Une fois l’épidémie maîtrisée, c’est l’économie qui risque d’y laisser des plumes. Dès lors, un plan de relance, qui permet non seulement d’assurer la reprise de l’activité économique, mais aussi de dénicher les nouvelles opportunités créées par la crise du coronavirus, doit être pensé et mis en œuvre, dès maintenant.
Sur le plan social, la Tunisie d’après Covid-19 peut partir en vrille. En raison de la dégradation de la situation socioéconomique qui a été induite par la crise sanitaire, le risque d’explosion de remous sociaux est important. Cette situation préoccupante est un secret de polichinelle.
En effet, selon les estimations du FMI, le taux de croissance en Tunisie sera de – 4,4% en 2020. Un taux jamais atteint dans l’histoire du pays. Or, la crise du coronavirus est survenue sur fond de contexte socioéconomique spécifiquement difficile qui se caractérise par un essoufflement datant de plusieurs années, voire des décennies.
“Si nous n’avons pas une réponse structurée au Covid-19, les tensions sociales pourraient avoir des effets dévastateurs, dans les prochains mois”, a prévenu l’économiste et ancien ministre Elyes Jouini, dans son intervention lors du webinar qui a été organisé mercredi 6 mai par l’Association des Tunisiens des Grandes Ecoles (Atuge). L’événement a regroupé plusieurs économistes pour débattre des réponses envisageables à la crise ainsi que de son impact sur l’économie tunisienne.
Le Covid, un élément explosif
Dans son intervention, l’ancien ministre a dépeint, en premier lieu, le contexte économique et social dans lequel l’épidémie a surgi. Il a également présenté une batterie d’actions qui peuvent faire office de réponse financière au Covid-19 et les grandes lignes d’une stratégie post-covid. “Le Covid est venu rajouter un élément explosif à une situation dégradée sur les plans social et économique”, a-t-il souligné.
Selon lui, plusieurs facteurs sont, en effet, à l’origine de cette situation intenable, à savoir une économie parallèle dominante, un État affaibli, un clientélisme et une économie de rente renforcés par l’absence de contrôle du financement politique, l’explosion de la dette publique et l’apparition de nouvelles formes d’action sociale, à l’instar de winou el pétrole, manichmsemeh, etc.
Au sujet de la réponse financière au Covid-19, l’économiste a énuméré un ensemble d’actions envisageables, à cet effet, notamment la renégociation de la dette publique et privée, l’endettement intérieur à taux bas et longue durée et la monétisation de la dette. Il a également appelé à instaurer un impôt de solidarité sur le patrimoine qui sera le fondement d’un nouveau pacte social.
Cette nouvelle taxe permet d’afficher un objectif de justice sociale et de redistribution, étant donné qu’elle n’interfère pas avec les marchés en ciblant les personnes et non les entreprises et qu’elle protège les nantis des taxes erratiques ad hoc.
Rompre avec l’économie de rente
En ce qui concerne l’après-Covid-19, l’économiste a fait savoir qu’une stratégie post-Covid doit être élaborée et mise en œuvre dès maintenant. Elle passe, avant tout, par une rupture avec l’économie de rente. “L’économie de rente et la corruption vont de pair et constituent tous les deux des freins à l’investissement”, a-t-il affirmé. Il a ajouté que l’enjeu actuellement consiste à se repositionner sur la chaîne de valeur.
La proximité géographique et stratégique avec l’Europe est un atout pour la Tunisie qu’elle doit exploiter pour ce faire. Toujours dans le cadre de cette même stratégie, l’ancien ministre a proposé la mise en place de couples de Hauts -responsables à la coopération industrielle et technologique entre la Tunisie et les pays partenaires, dont la mission est de travailler au jour le jour sur les possibilités de relocalisation des unités industrielles en Tunisie.
Par ailleurs, il a préconisé de s’adosser à la diaspora tunisienne pour mobiliser et mettre en place un réseau de conseillers du développement économique, qui doit être implanté à l’étranger et qui fera office de porte-parole habilité de la politique économique tunisienne.
Défaillance institutionnelle
Intervenant sur les éléments de relance pour l’après-Covid-19, l’économiste et universitaire Abderrazak Zouari a souligné qu’il est urgent de mobiliser tous les moyens nécessaires pour que “les entreprises utilisent toutes leurs capacités de production”. Par ailleurs, il a mis l’accent sur l’urgence d’accélérer la transition technologique et de faire “un saut technologique”.
“Nous sommes dans un sentier d’état stationnaire. Cette crise a mis à nu une défaillance institutionnelle dans le pays. Elle a montré qu’on manque de transparence et qu’on ne peut pas faire preuve d’une adaptabilité suffisante au changement. On fait face à la crise avec une architecture institutionnelle qui date des années 70 avec les mêmes règles du jeu, la même gouvernance”, a-t-il noté dans le même contexte.
Par ailleurs, l’économiste présage que l’effet de la crise sur le taux de croissance va durer au cours des années à venir, prévoyant des taux de croissance négatifs pour les trois prochaines années.
Une loi de finances rectificative
Pour l’économiste Hakim Ben Hamouda, la réponse au Covid-19 doit se faire à deux niveaux, à savoir le court et le moyen terme. Il a précisé qu’en premier temps, il est urgent de définir un plan de sauvetage qui s’étale jusqu’à la fin de l’année 2020 et qui permet d’apporter un soutien aux entreprises et aux couches sociales vulnérables.
“Ce plan doit être exprimé de manière forte dans une loi de finances rectificative que le gouvernement doit décider au plus vite”, a-t-il souligné. Le deuxième axe de la réponse consiste en un plan de relance de 4 ans qui définit les opportunités de changement occasionnées par la crise du coronavirus. Il estime que les ressources financières à mobiliser pour retrouver une croissance 0% sur la base de 4% de récession, s’élèvent à 12 milliards de dinars.