
«Tasawar Curatorial Studios» est une initiative du Goethe Institut Tunis qui a vu le jour depuis quelques mois. Elle regroupe un nombre important d’artistes et de jeunes curateurs locaux en devenir, se décline en plusieurs studios de formation et s’étend dans la durée. Sous la direction de Bettina Pelz, commissaire artistique active en Tunisie depuis 2014, d’Emily Sarsam, du Goethe Institut Tunis et d’Aymen Gharbi, formateur dans le cadre du projet TASAWAR, l’initiative grandit et attire un nombre important de participants engagés et déterminés à aller jusqu’au bout de leur formation. Actuellement, ils sont dans la concrétisation et, plus tard, ils veilleront à transmettre de la manière la plus souple leur savoir à un public plus large. L’audience de l’art contemporain dans le monde est réputée fermée et élitiste. L’heure est au changement qui peut se faire via cet appel à candidatures pour participer à la seconde édition 2020-2021.
Genèse d’un projet inédit
«Tasawar Curatorial Studios» est un projet pilote en Tunisie : il se présente comme étant une plateforme virtuelle qui rassemble divers profils actifs et prolifiques dans le secteur artistique, désireux de développer leur savoir curatorial. Des acteurs locaux et étrangers pourront repenser l’art contemporain et leur environnement. L’une des raisons majeures qui ont poussé Bettina Pelz à rester en Tunisie est sans doute le potentiel artistique existant des personnes qu’elle a rencontrées ici : «Le terrain était vierge, et ce projet germano-tunisien est ouvert et draine de nombreux profils intéressés et intéressants : des participants aptes à donner de leur temps, de leurs connaissances et d’affiner leur savoir dans le but surtout d’apprendre entre eux en premier». Elle poursuit : «Les étudiants en art en Tunisie n’avaient pas connaissance de la discipline curatoriale qui reste peu maîtrisée, et par le public et même par les acteurs confirmés issus du domaine artistique : ce programme permet aux candidats retenus de maîtriser à la perfection cette discipline, de s’initier et de s’enrichir».
«Tasawar» est une opportunité à saisir et traite d’un savoir artistique essentiel et dans l’air du temps, profondément délaissé en Tunisie, mais aussi dans les pays subsahariens et arabes spécialement.
Aussitôt l’appel lancé, une trentaine de profils participants sont conviés à créer et pourront participer à des studios de formation mensuels dans différents endroits du Grand Tunis. Chaque formation prend jusqu’à 3 à 5 jours. Un 8e studio de formation a été organisé en ligne pour cause de Coronavirus.
Objectifs cruciaux
Les studios «Tasawar» sont axés sur la pratique : l’un des exercices les plus stimulants à faire est celui de «penser le contexte». Il faut se concerter sur une manière commune pour approcher un contexte précis : une manière spécifique pour appréhender plusieurs contextes comme les galeries, les biennales, les festivals, les expositions collectives dans différents endroits, les musées et parvenir à appliquer aussi des connaissances dans un cadre socioculturel précis ou dans l’espace public.
Les studios Tasawar permettent d’approcher des conservateurs d’art expérimentés, d’organiser des visites d’ateliers entre artistes pour une formation collective complète, et ouvrent la voie à la recherche artistique et au développement, à l’écriture, à la publication, au mentorat et au réseautage local et international. Tasawar accorde une grande importance à la conservation : les concepts, la production, la communication et la médiation. L’ultime objectif est de faciliter l’accès à une scène artistique internationale —plus ouverte sur le monde— en rendant les notions et les définitions liées à la conservation de l’art à la portée des participants. Une aubaine pour les Tunisiens concernés, en particulier.
Autant d’objectifs énumérés sur le site de Tasawar.net qui se présente comme étant une plateforme interactive en ligne : elle centralise toutes les activités, le contenu des informations, un carnet d’adresses riche et les rendez-vous artistiques à venir, fruit de toutes les sessions créées dans le cadre de cette formation, et dont les activités sont déjà visibles sur différents réseaux sociaux.
La barrière de la langue
L’une des difficultés principales au sein de Tasawar, c’est celle de la langue à adopter entre curateurs au sein de la formation et à la manière de rendre le jargon lié à l’art contemporain, à la portée du grand public. Différentes manières ont émergé pour communiquer, malgré la carence en références et en outils disponibles pour traiter de l’art contemporain, en général.
Les artistes et curateurs en Tunisie, pour traiter de l’art contemporain, utilisent généralement les langues française et anglaise. C’est dû à leur formation universitaire : dans les galeries, les festivals, les facultés, les personnes issues du milieu ne communiquent et ne transmettent le savoir qu’en parlant français ou anglais. Première étape à faire, c’est de réaliser un glossaire pour rendre ce jargon plus accessible à l’audience et davantage à la portée du grand public et, par conséquent, rendre ce langage moins élitiste.
User désormais d’un vocabulaire tunisien était une alternative efficace afin de simplifier le plus possible l’accessibilité au programme. Mais transformer un vocabulaire —déjà foncièrement pointu— en dialecte tunisien s’est avéré très délicat.
Au sein de «Tasawar», les participants ont commencé à élaborer leur propre traduction, en tunisien. La tache était rude, d’autant plus qu’en tunisien, ce ne sont pas les nuances de sens qui manquent. Tout était clair en anglais ou en français, mais comment passer au tunisien ? C’était un véritable défi à relever pour toute l’équipe : le mot «Fann» par exemple, c’est «art» en français. Quand un «fannen» est évoqué, en dialecte tunisien, c’est un terme qui a une connotation populaire. Il ne peut désigner un artiste qui fait de l’art contemporain. Pourtant la traduction est correcte. Les connotations divergent et c’est dû à un background artistique et culturel local.
Parler art en dialecte tunisien de la manière la plus simple possible n’était pas chose facile : toute l’équipe s’est focalisée sur la méthodologie. Et pour mieux faciliter le travail, ils ont fait appel à des invités étrangers spécialistes ou issus du domaine curatorial pour savoir comment ces derniers s’y sont pris chez eux, dans leur pays. Des invités qui venaient le plus souvent des pays d’Afrique subsaharienne ou de la région Mena. Leur savoir a été précieux. Pour dépasser cet obstacle, un but collectif était de mise : celui de développer une façon, un vocabulaire unique en français, anglais et surtout en tunisien pour modérer ou transmettre le savoir au public et pour parvenir à communiquer entre artistes et curateurs participants de «Tasawar». Au final, l’équipe est arrivée à créer une langue de communication spécifique à la Tunisie et propre à l’art curatorial.
L’écriture curatoriale est désormais difficilement mais sûrement déclinée en français, en anglais et en tunisien et sera communiquée ainsi au public. Ce projet possède déjà tous les atouts nécessaires pour perdurer et devenir à son tour une référence nationale pour les prochaines générations.
La deuxième édition de Tasawar Curatorial Studios se déroulera de septembre 2020 à septembre 2021. Elle est ouverte aux candidatures dès maintenant. Une session d’information en ligne aura lieu le 24 juillet 2020, à 14h00, un lien vous sera communiqué très bientôt. Les candidatures peuvent être soumises jusqu’au 15 août 2020 et les entretiens auront lieu en août.
Pour participer et pour plus d’informations sur les procédures à suivre, le site https://Tasawar.net/application/ est à consulter.
«Matter of Time», une exposition artistique issue de «Tasawar» sera reprogrammée prochainement. Nous y reviendrons.
Crédit Photo : Zayane Bachir