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Des familles entières dans la précarité absolue : Les victimes sociales de la pandémie

La Tunisie, à l’instar des autres pays du monde, s’est trouvée  confrontée  à deux fléaux : la crise sanitaire due au coronavirus et la crise alimentaire qui frappe un grand nombre de foyers. L’épidémie a plongé des familles entières dans la précarité absolue. Plusieurs travailleurs ont perdu leur emploi du fait du confinement qui nous est imposé. Le pouvoir d’achat des plus démunis s’est effondré.

La pandémie de Covid-19 est venue rappeler une réalité amère à ceux qui feignaient de l’ignorer. Nos insuffisances et nos multiples fragilités que nous connaissions ont été étalées au grand jour et sont désormais visibles. Les familles nécessiteuses et même celles appartenant à la classe moyenne rencontrent des difficultés pour survivre. Certaines vivent dans une situation de privation totale, d’autres dans une pauvreté absolue et le reste souffre de la précarité face aux vicissitudes de la vie, aux tempêtes économiques.

Cette crise sanitaire a eu un impact dévastateur sur les ménages pauvres, plongés dans la précarité,  qui n’ont pas suffisamment d’épargne et de ressources financières et ceux ayant des emplois vulnérables (petits métiers, artisanat ou dans l’informel…).

Les représentations syndicales des différents secteurs et les organisations professionnelles ont  tiré la sonnette d’alarme sur les difficultés auxquelles font face les commerçants et les employés durant les périodes de confinement et de déconfinement, en révélant des indicateurs inquiétants et en rappelant la fragilité financière des travailleurs journaliers, qui vivaient avec des revenus modestes bien avant la crise sanitaire.

Tout en évoquant un risque de faillite généralisée et un tissu économique en danger, les syndicats, les organisations professionnelles, la société civile, etc. ont mis en garde contre le risque d’une transformation de la crise économique que vivent les familles en une crise sociale.

De plus, cette crise sanitaire pourrait provoquer l’émergence  de fléaux sociaux capables de représenter un danger pour la stabilité du pays.

Faut-il rectifier le tir dès maintenant au niveau des choix économiques et sociaux fondamentaux une fois la tempête passée ? Bien évidemment, au moment où  le pays se prépare à un déconfinement général le 14 juin 2020 et met en œuvre son plan de relance pour les mois et années à venir.

Depuis le début de l’épidémie, l’on ne cesse de dresser jour après jour le bilan des personnes ayant succombé au virus et des sujets contaminés. A ce décompte, il convient d’ajouter les «victimes sociales» de la pandémie.  Un nombre croissant de familles qui, avant l’épidémie, joignaient difficilement les deux bouts, sont à la limite du seuil de pauvreté. Sur les réseaux sociaux, les programmes et les plateaux de TV, les témoignages et les cris de détresse se multiplient de plus en plus.

Inégalités de résilience

Dans une étude publiée récemment par le Forum tunisien pour les droits économique et sociaux (Ftdes) intitulée « Pandémie Covid-19 en Tunisie : les inégalités, les vulnérabilités à la pauvreté et au chômage », Azzam Mahjoub, professeur universitaire, a mis en exergue les implications sociales de la pandémie en termes d’inégalités et de vulnérabilités à la pauvreté et au chômage et a présenté quelques scénarios pour l’après-pandémie.

En effet, le confinement, considéré comme le moyen ultime de la prévention pour réduire la propagation du virus, « a mis au grand jour les inégalités de résilience face à la pandémie du fait des disparités de revenu disponible pour l’accès aux ressources vivrières vitales en raison de la cessation subite de l’activité et la perte immédiate d’emploi ou de revenu ». D’où les colères exprimées et l’insoumission protestataire au confinement augmentant les risques de contamination. « L’afflux massif et désordonné sur les bureaux de poste pour recevoir les aides décidées par le gouvernement, au début du mois d’avril, est révélateur de la détresse de nombre de personnes pour assurer leur survie pour les uns, et un minimum de sécurité économique pour les autres », ajoute l’universitaire.

A partir du nombre de personnes concernées par le Programme national d’aides aux familles nécessiteuses (Pnafan), «on peut considérer que le taux de pauvreté extrême serait de 6,9%, soit environ 806.000 personnes. Leur nombre aurait presque doublé depuis 2010 où il n’était que 408.700, soit 3,9% ».

