Dr. Tahar EL ALMI (1)
Economiste-universitaire
Le ministre des Finances, Mohamed Nizar Yaich, a affirmé, il y a quelque temps, que l’état des finances publiques en Tunisie est difficile, assurant que des dettes importantes sont souscrites par l’Etat, au profit des institutions du secteur public et du secteur privé.
Un trou de 8 milliards de dinars a été découvert (?) dans le budget de l’Etat de 2020, a indiqué le ministre des Finances, cité par radio Shems FM, ajoutant que les estimations des implications financières de la pandémie de Corona en Tunisie sont de l’ordre de 5 milliards de dinars.
Et d’ajouter que le déficit public va dépasser les 3 % du PIB prévus dans la loi de finances de 2020 et sera ainsi au-dessus de 5 %.
Il a estimé qu’un déficit budgétaire de 13 milliards de dinars en un an est un gros problème, soulignant que le sauvetage ne peut se faire uniquement que par la relance économique qui nécessite un climat des affaires équilibré.
Ce constat a été établi à la veille de la deuxième vague de la pandémie qui se profile à l’horizon.
Un des éléments qui préside à la « stabilité » du climat des affaires, c’est le système financier qui joue un rôle important dans l’économie à travers un ensemble de fonctions, dont notamment le transfert des fonds dans l’espace et dans le temps, la gestion des risques, le financement de l’activité, …
Or, le système financier tunisien est malade.
Sans contact avec la réalité, il est schizophrène.
Comment un système financier tunisien peut-il promouvoir l’épargne et booster l’investissement productif pour assurer une « stabilité du climat des affaires», quand il est fortement « régulé » ?
Comment peut-on envisager une promotion de l’épargne avec des rémunérations réelles négatives ? L’épargne ne rapporte rien : avec un taux d’inflation estimé de l’ordre de 6% alors que le taux d’inflation ressenti lui est supérieur de 3% à 5%, c’est la consommation privée qui est boostée au détriment de l’épargne. Les agents (professions libérales notamment) qui ont des fonds préfèreront les recycler dans le foncier (terrains) qui rapporte beaucoup plus à terme.
Comment peut-on envisager une relance de l’investissement productif créateur d’emplois réels, avec des taux de l’intérêt effectifs prohibitifs ? Quels sont les projets « bancables » en période de crise, qui méritent qu’un investisseur « censé » s’y attache et prenne des risques ? Avec quels coûts et charges financières et fiscales ?
Il n’est pas surprenant que bon nombre d’opérateurs se détournent du marché financier formel fortement réglementé, au profit d’opportunités autrement plus rentables et moins risquées.
L’envolée des taux d’intérêt depuis 2014 a conduit à une relative baisse de la masse monétaire tunisienne en termes réels. Les maux dont souffre la société tunisienne ne sont donc pas dus essentiellement aux rigidités du marché du travail et/ou aux anticipations inflationnistes, mais au collapsus financier via l’épuration monétaire subie.
Or, l’obsession de « crédibilité financière » via la politique monétaire a abouti à une situation incroyable, l’effet final est à l’opposé de l’objectif cible (la désinflation et le retour de la stabilité des prix) et la politique monétaire trop restrictive s’est traduite par une baisse de l’activité (donc à une augmentation du chômage) et une baisse des recettes fiscales, ce qui a produit une forte hausse des déficits publics. Or, les marchés financiers sanctionnent ce type de situation.
La crédibilité d’une politique, en l’occurrence économique, est de viser et d’atteindre l’objectif initial sans détériorer les autres objectifs assimilés.
T.E.A.
(1) Dr Tahar EL ALMI, Economiste-Universitaire,
Université Louis Pasteur Strasbourg, France,
Université de Tunis : ISG-Tunis/IHET-Tunis.
Psd-Fonds de l’Institut Africain d’Economie Financière (IAEF-ONG)