La situation de plusieurs entreprises publiques en difficulté depuis des années demeure inquiétante dans la conjoncture actuelle qui continue à peser et à menacer leurs activités. Cette situation est due d’abord à une baisse de la productivité dans les différentes entreprises, qui se traduit par une baisse de leur compétitivité, outre la dégradation de l’environnement économique global avec la baisse de la croissance et l’incertitude qui règne, qui n’ont pas encouragé les investissements et qui ont eu des effets négatifs sur les activités des entreprises et par conséquent sur leur profitabilité.
Faut-il rappeler que l’Etat a mis en place un fonds d’aide aux entreprises en difficulté dans le cadre de la Loi des finances complémentaires 2014 et également dans la Loi des finances 2017. Mais, malheureusement, l’intervention de ces fonds a été marquée par une grande lourdeur et une grande bureaucratie qui n’ont pas été en mesure de répondre de manière urgente aux besoins de ces entreprises.
Ces dernières sont victimes de l’absence d’une vision économique claire. Les gouvernements qui se sont succédé depuis la révolution et jusqu’à présent n’ont pu améliorer la donne. L’absence d’une volonté d’action de la part de certains gouvernements n’a pas obligé les entreprises publiques à définir de véritables plans de restructuration.
Il est clair qu’une grande partie d’entre elles exigent de véritables plans de restructuration pour les remettre sur pied et leur permettre de retrouver leur santé. De plus, la complexité et la lourdeur des mécanismes de certaines institutions financières et bancaires, qui ont été en charge des fonds publics pour venir en aide aux entreprises en difficulté, ne les ont pas aidées à sortir de leur marasme.
Les entreprises ont besoin, dans l’urgence, d’un véritable programme de sauvetage et de restructuration. Le gouvernement a défini un tel programme en exigeant de quatre grandes entreprises publiques la mise en place de contrats-programmes, outre la définition de programme de restructuration réaliste en contrepartie de l’appui du gouvernement et de l’argent public.
D’un autre côté, le redressement de ces entreprises dépend aussi de l’amélioration du climat des affaires, de l’entrepreneuriat, des chaînes de valeur et du secteur des finances. Car l’amélioration de la situation des entreprises n’est pas seulement une affaire microéconomique et interne à ces entreprises. Il s’agit également d’améliorer le contexte macroéconomique et l’environnement des affaires dans lesquels elles évoluent.
Diagnostic
Dans cet environnement fragilisé par de nombreux facteurs d’instabilité, qu’ils soient internes ou externes à la Tunisie, plusieurs entreprises ont vu leurs chiffres d’affaires baisser en 2015 par rapport à 2014. 3/4 des entreprises attribuent à titre principale la baisse d’activités à une conjoncture économique défavorable.
Plusieurs entreprises publiques et privées sont jusqu’à aujourd’hui confrontées à des problèmes d’ordre financier et de gestion. De ce fait, elles ne sont pas en mesure d’avoir le rendement escompté et d’atteindre les objectifs qui leur sont assignés. Un diagnostic a été d’ailleurs effectué pour certaines entreprises pour cerner les points faibles qui constituent les vrais handicaps à leur essor. Parmi ces handicaps figure le sureffectif dans nombre d’entreprises. En plus de l’aspect relatif aux ressources humaines, le diagnostic a montré que la mauvaise gestion, la corruption, le manque de transparence, la gouvernance et le favoritisme ont fortement pesé sur les équilibres financiers des entreprises.
Le redressement de ces entreprises dépend aussi de l’amélioration du climat des affaires, de l’entrepreneuriat, des chaînes de valeur et du secteur des finances.
Au-delà des pressions financières et de gestion, les entreprises ont été menacées de faillite alors que d’autres ont déjà fermé leurs portes pour aller s’installer ailleurs.
L’Etat a conçu un plan de sauvetage destiné aux entreprises en difficultés en leur apportant l’appui financier adéquat pour qu’elles puissent poursuivre leurs activités et sauvegarder les emplois. Une Commission technique a été créée en 2011 ayant pour mission de traiter les dossiers des entreprises en difficultés, en vue de fournir les indemnisations nécessaires pour redresser leur situation financière. D’après les statistiques, 1039 entreprises ont présenté leurs dossiers dont 704 ont bénéficié d’une indemnisation, sachant que 180 entreprises bénéficiaires opèrent dans le secteur agricole, 320 dans le domaine commercial et 311 entreprises industrielles.
