Accueil Société Interview avec Rim Abdelmalek, professeur en maladies infectieuses à l’hôpital La Rabta de Tunis: « Il ne faut pas baisser la garde »

Interview avec Rim Abdelmalek, professeur en maladies infectieuses à l’hôpital La Rabta de Tunis: « Il ne faut pas baisser la garde »


Bien que le nombre de contaminations et de décès ait baissé un peu partout dans le monde, la bataille n’est pas encore gagnée contre le coronavirus. Les blouses blanches sont sur le qui-vive et craignent qu’une nouvelle vague de contamination ne survienne suite au relâchement des gestes barrières. Mais au-delà de la pandémie et de ses conséquences sur le plan social, sanitaire, économique…c’est surtout la différence de la situation épidémiologique d’un pays à l’autre qui suscite des points d’interrogation au sein du milieu scientifique et médical. En effet, alors que les morts se comptent par dizaines de milliers en Espagne, en France, en Italie… des pays comme la Tunisie, le Vietnam ou la Mauritanie semblent relativement épargnés par le virus. Des mesures anticipatives et drastiques, à l’instar de la fermeture des frontières  et de la suspension du trafic routier entre les gouvernorats sauf en cas d’extrême urgence en Tunisie ou du dépistage massif pour le Vietnam ont permis de freiner la pandémie, mais il ne s’agirait pas que de cela. Aujourd’hui, les chercheurs en médecine tentent de percer ce mystère en explorant plusieurs pistes en rapport avec le degré de virulence des différentes souches du virus, la génétique, l’environnement, le climat, le régime alimentaire… Rim Abdelmalek, professeur en maladies infectieuses à l’hôpital de La Rabta, nous en dit plus à ce sujet en tentant d’apporter des réponses à la situation épidémiologique en Tunisie.


La semaine dernière, nous sommes passés  d’une moyenne de 20 cas par jour, à 40, puis nous sommes passés ensuite à cinq, puis à deux et enfin treize cas. Le dernier bilan des contaminations fait état à nouveau d’un nombre peu élevé de cas testés positifs au Covid-19. Nous avons une courbe assez singulière qui ne ressemble pas du tout à celles des pays sévèrement touchés par la pandémie. Comment expliquez-vous une telle variation dans les chiffres?

Effectivement, prenons l’exemple des urgences de l’hôpital La Rabta. Nous nous sommes préparés à l’afflux des malades du Covid-19. Finalement, il y a très peu de cas suspects et contaminés. Le circuit Covid-19 reçoit en moyenne tous les jours entre dix et quinze cas qui  se présentent pour un dépistage suite à un banal mal de gorge ou parce qu’ils croient être malades du coronavirus alors qu’ils ont les symptômes d’une autre pathologie ou de l’angoisse. Idem pour le service des soins intensifs et de réanimation où nous avons peu de patients hospitalisés. Nous ne sommes pas du tout sur les chiffres européens. Il n’y a pas de doute que les mesures de confinement, l’instauration de gestes barrières et la stratégie du ministère de la Santé ont fini par porter leurs fruits. C’est déjà une explication. Mais ces chiffres pourraient également avoir d’autres raisons. Il y a un moment où on a pensé que ceux qui se suspectent d’avoir les symptômes du coronavirus hésitent à appeler le 190 ou à consulter parce qu’ils ont peur d’être transférés dans un centre d’isolement obligatoire. Or, je ne pense pas qu’une personne se trouvant chez elle et présentant une gêne respiratoire grave se retiendrait d’appeler le 190 ou d’aller aux urgences. Ces chiffres pourraient s’expliquer aussi par le retard observé pour certains résultats d’analyses. La semaine dernière, il y a eu une panne technique au sein du laboratoire d’analyses de l’Institut Pasteur qui a été signalée par le Pr Bouattour dans un communiqué officiel et qui a entraîné un certain retard dans le rendu des analyses. Il est question également de la qualité des prélèvements naso-pharyngés dont dépend directement le pourcentage des tests positifs et du ciblage des personnes prélevées… Il y a beaucoup de suppositions.

Le nombre de personnes contaminées est en train de baisser et celui des décès est stable. Pensez-vous que nous ayons dépassé le pic prévu la semaine dernière et que la phase de danger est derrière nous?

Nous avons réussi à aplanir la courbe depuis une quinzaine de jours. Maintenant, il ne s’agit pas d’une science exacte. Il y a toujours plusieurs modélisations et scenarios épidémiologiques possibles.

Avec le relâchement observé la semaine passée, peut-on s’attendre à un retour de manivelle?

Oui, cela est tout à fait envisageable. Il faut continuer à respecter les gestes barrières et surtout ne pas baisser la garde. La bataille est loin d’être gagnée. Généralement, ce n’est qu’un mois à 40 jours après le dernier cas de contamination enregistré qu’il est possible d’affirmer que nous sommes sortis de la crise et que nous nous trouvons hors de danger. Mais il s’agit d’un virus tellement imprévisible!

