-vis du dollar US et de l’euro. Sans pour autant oublier l’augmentation du prix du pétrole sur cette période, où le prix du baril a dépassé les 100 dollars au premier trimestre 2012. L’augmentation des prix internationaux du pétrole a contribué non seulement à alimenter l’inflation mais aussi à détériorer la balance commerciale».

Entre le marteau et l’enclume

D’un autre côté, et à la fin de 2013, la politique monétaire a semblé être entre le marteau et l’enclume au regard des décisions prises par la BCT : «Le relèvement du taux directeur pour endiguer les anticipations inflationnistes d’une part, et la diminution des réserves obligatoires afin de fournir des liquidités au système bancaire d’autre part, ont pu en effet sembler a priori contradictoires pour le public. Ainsi, l’autorité monétaire s’est dotée de moyens pour éviter le “credit crunch” qui a plané sur l’économie tunisienne et soutenir l’activité économique en 2011. Cependant, il lui a été difficile de se désengager progressivement du processus de refinancement des banques». L’universitaire précise que dans ce contexte particulier de crise, le marché interbancaire a eu du mal à prendre la relève pour améliorer les liquidités sur le marché. La fragilité des banques a constitué un fardeau inhibant la croissance de l’économie tunisienne. La BCT a semblé vouloir combattre l’inflation en augmentant le taux d’intérêt directeur, au risque d’infléchir les investissements, par le renchérissement des crédits. Toutefois, l’origine de l’inflation aujourd’hui ne semble pas être monétaire, mais plutôt imputable aux circuits de distribution illégaux non encore contrôlés par le gouvernement, à la fièvre revendicative et à la dépréciation vertigineuse du dinar.

«La tendance de la dépréciation du dinar a corroboré avec la détérioration des fondamentaux de l’économie. Poussée par le FMI, la Tunisie a privilégié, dans le cadre d’un crédit stand-by, l’accumulation des réserves de change au détriment de la fixité des taux de change. Entre 2011 et 2014, le dinar a perdu 29% de sa valeur par rapport au dollar US et 18% de sa valeur par rapport à l’euro», ajoute-t-elle.

Par ailleurs, le creusement du déficit budgétaire entre 2012 (5,5% du PIB) et 2013 (6,8% du PIB), conjugué à l’augmentation des prix internationaux de l’énergie et de certains produits de base, ont incité l’Etat à introduire des ajustements sur les prix de certains produits administrés, contribuant ainsi à mettre la pression sur les prix.

Aux dires de Mme Charfi, outre la politique de dépréciation du dinar, «la hausse des prix, qui a également touché l’inflation sous-jacente, est aussi expliquée par la hausse des salaires et le choc de demande provenant de Libye de biens alimentaires notamment, et donc par l’inadéquation entre offre et demande de biens et services et du renchérissement de certains produits importés».

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