Retour par «Deloitte» sur les mesures prises par la Banque centrale de Tunisie et ses impacts sur les banques.
Devant les ralentissements économiques et la crise de liquidité qui se profilent, la BCT a choisi une position prudente et anticipatrice. Première mesure phare de soutien à l’économie, la BCT a décidé de baisser son taux directeur de 1% ,ce qui a eu pour conséquence la baisse du TMM et, donc, l’allégement des charges d’intérêts des entreprises. Il est toutefois légitime de se poser la question quant à la suffisance de cette baisse que l’on aurait pu imaginer aller jusqu’à 3 points de base – soit son niveau d’avril 2017 – pour financer les investissements nécessaires à une croissance économique durable.
L’appel à la suspension de distribution des dividendes a, quant à lui, suscité de vives réactions auprès des actionnaires des banques, et pour cause ! Cette incitation ayant pour objectif de renforcer la stabilité des fonds propres des établissements financiers n’a pas été très bien accueillie par les porteurs de parts qui voient leurs revenus financiers s’éloigner pour cette année. Encore faudrait-il que les assemblées générales d’approbation des états financiers 2019 puissent se tenir…
Confinement sanitaire total
Qu’en est-il de l’aspect juridique de la difficulté de tenue des conseils d’administration et assemblées générales ?
Une des mesures majeures de lutte contre la pandémie du Covid-19 est la mise en place par certains gouvernements du confinement sanitaire total ayant pris effet en Tunisie le 22 mars ; celui-ci se poursuivra jusqu’au 4 mai prochain pour laisser place à un déconfinement progressif dont les modalités restent encore à définir. Ces décisions ne sont pas sans impact sur la tenue des conseils d’administration, l’arrêté des comptes et des assemblées générales d’approbation des états financiers au 31 décembre 2019 et les arrêtés des situations intermédiaires suivantes.
En effet, s’il est autorisé que les réunions se tiennent en utilisant les moyens de communication à distance, celles-ci doivent être réalisées en bonne et due forme, et vérifier que la convocation des membres du conseil et des commissaires aux comptes ait été effectuée de façon régulière afin de garantir les droits de tous les administrateurs.
En revanche, concernant les assemblées générales, le sujet est un peu plus délicat. Bien que le vote puisse se faire par correspondance ou par représentation par une personne dûment mandatée, celui-ci n’est valable que si la signature apposée au formulaire est légalisée. En cette période de confinement généralisé et de limitation des services publics, ces conditions sont bien difficiles à remplir… Se pose alors la question de la validité des délibérations relatives aussi bien à l’approbation des comptes qu’aux décisions portant, par exemple, sur l’affectation des résultats, la distribution de dividendes et des jetons de présence si ces conditions n’étaient pas respectées.
Signature électronique
Voilà encore une belle opportunité pour la Tunisie pour mettre en place la signature électronique et sauter le pas de la digitalisation. Ces décisions auront un impact financier direct sur le chiffre d’affaires 2020 avec une baisse significative du volume des commissions, qui pourra toutefois être compensée par une reprise à partir de 2021, et ce, sur le long terme, avec un effet volume non négligeable si le taux d’équipement en carte des ménages est maintenu.
Nous pouvons également voir dans cette crise une occasion unique afin de généraliser la bancarisation de la population tunisienne, introduire le concept de « mobile paiement », moderniser et digitaliser notre système bancaire, introduire le recours aux cartes virtuelles encaissables auprès de tous les guichets de la poste, des établissements bancaires et des DAB pour le paiement des aides sociales… et pourquoi pas lutter contre le blanchiment d’argent en limitant la circulation des espèces dans un pays où l’économie informelle en représente une part significative.
Quelles sont les possibilités qui s’offrent aux banques pour le traitement des reports ?
Plusieurs possibilités se présentent aux banques pour le traitement des reports pour la clientèle Entreprises et Professionnels. Impact sur le montant des mensualités ou allongement de la durée des crédits, la décision prise par les banques devra nécessairement prendre en compte la capacité de remboursement des bénéficiaires.