Il y a une étude scientifique qui a été publiée et selon laquelle la Tunisie atteindrait son pic en plein été et comptera des dizaines de milliers de décès…

Il s’agit  là d’une hypothèse très peu probable.

Comment expliquer le fait que le nombre de malades contaminés et celui de décès soient très faibles chez nous en comparaison avec nos voisins européens qui comptent des contaminations et des décès par centaines et par milliers? Est-ce parce que nous sommes une population relativement jeune?

Le milieu médical tunisien ignore quelles sont les causes exactes à l’origine du nombre peu élevé de contaminations et de décès. On découvre des nouveautés sur ce virus tous les jours. Plusieurs hypothèses sont avancées mettant en exergue le caractère multifactoriel. Il se pourrait  que la souche du coronavirus en Tunisie soit moins virulente. Nous ne pouvons pas le savoir car il n’a pas encore été séquencé en entier. On pense également aux facteurs liés au climat, à l’environnement, à la génétique… Il semblerait que le fait d’être vacciné contre la tuberculose (BCG) ou d’avoir un bon microbiote intestinal grâce au régime alimentaire méditerranéen, riche en fruits et légumes par rapport aux autres régimes, notamment européens, nous protégerait mieux contre ce virus. Mais ce ne sont là que des hypothèses. Nous ne savons pas pourquoi des populations sont mieux armées que d’autres sur le plan immunitaire. Mais en Europe, on sait déjà que les personnes âgées qui avaient une grande probabilité de mourir de la grippe mais qui ont été épargnées, à cause du climat clément cette année, sont finalement mortes du coronavirus, c’est ce qui expliquerait, entre autres, le nombre élevé de décès dans certains pays européens.

Il semblerait que les hommes soient plus touchés que les femmes par le coronavirus…

Les hommes sont un peu plus touchés que les femmes sur le plan mondial et jusqu’à trois fois plus en réanimation. Sinon, en Tunisie, je n’ai pas remarqué une grande différence entre le nombre d’hommes et de femmes qui consultent au circuit Covid de l’hôpital La Rabta.

Les symptômes de la maladie Covid-19 varient d’une personne à l’autre. Chez certains, la maladie est complètement asymptomatique alors que d’autres se plaignent, par contre, de fièvre, de fatigue intense, de violents maux de tête…

Le système immunitaire diffère d’une personne à l’autre. Il y a des systèmes immunitaires qui vont vite s’emballer et faire de «l’excès de zèle», entraînant ainsi une forte réaction inflammatoire, à l’origine de  l’apparition de plusieurs symptômes graves, alors que des systèmes immunitaires «tolérants» seraient à l’origine des formes asymptomatiques ou peu symptomatiques chez des malades atteints du coronavirus.

Pouvez-vous nous dresser le profil des personnes qui sont décédées jusqu’à présent du coronavirus?

Ce sont en majorité des personnes relativement âgées et/ou qui présentent des comorbidités. Sinon, les formes sévères et graves sont rares. Jusqu’à présent, dans les services de réanimation tunisiens dans lesquels sont hospitalisées les formes graves, le recours aux respirateurs artificiels est peu fréquent. Les malades présentant des formes sévères sont mis sous traitement adapté. Cela se passe relativement bien et leur état finit par s’améliorer.

Pensez-vous que l’éventualité que le virus soit présent entre nos murs bien avant l’annonce du premier cas de contamination, depuis  le début de l’année, puisse être envisagée?

Je pense que cette hypothèse est peu probable dans la mesure où nous avons un centre de référence des maladies virales respiratoires au sein de l’hôpital Charles Nicolle qui assure un travail de veille efficace et qui surveille tous les virus qui circulent dans notre territoire, en déclenchant automatiquement l’alerte. Donc si ce virus était là depuis janvier, il ne serait sûrement pas passé inaperçu. Nous avons une stratégie de surveillance sanitaire et un plan d’alerte et de lutte qui est automatiquement déclenché dès l’apparition d’un virus qui pourrait provoquer une épidémie à l’échelle nationale. D’ailleurs, les tests effectués en janvier étaient positifs au virus grippal. Par ailleurs, nous n’avons pas attendu que le coronavirus arrive en Tunisie pour mettre en place des mesures de prévention. La technique de diagnostic a été rapidement validée à l’hôpital Charles Nicolle par l’équipe de Pr Ilhem Boutiba. Mme Sonia Ben Cheikh, l’ancienne ministre de la Santé, entourée par un groupe de travail, avait déjà pris des mesures anticipatives depuis le mois de janvier dernier. Actions continuées par M. Abdellatif Mekki et le groupe ministériel actuel.

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