Par Chedly BEN AMMAR
Ce lundi 24 août 2020, Elyès Fakhfakh a commis un acte très grave, dangereux et lourd de conséquences : le limogeage du président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc) .
Depuis qu’il a été contraint de présenter sa démission, Monsieur Fakhfakh a multiplié les réactions vindicatives sans considération pour le devoir de retenue que lui impose cet « entre-deux » gouvernemental. Le Chef du gouvernement ne respecte, en cette occurrence, ni le droit ni l’éthique.
• L’outrage fait à la Constitution
Monsieur Elyès Fakhfakh, chargé comme le prévoit la Constitution, par le Président de la République d’expédier les affaires courantes, c’est-à-dire de veiller à la bonne marche des services publics et, d’une manière générale, de garantir la continuité des institutions de l’Etat jusqu’à la mise en place d’un nouveau gouvernement, a entrepris une action revancharde et punitive contre tous ceux qu’il considère responsables de sa disgrâce, outrepassant dès lors les termes du mandat que lui accorde la Constitution en sa qualité de chef d’un gouvernement démissionnaire. Cette violation outrageuse de la Constitution a permis le limogeage du président de l’Inlucc, appelé par une commission parlementaire, et dans le cadre de ses fonctions, à fournir les renseignements dont il dispose concernant l’affaire Fakhfakh pour laquelle il est question de conflit d’intérêts.
S’agit-il d’une affaire courante, seul sujet de préoccupation acceptable de la part d’un chef de gouvernement démissionnaire dans l’attente de la formation d’un nouveau gouvernement ? Non, bien au contraire : c’est une attaque ciblée contre un adversaire.
Monsieur Fakhfakh démissionne, le Président Kaïs Saïed désigne M. Hichem Mechichi pour former un nouveau gouvernement, et juste avant que ce dernier n’en dévoile la composition, Monsieur Fakhfakh se fait en quelque sorte « justice » à lui-même en s’attaquant à celui qu’il considère sans doute comme son pire ennemi…
• L’atteinte portée à l’indépendance de l’Inlucc
Les présidents des instances nationales indépendantes n’ont pas tardé à réagir en affirmant leur refus unanime de cet acte qu’ils considèrent comme une vengeance personnelle et un abus de pouvoir.
Car ce limogeage, il faut bien insister là-dessus, contrevient aux règles du droit, c’est-à-dire à la Constitution, à la loi ainsi qu’au décret n°2011/120, lequel dispose en effet que le mandat du président de toute instance mise en place après la révolution est attribué pour une durée de six ans non renouvelables, et ne peut être interrompu, ces instances étant indépendantes, tant du gouvernement que des partis.
Par ailleurs, l’acte commis par le Chef du gouvernement démissionnaire est immoral et inacceptable, parce qu’il instrumentalise l’Etat à des fins personnelles. C’est pour ce même motif que le peuple tunisien s’est soulevé un certain 14 janvier, et l’on ne saurait cautionner ni admettre un tel retour en arrière dans les pratiques de gouvernance.
Ces pratiques fréquentes au temps de la dictature sont bel et bien révolues. Le citoyen tunisien a aujourd’hui besoin d’être rassuré, et ne saurait être menacé, encore et toujours, par des décisions et des mesures arbitraires, comme le fait de se venger de ses adversaires par des représailles.
Les politiciens doivent respecter les gens s’ils veulent eux-mêmes être respectés, et leurs discours doivent être apaisants pour favoriser l’adhésion de tout un chacun aux actions du gouvernement. Sans cette adhésion du peuple, l’action de tout gouvernement est irrémédiablement condamnée à l’échec. Et pour y parvenir, il y a des gestes à faire et des paroles à dire que nous attendons, en vain jusqu’à présent. Or, rien de bon ne peut être accompli dans l’adversité.
Monsieur Fakhfakh, comme tout un chacun, n’est pas au-dessus des lois. Il a failli à sa mission, a aggravé la crise politique, financière et morale que traverse notre malheureux pays, et il doit en assumer les conséquences, humblement, comme quiconque prétend servir notre mère patrie.
Il a démissionné, c’était la seule issue à même de lui conserver un tant soit peu d’honneur, honneur qu’il s’est empressé de perdre en agissant comme il l’a fait à l’encontre du président de l’Inlucc, mais surtout à l’encontre d’une institution dont, pas plus que tout autre politicien, il n’est en droit de se mêler : n’a-t-il pas, en effet, dans la foulée, décidé de soumettre l’Instance de lutte contre la corruption à une inspection de la part des services de la présidence du gouvernement ? Ça aussi, c’est illégal, puisque seule la Cour des comptes est en droit d’effectuer des opérations de contrôle administratif et financier sur ces instances…
Monsieur Fakhfakh a été un Chef de gouvernement plutôt arrogant et vindicatif, le voici devenu un ex-Chef de gouvernement déchu et félon. Il est grand temps que nos responsables politiques apprennent à investir une mission dans l’unique idée de servir l’Etat. Voici maintenant dix ans que nous souffrons tous de ces dérives, parfois avec désespoir, le plus souvent avec résignation et patience. Aujourd’hui, la coupe est pleine : nous exigeons de nos dirigeants qu’ils nous respectent en tant que peuple pour mériter à leur tour notre respect, et qu’ils respectent l’Etat, en le servant avec détermination, abnégation, probité, et surtout avec honneur.
C.B.A.