Contrats de performance
D’un autre côté, et pour veiller à la pérennité de l’entreprise publique, le gouvernement a mis en place des programmes de réforme et de traitement de la situation de ces établissements publics. Ces programmes ont été conçus conjointement avec toutes les parties prenantes, en vue de préserver leurs équilibres financiers et leur compétitivité économique, et ce, à travers la restructuration et le partenariat public-privé. Pour développer la gouvernance des entreprises publiques, ce programme s’articule autour de plusieurs axes, dont le traitement au cas par cas des sociétés en difficulté et des secteurs, le renforcement de la compétitivité des entreprises publiques, la contribution de l’Etat dans le capital des entreprises, la mise en place des fondements de la bonne gouvernance outre l’instauration du dialogue social lors de chaque opération de sauvetage…
Par ailleurs, le gouvernement a entamé l’exécution d’une stratégie pour améliorer le rendement des entreprises publiques et instaurer un système de contrôle à travers des «contrats de performance». L’objectif étant de limiter les risques financiers de ces entreprises. Ces contrats ont été signé avec la Steg, l’Office national des céréales, la Régie nationale du tabac et des allumettes (Rnta)…, fournissant des indicateurs permettant d’actualiser le rendement de ces entreprises et d’intervenir au moment opportun pour examiner les effets négatifs.
Pertes colossales
Depuis 2011, les pertes des entreprises publiques s’accumulent d’une année à l’autre. Ces pertes sont en majorité structurelles. Ces pertes concernent notamment neuf entreprises en l’occurrence la Cnss (452,2 MD), la Steg (354,4 MD), Tunisair (165,5MD), la Transtu (135,5 MD), la CPG (109,8 MD), la Sncft (78,1MD), le GCT (72 MD), la Régie nationale des tabacs et des allumettes Rnta (63,3 MD), et Tunisie Telecom ( 51,8MD).
Plusieurs entreprises publiques sont aujourd’hui en restructuration, et d’autres bénéficieront certainement du concours du budget de l’Etat pour assurer leur survie, ou le simple paiement des salaires.
La situation financière actuelle des entreprises et établissements financiers au cours des dernières années est due à la détérioration du cours du dinar par rapport aux principales devises, la régression du secteur touristique, et la baisse de la production du phosphate. D’autres facteurs endogènes relatifs à la gestion et à la gouvernance de ces établissements expliquent la contreperformance de ces entreprises.
Détérioration
Les entreprises publiques, dont la participation au PIB s’élève à 9,5% en 2016 contre 13% en 2010, voient leur performance se détériorer d’une année à l’autre. Les indicateurs clés reflètent une crise profonde, observée dans ces pertes cumulées qui ont touché 50% des entreprises publiques, sans tenir compte des caisses sociales.
De même, la masse salariale a augmenté, passant de 2580 MD en 2010 à 4000 MD en 2016, soit une évolution de +55%. Sachant qu’une hausse de 80% de la masse salariale a été enregistrée entre 2010 et 2016 (GCT, CPG, Rnta, Cnss, Cnam, Sndp…).
Cette détérioration est due à l’absence d’une vision sur le rôle des entreprises publiques, la faiblesse de la gouvernance globale du secteur public économique, de la gouvernance interne des entreprises publiques, du dialogue social et de la responsabilité sociétale avec une multiplication des grèves et des mouvements sociaux, outre l’augmentation non étudiée du nombre de salariés infondée et des salaires.
D’autres facteurs sont à l’origine de cette crise émanant de plusieurs insuffisances au niveau organisationnel, en l’occurrence la faiblesse de la gestion prévisionnelle des ressources humaines, des structures d’audit, du contrôle de gestion et de comptabilité analytique avec un manque de moyens humains, matériels et financiers.
Parmi les causes fondamentales figurent également l’absence d’un système d’information performant sur les entreprises, d’une structure unifiée chargée de la gestion du portefeuille de l’Etat outre la faiblesse des moyens humains et matériels des structures de suivi et de contrôle des établissements publics. A ceux-ci s’ajoutent la faiblesse des mécanismes de partenariat public-privé notamment pour les entreprises concurrentielles, l’absence de structures de financement de la responsabilité sociétale des entreprises publiques et de critères clairs pour l’octroi de subventions.
En l’absence d’une stratégie actionnaire de l’Etat, la restructuration des entreprises publiques ne peut pas aboutir à des solutions radicales (facilités bancaires, rééchelonnement de dettes…), vu la complexité des procédures et les insuffisances au niveau de la gouvernance interne et de la publication des informations financières des entreprises publiques.
L’absence d’opérations de restructuration financière radicale des entreprises publiques traduit l’insuffisance du rôle de l’Etat garant de la continuité du service public stratégique et de l’incapacité d’exécution des investissements en infrastructure.
D’après les experts économiques, « la restructuration financière exige une révision des procédures, une identification des entreprises à restructurer en priorité, concernant notamment leurs besoins de financement. Il s’agit aussi d’élaborer une étude sur la possibilité de créer un fonds national de recouvrement dédié à la recapitalisation des entreprises opérant dans des secteurs concurrentiels, de développer le partenariat entre les entreprises publiques et le secteur privé, et d’ouvrir le capital des entreprises publiques aux employés».
‘(Image par Photo Mix de Pixabay )