D’après l’universitaire, et avant 2011, le nombre de ménages bénéficiant du programme était nettement inférieur aux éligibles en raison des contraintes budgétaires imposées (des milliers de familles étaient inscrites sur des listes d’attente). « L’augmentation continue des budgets alloués a permis, depuis, d’intégrer des milliers de familles, ce qui a contribué à augmenter ce taux. Au total, on pourrait dire qu’aujourd’hui, en mai 2020, l’ensemble des personnes vulnérables serait de 2.416.000 environ, soit 20.6% de la population ».

En conséquence, près de 3 220 000 personnes, soit 27,5% des Tunisiens sont dans une situation de vulnérabilité très sévère ou sévère. « Cette population est menacée, pendant la pandémie et après, pour une période dont la durée est indéterminée à ce jour, de s’appauvrir plus pour les uns, et de tomber dans la pauvreté pour les autres ».

Selon la même source, la pandémie et l’après-pandémie, dont la durée est encore incertaine, auront des conséquences fâcheuses sur l’économie mondiale et la Tunisie, qui connaîtra une récession majeure. Les estimations de l’accroissement du nombre de chômeurs et du taux de chômage en 2020 seraient, selon les quatre scenarii, comme suit :

Dans le 1er scénario, les pertes d’emplois seraient de 15.850 et le taux de chômage passerait à 16.1%. Le 2e prévoit 47.550 pertes d’emploi, avec un taux de chômage de 16,9%. Pour le 3e et conformément aux projections de la Banque mondiale, 63.400 emplois seraient perdus et le chômage s’élèvera à 17,2%. Enfin dans le 4e scénario, 79.250 emplois seraient perdus et on aurait un taux de chômage de 17.6%.

Baisse des revenus

Dans la même lignée, une enquête a été  lancée par l’Institut national de la statistique (INS), en collaboration avec la Banque mondiale, pour étudier et suivre l’impact du Covid-19 sur les ménages tunisiens.

En effet, et sur le plan professionnel, l’activité économique a été fortement réduite pour la grande majorité des travailleurs, et une baisse des revenus a été observée. Ainsi, « seulement un tiers des personnes interrogées déclarant exercer une activité professionnelle avant le confinement ont pu poursuivre leur travail. Parmi ceux qui étaient en arrêt d’activité chez les salariés, seuls 40% ont reçu tout ou une partie de leur salaire. Les unités de production familiales ont également été fortement impactées par la crise ».

L’enquête indique que deux tiers des personnes interrogées qui travaillaient avant le confinement n’avaient toujours pas repris une activité professionnelle à fin avril. De plus, 60% des salariés en arrêt de travail déclaraient ne plus recevoir aucune rémunération. Cette proportion s’élève à près de 80% pour les 40% les plus pauvres.

Pour faire face à l’augmentation des prix des produits alimentaires ou à la perte d’emploi, « plus de 25% des répondants ont puisé dans leurs économies. Une autre partie significative d’entre eux (plus de 25%) a reçu de l’aide ou emprunté de l’argent à des proches (amis et famille). 15% d’entre eux ont recouru à un paiement différé de leurs obligations ».

Par rapport à la période précédant le confinement total, 57% des personnes interrogées ont dû cesser de travailler alors qu’elles étaient actives auparavant, seulement 28% ont pu poursuivre leur activité. Chez ceux déclarant un arrêt de travail, plus de 80% évoquent des raisons liées directement ou indirectement au Covid-19. Il est à noter par ailleurs que l’arrêt de l’activité a affecté de manière relativement homogène l’ensemble des classes de la population.

La majeure partie (60%) des salariés en arrêt de travail n’aurait pas reçu de salaire. « Cette absence de rémunération touche près de 80% des salariés appartenant aux deux quintiles les plus pauvres et, dans des proportions similaires, ceux travaillant dans l’agriculture et l’industrie (y compris la construction) ».

L’enquête a montré aussi que durant le mois d’avril, environ un tiers des unités de production familiales n’ont perçu aucun revenu, tandis qu’un autre tiers de ces unités de production familiales ont vu leur revenu diminuer par rapport au mois précédent. « La diminution des revenus des unités de production familiales est liée directement (fermeture de l’entreprise) ou indirectement (pas de clients, transport de marchandises, matières premières) à la crise sanitaire du Covid-19 pour presque toutes les unités de production familiales ». 

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