C’était attendu et prévisible. Les premières victimes collatérales touchées de plein fouet par le coronavirus sont les catégories sociales les plus démunies et les plus défavorisées. Ce sont les vendeurs des kiosques à journaux, les serveurs qui travaillent dans les cafés, les restaurants et autres fast-foods et gargottes, les employés des bains maures, les artisans, les plombiers, les mécaniciens… Ce sont aussi les métiers précaires qu’exercent ces femmes qui ont loué un petit local pour fabriquer et vendre tabouna et mlewi, ces pains à base de semoule très appréciés par les Tunisiens. Ce sont également les éboueurs et les employés travaillant dans des sociétés de sous-traitance, les barbachas, les femmes qui, le dos courbé par la fatigue, ramassent le pain rassi et les bouteilles vides qu’elles revendent contre un maigre pécule et les cireurs dans la rue à l’affût de monnaie sonnante et trébuchante en échange d’un coup de brosse…
Contrairement aux salariés, ces milliers de petits travailleurs, qu’on a l’habitude de rencontrer sur notre chemin, sont tributaires d’une paie journalière qui constitue une bien maigre ressource permettant de subvenir à leurs besoins et ceux de leurs familles. L’annonce du confinement général a eu l’effet d’un coup de massue pour bon nombre d’eux. C’est le cœur lourd et la peur au ventre qu’ils ont tous été contraints de se cloîtrer chez eux. Cette première semaine a été insoutenable car non seulement ils n’avaient pas suffisamment de ressources pour constituer des stocks de provision leur permettant de tenir pendant la période de confinement, mais ils ont souffert, par ailleurs, de la pénurie des denrées de base leur permettant de faire leur pain à la maison et qui sont la semoule, la farine et l’huile subventionnée.
Chômage forcé et manque de ressources
Des milliers de jeunes exerçant des métiers précaires et qui ne sont jamais arrivés à joindre les deux bouts se sont retrouvés au chômage forcé. Ils ont choisi, tout de même, de faire contre mauvaise fortune bon cœur et ont attendu patiemment les aides substantielles promises par l’Etat qui leur permettraient de supporter cette période de confinement, s’apparentant davantage à une chape de plomb ou plutôt à une prison à ciel ouvert. Nada. Finalement, rien n’a pointé à l’horizon. Entre la peste et le choléra, ils ont choisi, le choléra ou plutôt de braver le «corona».
En effet, le désespoir et la faim qui tenaille l’estomac ont été plus forts que la peur du virus invisible, jetant, avant-hier, à la rue des centaines de jeunes et de citoyens à la situation précaire. Ils ont bloqué la route et brûlé des pneus dans la cité d’El Mnihla pour exiger les aides promises par l’Etat afin de pouvoir survivre. Aujourd’hui, la colère couve, sur fond de tension, dans les quartiers populaires. Présente, lundi dernier, sur le plateau d’une chaîne privée, une représentante du ministère des Affaires sociales s’est voulu rassurante, affirmant que des aides allaient être débloquées dans les jours qui suivent, consistant en l’augmentation de 50 dinars de l’allocation destinée à chacune des 260 mille familles démunies (carnet blanc) et en le versement d’une allocation spécifique de 200 dinars au profit de 623 mille familles. Ces promesses bien belles, certes, rendent urgente, aujourd’hui, la nécessité de déployer le plus rapidement possible les moyens logistique efficaces afin de faire parvenir ces aides aux familles qui en ont le plus besoin.
Auquel cas ce qui s’est passé à El Mnihla ne sera alors qu’un avant -goût de ce qui risque de se passer dans les jours et les mois à venir car tout le monde l’a bien compris: on est au bord de l’implosion sociale.