• La 1ère alternative consisterait à allonger la durée du crédit initial d’une durée équivalente à celle du report ou plus. Cette possibilité a pour avantage de conserver le montant de la mensualité initiale en allongeant la durée totale du crédit, pour prendre en compte les intérêts intercalaires et la capacité de remboursement du créancier. La question portera alors sur les modalités d’imputation des intérêts intercalaires sur les flux de remboursement.
• La 2e solution consisterait à conserver la même durée de remboursement et le même nombre d’échéances en imputant les intérêts intercalaires courus sur toute ou une partie de la période de report. Ainsi la date d’échéance initiale serait conservée, mais le montant des mensualités se verrait majoré par rapport à l’échéancier initial et le taux effectif du crédit augmenté.
• Enfin, une 3e hypothèse pourrait être la mise en place d’un nouveau crédit, dont le principal serait égal à la somme du capital restant dû à la date de mise en place du report et du montant des intérêts courus.
Se prémunir contre les risques
Il n’est pas exclu que les banques utilisent des solutions différenciées en fonction du profil de leur clientèle et de l’évolution de leur situation financière. Dans tous les cas, et afin de se prémunir contre les risques de non-remboursement, les banques devraient, malgré un coût certain et une difficulté opérationnelle de mise en place, procéder à des avenants sur les crédits en cours, précisant les nouvelles modalités applicables.
Quid des frais de gestion liés à la mise en place des nouveaux protocoles et des pénalités de retard ?
La circulaire est restée muette quant à l’existence ou non de frais de gestion liés à la mise en place des nouveaux protocoles et pénalités de retard. Devant cette abstention, il nous apparaît évident que oui, les banques feront supporter aux professionnels, qui demandent le report, des frais supplémentaires pour la mise en place des nouveaux échéanciers.
Covid-19 : Impact des mesures de la Banque centrale de Tunisie sur les Banques :
– Circulaire N° 07 – 2020 du 25 mars 2020 et circulaire N° 08 du 1er avril 2020.
– Les circulaires n°7 et 8 sont à destination des banques uniquement et traitent des reports des tombées d’échéances au profit des particuliers.
Si la première circulaire ne concernait que les revenus inférieurs à 1. 000 TND, la 2e circulaire est venue élargir le périmètre à l’ensemble des revenus. Elle a suscité de nombreux débats quant au traitement de ces reports et la question de l’impact de la charge sur les particuliers ou non.
La Banque centrale a finalement tranché : la charge de remboursement mensuelle restera inchangée, pas de frais supplémentaires en intérêts, commissions ou autres charges bancaires ; même si ces dispositions se traduisent effectivement
par la concession d’une partie des marges des banques.
Quel est alors le sort des intérêts intercalaires ?
Selon un communiqué ayant pour objet le traitement du report des échéances d’après la circulaire 07-2020 et 08-2020 publiée par l’Association professionnelle tunisienne des banques et des établissements financiers (Aptbef) le 14 avril 2020, il a été convenu d’appliquer une même démarche pour toutes les banques.
Celle-ci consiste à consolider l’encours arrêté à la date du report majoré des intérêts courus au taux conventionnel du crédit initial durant la période du report, sans intérêts de retard et sans pénalités, sur la durée initiale du crédit prolongée de la période du report (3 ou 7 mois).
Il est important de souligner que le principe de base du nouvel échéancier est que la charge de remboursement mensuelle n’augmente pas. Selon notre analyse, le traitement le plus probable est la mise en place d’un avenant entre la banque et le client garantissant le montant de la mensualité et le même nombre de tombées que le crédit initial. Le manque à gagner relatif à la non- facturation des intérêts intercalaires sera alors supporté par la banque et se traduira par une baisse des taux d’intérêts effectifs.
Le report pourra être effectué selon 2 hypothèses :
– Hypothèse 1 : Réaménagement du crédit à compter du 1er juillet ou 1er octobre avec l’application d’un taux d’intérêt révisé à partir de cette date et maintien du taux initial sur la période du report.
– Hypothèse 2 : Réaménagement du crédit à compter de la date de report, avec l’application d’un taux d’intérêt révisé dès cette date. Quelle que soit l’hypothèse retenue, les banques sont appelées à opter pour les démarches les plus souples, sans complexité technique au titre des opérations de report pour modifier les clauses contractuelles.
Dans tous les cas, ce sont les banques qui supporteront le manque à gagner par diminution de leurs marges.