Contraints à des sacrifices de taille, les tenanciers des cafés traversent des jours difficiles
Ariana, 8 heures du matin. Nous sommes à l’entrée d’un café très connu dans la ville. Quelque …quatre consommateurs sont là. Sur les 27 tables que compte l’établissement, seules trois sont occupées. Les autres étant désespérément vides. Derrière sa caisse, Am Salah, le propriétaire du café qui porte bien ses 67ans, arbore un air triste. Le contraire aurait étonné, quand on sait que, de mémoire d’un fidèle habitué des lieux, cet établissement affichait régulièrement complet, allant parfois jusqu’à refuser du monde.
Approché, Am Salah est tout simplement inconsolable.« C’est depuis samedi, gémit-il, que la dégringolade a commencé, avec la perte de plus de la moitié de ma clientèle. Le lendemain, et comme tous les dimanches de forte affluence, je m’attendais à un léger mieux. Que nenni, puisque je n’ai réussi à réaliser qu’à peine 30 pour cent de mes recettes habituelles ».
Et pourtant, le patron de la boîte affirme s’être conformé à toutes les mesures préventives prises par la municipalité dans le cadre de la lutte contre le coronavirus : stérilisation du local, acquisition d’un stock de produits désinfectants, serveurs munis de gants, remplacement des tasses et des verres par les gobelets, interdiction de la chicha. …« J’ai tenu à appliquer scrupuleusement ces instructions, même si j’étais persuadé qu’elles ne plairaient pas à mes clients. Résultat: je suis au bord de la faillite »,précise-t-il.
Série noire
La peine de Am Salah semble incommensurable.« Vous ne pouvez pas imaginer à quel point le coup dur que je viens de subir est lourd de conséquences. Premièrement, en me privant de la commercialisation de la chicha, c’est la moitié de mes gains quotidiens qui s’est évaporée dans la nature. Deuxièmement, comment vais-je faire nourrir une famille composée de six membres, dont deux jeunes au chômage ?. Troisièmement, les produits de nettoyage et de désinfection ont brusquement triplé, alors que le simple gobelet, qui coûtait entre 30 et 50 millimes et qui se vend désormais à 150 millimes, est actuellement « introuvable ». Tout cela, sans compter le manque à gagner consécutif à l’interdiction des jeux de cartes. Avouons que c’est trop. »
Si l’exemple de Am Salah donne des frissons dans le dos, il y en a d’autres qui font mal au cœur. Tel celui du tenancier d’un chic salon de thé situé dans la très huppée Cité Ennasr 2.
« C’est un vrai désastre » lâche -t-il, irrité. Que faire avec ma banque auprès de laquelle j’ai contracté un crédit pour monter ce commerce? Quel sort m’attend suite aux chèques que j’ai émis et dont les échéances sont imminentes ? Et faute de pouvoir aspirer à un autre prêt bancaire, je risquerais carrément de me retrouver en prison. Moi, je ne reproche rien à mes clients qui, la psychose du coronavirus aidant, ont mille fois raison de boycotter cafés, restaurants, bars et boîtes de nuit. Mais, franchement, j’ai une dent contre certains de mes concurrents qui se sont empressés, ces jours -ci, de suivre les consignes sans aucune difficulté. C’est là un mauvais exemple, voire une insulte à notre secteur qui a nécessairement besoin de solidarité en cette conjoncture exceptionnellement difficile. Eux, ils l’ont fait parce qu’ils sont financièrement très puissants ,et donc capables de surmonter une telle crise. Nous, par contre, personne ne se soucie de notre cas».
Et notre interlocuteur, encore dans tous ses états, d’achever son procès en émettant le vœu de voir l’État trouver des alternatives et des solutions de rechange « pouvant nous permettre de bénéficier d’un rééchelonnement de nos crédits bancaires ».
Dans le même contexte de cette « série noire », on a constaté que la vitesse à laquelle s’est propagée l’épidémie a poussé certains des 20 mille cafés du pays à fermer, alors que d’autres ont dû se résoudre à réduire considérablement leurs effectifs.
Une solution forcément impopulaire qui a suscité la grogne des serveurs mis au chômage forcé, et plus particulièrement ceux qui redoutent la cessation du versement, par leurs employeurs, de leurs cotisations auprès de la Cnss.
Dure, dure sera la reprise
Reste enfin à savoir à quand la reprise dans ce secteur. Si la majorité des cafetiers versent dans le pessimisme en parlant « d’incertitudes ténébreuses et de conséquences désastreuses », il n’en est pas de même pour notre Am Salah qui nous a accompagnés jusqu’à la sortie de son café, en nous balançant ce message si sage et optimiste :« Si long soit le temps que durera cette traversée du désert, on finira, Inchallah, par s’en sortir, moyennant un peu de patience et de sacrifice, car ça n’arrive pas qu’aux autres. Quant à la reprise, je suis sûr qu’elle sera dure, très dure même, les pertes essuyées n’étant pas rapidement compensables. Mais, de grâce, ne perdons pas espoir » .
Mohsen ZRIBI