Assiste-t-on aux prémices de la consécration de l’indépendance de la justice, à travers la réussite du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) à opérer des mutations à valeur d’une véritable révolution au sein du corps des magistrats dans le sens où des juges indéboulonnables et faisant la pluie et le beau temps depuis des années à Bab Bnat ont été promus à de nouveaux postes, mais en réalité écartés des hautes et décisives responsabilités qu’ils assumaient jusqu’ici
Qui pouvait le prédire un jour ou qui avait le courage de le pronostiquer et de l’annoncer, le Conseil supérieur de la magistrature le décider — il est vrai à la suite d’une réunion houleuse — et le faire paraître, noir sur blanc, sur les médias: l’indéboulonnable magistrat Béchir Akremi, le procureur général de la République près le Tribunal de première instance de Tunis (c’est-à-dire le tribunal disposant de la compétence exclusive de trancher les affaires à caractère terroriste) est, enfin, muté à un autre poste, celui d’avocat général chargé des affaires pénales, et remplacé par Imed Jomni, le doyen des juges d’instruction près le Tribunal de première instance de Tunis.
La décision a été prise lundi 10 août. Sauf que le Conseil ne l’avait révélée à l’opinion publique que la journée du mercredi 12 août. Mais pourquoi tant de méfiance, de tergiversations, de décisions et de contre-décisions qu’on annonce dans certains médias, plus particulièrement dans les réseaux sociaux, dont en particulier Facebook ?
Les sources se disant proches du Conseil supérieur de la magistrature et assurant être au parfum des tractations qui ont accompagné le mouvement de mutation et de promotion des magistrats conduit par le Conseil ont affirmé qu’Ennahdha a tout fait pour que le Conseil revienne sur ses décisions et annule son annonce de révoquer Béchir Akremi du poste de procureur général de la République près le Tribunal de première instance de Tunis, poste qu’il occupe depuis plusieurs années et où il est accusé par les avocats défenseurs des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi d’avoir recouru à tous les stratagèmes imaginables pour bloquer l’évolution normale des deux affaires.
Ce mouvement n’a pas été marqué uniquement par la «promotion-sanction ou mise au frigo» du magistrat Béchir Akremi dans la mesure où on a aussi découvert que la magistrate Ichraf Chebil, épouse du Président Kaïs Saïed, a été promue juge de 3e degré et mutée à la Cour d’appel de Sfax.
Hier, ce fut au tour de ceux qui attendent avec impatience l’officialisation de la mutation de Bechir Akremi pour s’exprimer et dire, notamment, si le Conseil pouvait revenir sur sa décision et réinstaller Akremi dans son ancien poste comme le veulent ses partisans.
Et même si Anas Hamedi, le président de l’Association des magistrats tunisiens (AMT), souligne que «le mouvement n’a pas été à la hauteur des attentes de l’association» et que «les mutations devraient se baser sur des critères clairs et objectifs pour éviter les abus», ce qui a retenu l’attention, c’est bien ce ouf de soulagement poussé par plusieurs magistrats et aussi par les activistes de la société civile quant à la mutation du magistrat Bechir Akremi qui n’a plus la haute main sur les affaires Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.
Le juge administratif en retraite et actuel avocat, Ahmed Souab, estime que Béchir Akremi «aurait dû être changé (c’est-à-dire écarté de la gestion du dossier en question) il y a des années parce que le bon fonctionnement de la justice l’exige».
Il ajoute à ce propos des pressions qu’on attribue à Ennahdha pour interférer dans les décisions du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) : «Il est possible pour un parti ou pour une autorité politique d’influencer les décisions du Conseil».
Mutation-proposition pour nécessité de service
Quant à la magistrate Ichraf Chebil, épouse du Président Kaïs Saïed, elle a été promue juge de 3e degré et mutée à la Cour d’appel de Sfax, à 270 km de la capitale.
D’après certains médias, la magistrate Ichraf Chebil a été mutée à la Cour d’appel de Sfax «pour nécessité de service».
Ce qui veut dire dans le jargon juridique que la mutation n’a pas été décidée avec son accord ou à sa demande».
Il reste à se demander si l’épouse du Chef de l’Etat va accepter la mutation-proposition qu’elle n’a pas sollicitée et être obligées d’exercer son métier à Sfax, à près de 300 km, loin de la résidence officielle de son mari, avec tout que cela comporte comme convenances à caractère sécuritaire imposées par son statut d’épouse du président de la République.