Plus de 132 procès intentés devant la justice. Aucun verdict n’a été prononcé jusqu’ici. Ces quatre dernières années, les organisations ont pu documenter dix cas de décès suspects survenus dans des circonstances non encore élucidées. Afin d’enrayer le phénomène de la torture, l’Etat doit envoyer des signaux fort significatifs contre la politique de l’impunité et engager, sans tarder, une profonde réforme dans le domaine. La formation des agents pénitentiaires et de sécurité est aussi de mise à plus d’un titre.
« L’usage de la torture est moins systématique qu’avant la révolution, mais il continue d’être fréquemment exercé à l’encontre de victimes aux profils divers. Ces quatre dernières années, nos organisations ont pu documenter dix cas de décès suspects survenus dans des circonstances non encore élucidées», alerte le bureau de l’Organisation mondiale contre la torture (Omct) en Tunisie, lors de la présentation, hier, du rapport annuel 2019 de son programme d’assistance directe pour les victimes de torture, de mauvais traitements et de violence institutionnelle(Sanad).
Dans une conférence de presse conjointe, tenue à l’occasion de la journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture, célébrée le 26 juin de chaque année, l’Association des magistrats tunisiens, Avocats sans frontières, Ltdh et bien d’autres droit-de-l’hommistes ont été quasiment unanimes sur le fait que la torture n’est que le résultat d’une politique d’Etat aussi molle que passive. Résultat : l’impunité demeure monnaie courante, voire un corollaire d’abus de pouvoir et de corruption.
Alors ! Personne n’est au-dessus de la loi demeure un axiome juridique vidé de son sens.
«Jusqu’à la fin 2019, plus de 350 dossiers nous sont parvenus de la part des victimes de torture et de traitements dégradants et humiliants survenus dans des lieux privatifs de liberté (prisons, geôles de police, centres de rétention des migrants..) », révèle Mme Najla Talbi, directrice du programme Sanad, relevant de l’Omct-Tunisie.
Ces chiffres tels que livrés par ledit rapport confirment, ajoute-t-elle, que le phénomène de la torture sévit encore dans un silence strident, d’autant plus que ce nombre de cas dévoilés n’est que la partie invisible de l’iceberg.
Trois grands centres d’accueil pour assistance psychosociale et médicale relevant de l’Omct œuvrent, depuis 2013, à rendre justice aux victimes. Soit « plus de 132 procès intentés par notre organisation devant les différents tribunaux du pays n’ont pas été, jusqu’ici, tranchés.
Aucun verdict n’a été aussi prononcé à cet effet », indique la directrice de Sanad.
Sauf certaines amendes après jugement et seulement deux sanctions pénales contre deux agents de police condamnés dans l’affaire de feu Lilia Ben M’henni. « Ce qui n’est pas suffisant ! », à en croire Mme Talbi.
Les recommandations de l’Omct
D’autres violations des droits de l’Homme font également partie des multiples formes de torture et de mauvais traitements. Alors que les audiences y afférentes ne cessent d’être reportées ou renvoyées aux calendes grecques. «Il n’y a pas une volonté politique pour mettre fin à l’impunité», dénonce Me Bassam Trifi, vice-président de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (Ltdh).
Cela, prévient-il, est de nature à compromettre le processus de la justice transitionnelle. Et bien que la publication du rapport final de l’IVD au Jort soit considérée comme un pas en avant, elle n’est pas considérée comme suffisante. Il est vrai que tout cela compte dans le bilan de l’actuel gouvernement, mais il y aura beaucoup à faire pour y arriver. L’absence de la bonne volonté politique y est pour quelque chose. Par ailleurs, la lenteur des procès n’est qu’un obstacle parmi d’autres auxquels sont confrontées les chambres spécialisées.
Pis encore, lit-on dans le même rapport, des accusés se soustraient à la justice avec l’aide d’agents de la police judiciaire et l’encouragement de syndicats sécuritaires.
Ces affaires nécessitent bel et bien un complément d’enquête.
Afin d’enrayer le phénomène de la torture, l’Etat doit envoyer des signaux fort significatifs contre la politique d’impunité dont jouissent les forces de l’ordre et engager, sans tarder, une profonde réforme dans le domaine. La formation des agents pénitentiaires et de sécurité est aussi de mise à plus d’un titre. En quelque sorte, l’impunité demeure une double torture dont la tolérance n’est qu’un crime désavoué. C’est là où versent toutes les recommandations de l’Omct.