LE mouvement Ennahdha ne laisse pas beaucoup de choix au Chef du gouvernement : élargir son gouvernement à plus de ministres nahdhaouis et accorder de nouveaux portefeuilles à Qalb Tounès ou quitter. S’il accepte un tel arrangement, ce qui est peu probable pour un homme comme Fakhfakh, le Chef du gouvernement se mettra systématiquement sous les ordres du Cheikh. Cela signifierait aussi la fin de la concertation avec le Président de la République, ce à quoi tient mordicus Ennahdha.
Mais au cas où le gouvernement Fakhfakh tomberait soit par la démission, soit par retrait de confiance, on n’est pas sorti de l’auberge. La crise ne ferait qu’empirer pour un pays déjà englué dans les ronces inextricables d’une débâcle socioéconomique. Car, ce faisant, Ennahdha oublie qu’il n’a plus la majorité requise pour gouverner et qu’il est dans le piège de sa propre victoire. Avec 54 sièges, il est loin de faire main basse sur l’ARP.
En effet, en faisant capoter le gouvernement, le chemin vers l’exécutif est encore loin et semé d’embûches. Lao Tseu disait qu’être conscient de la difficulté permet de l’éviter. Mais Ennhadha, qui semble vouloir être fidèle à un certain nombre de slogans qui ont fait débat dans sa campagne législative, aurait choisi de se compliquer la vie en pointant du doigt deux formations conséquentes, à savoir Qalb Tounès et le PDL, et ne peut parvenir à ses fins avec son alliance contre nature avec Qalb Tounès. Il aurait besoin de l’appui d’Al Karama et de quelques outsiders dont la fidélité ne lui est pas acquise ipso facto. Nonobstant le fait qu’il cherche encore à amadouer les autres coalitions de taille telles qu’Ettayar et le mouvement Echaâb, qui se sont départis de ses positions, il va indéniablement tomber dans l’escarcelle des formations au discours extrémiste. Ce qui n’arrange pas le mouvement qui cherche à afficher sa « modernité » et son caractère « civil » sur le plan international. Il sait qu’un tel revirement signe un durcissement de ton qui pourrait lui valoir des sanctions et même un classement peu reluisant.
Pourtant, en agissant de la sorte, Ennahdha fait dos rond et oublie que plusieurs formations politiques le fuient comme le diable fuit l’eau bénite. Tout le monde sait que pour Ennhadha, ceux qui s’y frottent s’y piquent. Et les expériences précédentes ont montré au grand jour que toute alliance avec ce parti est synonyme de perte, de scissions et de fissures.
Cela dit, Ennahdha ne sera à même de former un gouvernement que s’il accepte tous genres de compromis qui ne seront sûrement pas du goût de ses partisans. Ce sera alors le retour à la case départ en face d’un parti faible et affaibli qui tient à gouverner. Mais s’il campe sur ses positions, il sera incapable d’arracher un vote de confiance pour son prochain gouvernement, non plus.
Mais quoi qu’il en soit, au grand dam des Tunisiens, l’hémicycle du Bardo, pour la énième fois, prendra l’allure d’un grand chapiteau où les factions politiques croiseront le fer. Et pour cause, les trous d’air sont partout et les Tunisiens, qui ont déployé à tue-tête les sirènes de l’optimisme dès la fin des élections pensant s’installer confortablement dans une période de stabilité politique à même de favoriser la relance économique et de booster la croissance, risquent d’assister aujourd’hui à une cacophonie et à des discussions sur des questions futiles, usantes, frustrantes et rageantes.
Le peuple broie déjà du noir et craint que pour un jeu de chaises musicales, tous ses espoirs ne violent en éclats. Et pour cause, l’Etat, qui souffre déjà de multiples crises chroniques, risque de plonger de nouveau dans le flou politique. Écartelé entre la concrétisation immédiate des revendications sans fin et son désir d’engager les réformes nécessaires, le nouveau gouvernement battrait de l’aile à son entrée en exercice et se retrouverait dans l’impasse, si le bloc qui lui a accordé sa confiance se fissure au parlement. Déjà, du bout des lèvres, on commence à craindre que la plus emblématique des institutions de la deuxième République ne soit qu’une arène de gladiateurs, laissant dans la débâcle citoyens, opérateurs économiques et investisseurs étrangers. Car, désormais, c’est le clair-obscur qui règne. Et si à Ennhdha on se soucie peu des dommages collatéraux que génèrera le bloc sur lequel il compte forcer un vote de confiance, c’est à une sortie de route qu’il faut s’attendre avec toute l’instabilité qui viendra avec. Or, tout recul de la stabilité entraînerait un recul de la démocratie elle-même. Le pays risque de se retrouver ainsi dans la gueule du loup.