Face à la nouvelle donne intervenue sur la scène politique nationale, caractérisée essentiellement par le fait que le choix de la personnalité qui formera le prochain gouvernement est revenu constitutionnellement au Président Kaïs Saïed, les nahdhaouis ont donné, hier, l’impression qu’ils mettront du temps pour accepter qu’ils ne sont plus les seuls maîtres à bord et pour saisir que, désormais, il existe un avant-15 juillet et un après-15 juillet 2020 en attendant peut-être ce qui adviendra de leur parti au cas où leur président serait délogé de son poste à la présidence du Parlement
Quand Elyès Fakhfakh a pris les nahdhaouis de court et a annoncé, mercredi 15 juillet, sa décision de démissionner de son poste de chef de gouvernement (et donc du gouvernement avec tous les ministres le composant qui deviennent automatiquement des ministres de gestion des affaires courantes), rendant ainsi la motion de censure à son encontre déposée par Ennahdha et ses alliés nulle et non avenue, les Tunisiens se demandaient comment les nahdhaouis vont réagir à la nouvelle donne introduite sur le paysage politique national à la faveur de la reprise par le Président Kaïs Saïed de l’initiative de nommer, de nouveau, comme le précise la Constitution dans son article 89, la personnalité qu’il juge la plus compétente pour former le prochain gouvernement.
Et l’attente des Tunisiens de redoubler d’intensité ou de suspense quand Elyès Fakhfakh a annoncé, le jour même, c’est-à-dire dans la soirée du mercredi 15 au jeudi 16 juillet, le limogeage des ministres d’Ennahdha dont les deux «grosses pointures» Abdellatif Mekki et Lotfi Zitoun, et sa décision de confier leurs postes à certains de leurs collègues par intérim.
Et la réaction ou la réponse d’Ennahdha de fuser dans la soirée même du mercredi 15 juillet, mais rendue publique hier matin, sous la forme d’une déclaration signée par Rached Ghannouchi, président du parti nahdhaoui.
On y lit notamment que la décision d’Elyès Fakhfakh est «déplorable et elle porte préjudice aux intérêts des citoyens et du pays et est de nature à perturber le service public, en particulier dans le secteur de la santé».
Après avoir rappelé que la démission de Fakhfakh est intervenue après la présentation d’une motion de censure à son encontre auprès du Parlement par les nahdhaouis, ce qui insinue, selon certaines lectures faites par des sympathisants du parti de Montplaisir, que la motion en question bénéficie de la priorité par rapport à la démission du Chef du gouvernement (ce qui accorde à Ennahdha le droit de conduire les négociations de formation du prochain gouvernement au cas où la motion en question recevrait l’aval de 109 députés ou plus), la déclaration d’Ennahdha met l’accent sur ce qu’il considère comme le pus important, voire le plus inquiétant ou le plus menaçant de la stabilité du service public, c’est-à-dire l’administration centrale et régionale, voire locale.
Les nahdhaouis expriment clairement leurs craintes de voir le gouvernement de gestion des affaires courantes dirigé par Elyès Fakhfakh «noyauter l’administration par des nominations ou des limogeages dans l’intention de régler des comptes».
Autrement dit, Ennahdha fait part de son inquiétude de découvrir qu’Elyès Fakhfakh procède à de nouvelles nominations qui obligeront les responsables centraux, régionaux et locaux qu’il a déjà désignés à intégrer le frigo administratif et à se trouver écartés des centres de décisions et privés des informations et des secrets permettant à leur parti d’avoir la haute main sur ce qui se passe dans le pays et de disposer du pouvoir de décider de son avenir.
Et c’est cette nouvelle donne faisant d’Ennahdha, pour la première fois depuis la révolution, un parti comme les autres, et plus encore un parti qui pourrait s’installer dans l’opposition au cas où le prochain chef de gouvernement désigné parviendrait à former un gouvernement où les nahdhaouis ne seraient pas associés et réussirait à obtenir la confiance des députés, qui irrite les responsables nahdhaouids, les fait sortir de leurs gonds et les pousse à livrer des déclarations le moins qu’on puisse dire incompréhensibles ou inacceptables dans le sens que ces mêmes responsables laissent entendre que leur parti domine toujours le gouvernement, dicte ses conditions et se prépare à conduire les prochaines consultations en vue de la constitution du futur gouvernement, avec le chef de l’Etat, les autres partis politiques et les représentants des organisations nationales dont en premier lieu l’Ugtt et l’Utica.
Ainsi, Imed Khemiri, député et porte-parole d’Ennahdha, a-t-il déclaré texto, hier, à la radio Mosaïque FM que son parti est disposé à dialoguer avec tous les partis politiques en vue de la formation de la future équipe ministérielle à l’exception du Parti destourien libre (PDL) dont la présidente ne reconnaît pas la révolution. Il ajoute qu’Ennahdha considère que seul le dialogue constitue le mécanisme le plus à même de parvenir aux solutions consensuelles.
Et à écouter les propos de Imed Khemiri, on a le sentiment que c’est Ennahdha qui aura à conduire les négociations qui devraient débuter une fois que le Chef de l’Etat aura désigné la personnalité qui sera chargée de former la nouvelle équipe ministérielle.
Les dernières cartes d’Ennahdha
Aujourd’hui, on relève que les chefs nahdhaouis sont sous le choc de voir leurs ministres limogés et de découvrir que leur président, Rached Ghannouchi, risque de perdre son poste de président du Parlement du fait du dépôt d’une motion de censure à son encontre avec 76 signatures et le risque sérieux de la voir votée sur la base des 109 voix recueillies, sans négliger la nouvelle atmosphère régnant au Parlement où plusieurs langues se sont déliées et un nouveau discours est en train d’y être répercuté selon lequel Ennahdha n’est plus le parti dominateur, le parti sous la direction ou la gestion duquel les Tunisiens sont condamnés à vivre.
Et les déclations incriminant Ennahdha et l’accusant de mener le pays à l’inconnu de fuser de parout à l’instar des petites phrases assassines de Samia Abbou qui souligne : «Ce que les nahdhaouis ont fait révèle qu’Ennahdha veut gouverner ou mener le pays au chaos».
Idem pour Zouheir Maghzaoui, député et président du parti Echaâb, qui exprime sa joie de voir Ennahdha et son Conseil de la choura traités, désormais, comme tous les autres partenaires à l’opération politique post-révolution.
«Le plus important dans l’avenir, c’est que nous avons rompu définitivement avec l’étape du mouvement Ennahdha et de son Conseil de la choura qui dicte sa loi au pays et gouverne comme il l’entend».
Il reste à savoir comment les nahdhaouis vont se comporter face à deux épreuves qu’ils affrontent pour la première fois depuis qu’ils se sont imposés comme les principaux animateurs du paysage politique national post-révolutionnaire.
D’abord, comment vont-ils traiter l’épineux dossier de la motion de retrait de confiance déposée à l’encontre de Rached Ghannouchi appelant à le limoger de son poste de président du Parlement, au moment où les députés viennent de le confirmer dans ce même poste pour les cinq prochaines années, lui et Samira Chaouachi, la première vice-présidente, et Tarek Fetiti, le deuxième vice-président.
Ensuite, comment le Conseil de la choura, en premier lieu, ses membres qui n’ont pas cautionné la motion de censure anti-Fakhfakh, va-t-il gérer la formation du nouveau gouvernement qui démarrera d’ici la fin du mois de juillet et qui pourrait aboutir à une première dans l’histoire de la Tunisie post-révolution : la Constitution d’une équipe ministérielle où Ennahdha ne sera pas représenté ?