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Libérez Ben Brik !

La Chambre correctionnelle de Tunis a condamné le journaliste Taoufik Ben Brik à un an de prison ferme avec exécution immédiate pour «diffamation envers les magistrats». Alors qu’on mesure, à l’aune de ce cadre prestigieux, la Justice, toute la solennité, ce verdict vient ternir l’image déjà écornée du pouvoir judiciaire par des dérapages incontrôlés.

Après une purge opérée en 2011 dans ce secteur par la mise à la retraite forcée de plusieurs juges et magistrats avec pour alibi leur collusion avec le régime Ben Ali, Ennahdha, qui était à la tête du ministère de la Justice, a fini par mettre au pas les juges. La peur de ne pas être dans les bonnes grâces des islamistes, alors que l’un des dirigeants de ce parti était aux commandes de ce ministère, a permis de mettre facilement le grappin sur ce secteur névralgique. Depuis, les affaires instruites contre les islamistes sont soit renvoyées aux calendes grecques, soit classées sans suite, soit tout simplement « enterrées ». Les exemples ne manquent pas et en disent long sur la façon dont est géré le pouvoir judiciaire, combien indispensable à l’équilibre de notre démocratie : l’affaire des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, l’affaire de la voiture Q5 dans laquelle est impliqué l’ancien ministre du Transport, l’affaire du détournement de l’argent du fonds chinois, etc.

Mais pour les islamistes qui n’acceptent pas que le verbe reste puissant dans les esprits quand ils sont épinglés par des journalistes libres et indépendants, la liberté d’expression froisse leur orgueil.

Que ce soit à l’ARP où ils se sont ligués contre Abir Moussi ou dans les médias qu’ils essayent de museler, ils ont toujours fait appel à ce pouvoir régulateur qui est la justice pour intimider, voire étouffer toute voix libre pourtant nécessaire à la préservation de notre démocratie. 

Pour autant, s’il faut écarter cette querelle de mots, il ne faut pas fuir la réalité. C’est pour dire que l’affaire Ben Brik illustre parfaitement que, dans notre pays, il n’existe pas de réel pouvoir judiciaire indépendant. Que la Tunisie n’est pas un Etat de droit.

Mais même si on domestique la parole libre pour dissimuler la réalité aux yeux du monde en entravant un droit constitutionnel, celui d’informer, les jeunes loups du journalisme ont vite sorti leurs griffes et montré leurs dents. Le tollé des journalistes, avec l’appui du Snjt, aura tôt ou tard raison des manœuvres judiciaires.

Car ce n’est pas la première fois que le recours à ce genre de procédé vient, par malheur, désengourdir les esprits somnolents et réveiller les esprits de nouveau engourdis pour redorer l’image, reconquérir l’estime, rien que par des manœuvres de bas étage.

Faut-il rappeler qu’à chaque atteinte à la liberté d’expression, l’ascenseur de l’adrénaline des journalistes monte au plafond sans tomber dans les caves de la passivité.  Toutefois, la vigilance doit être de mise. Car les tentations d’un retour en arrière nous montrent encore une fois que le despotisme peut avoir plusieurs enseignes et n’a pas de limite dans l’imaginaire de ses commanditaires.  Sa portée devient par conséquent beaucoup plus considérable du moment que nos gouvernants restent hébétés.  Mais l’effet de choc doit être employé au bénéfice de l’action. A ce stade-là, la riposte qui doit être engagée devra être rapide, afin de dévoiler au monde que notre pays est doté d’une presse libre. Pour réussir ce tour de force, les journalistes doivent dégainer face à cette schizophrénie judiciaire. Le combat ne fait que commencer et la libération de Taoufik Ben Brik pourrait réparer ce tort.

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