Accueil Economie Supplément Economique Hausse des prix de l’immobilier- Nejib Snoussi —  Directeur Général de l’Habitat au ministère de l’Equipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire: “La production ne cible pas la population à faible revenu”

Hausse des prix de l’immobilier- Nejib Snoussi —  Directeur Général de l’Habitat au ministère de l’Equipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire: “La production ne cible pas la population à faible revenu”

La crise du secteur immobilier persiste. Pourtant, les prix sont toujours à la hausse. Et la demande sur le marché est en baisse. Entre 2012 et 2019, l’indice des prix de l’immobilier a accusé une augmentation annuelle moyenne de 8%. En revanche, le volume des transactions a connu une croissance négative de -4,7% en moyenne par an. Ces chiffres ne font que refléter une morosité affligeante du secteur qui n’obéit plus à la loi du marché. M. Nejib Snoussi, directeur général de l’habitat, nous en parle plus dans cette interview.

-Selon les chiffres de l’INS, les prix de l’immobilier suivent, depuis 2012, une courbe ascendante, malgré une baisse constatée de la demande (cela a été, également, constaté durant le deuxième trimestre 2020 qui coïncide avec le déclenchement de l’épidémie). A quoi est due cette augmentation “anormale” du  prix de l’immobilier?

A vrai dire, la demande existe. On ne peut pas parler, proprement dit,  d’une  baisse de la demande, mais plutôt d’une inadéquation entre le revenu des ménages et le produit immobilier qui se trouve sur le marché. Tout d’abord, on doit situer le secteur de l’habitat dans un contexte général. D’après le recensement général de la population et de l’habitat de 2014, on a enregistré une production annuelle de  80 mille logements, entre 2004 et 2014. La part de  la production des promoteurs immobiliers est aux alentours de 10 mille. 80% à 85% de la production annuelle des logements sont des auto-constructions que ce soit légales ou informelles. Ce constat n’est pas exclusivement propre à une période déterminée. La politique de l’habitat, qui  a été adoptée dans les années 70, consiste à encourager  les gens à construire eux-mêmes leurs logements. A l’aube de l’indépendance, la Snit  intervenait pour construire des habitats. A partir des années 70 avec la création des agences foncières telles que l’AFH, la production formelle n’a pas pu suivre la demande qui n’a cessé d’augmenter au fil des années.

Maintenant, si on veut comprendre les causes de la hausse du prix de l’immobilier, c’est qu’on va s’intéresser aux 15% de la production des logements construits  par les promoteurs publics et privés. Elle est due à plusieurs facteurs. Tout d’abord, il y a la rareté du foncier et le renchérissement depuis 2011 du  coût, déjà, élevé du terrain aménagé. Puis, il y a la hausse du coût de la main-d’œuvre suite à la pression sociale exercée sur les entreprises du bâtiment pour augmenter les salaires. S’y ajoute la flambée des prix des matériaux de construction dont la production est extrêmement énergivore, et par conséquent, elle coûte très cher (le coût énergétique  suit une courbe ascendante depuis 2014 et le cours  du pétrole a atteint les 140 dollars le baril). De plus, il y a le mécanisme de financement qui a contribué à cet état des lieux. En effet, les crédits accordés aussi bien aux promoteurs immobiliers qu’aux ménages (pour acquérir le logement), le sont à  des taux d’intérêt très élevés. Pour le prêt immobilier, le taux est de 11  à 12%. Ce qui devient de plus en plus lourd notamment  pour les  revenus moyens qui n’arrivent plus à boucler le schéma de financement de leurs logements. La production du logement ne cible pas, en partie, la population à faible revenu dans la mesure où, avec les conditions actuelles, toute une frange de la population ne peut plus accéder au logement avec les prix actuels.

-Comme vous l’avez évoqué, parmi les principales causes de la hausse du prix de l’immobilier, il y a le problème de la production foncière. L’Etat était  un acteur principal de la production foncière, mais, depuis des années, on a constaté son désengagement dans ce domaine. Est-ce un choix pour libéraliser davantage et privatiser la production foncière?

Compte tenu de l’importance de la production foncière, l’Etat a créé dans les années 70 l’AFH. A l’époque, l’agence avait  des outils, des mécanismes et des facilités qui lui permettent d’intervenir et de produire d’une manière plus ou moins rapide et efficace. Elle était en mesure de répondre aux besoins  du secteur de l’habitat en matière de production foncière. Cette capacité de produire a été contrainte et limitée pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il y a l’annulation du  recours de l’AFH à l’expropriation : l’Etat faisait, auparavant, de l’expropriation pour réaliser de nombreuses opérations. Ensuite, il y a des problèmes au niveau de la réglementation urbaine, c’est-à-dire, au niveau de l’élaboration ou de la révision du plan d’aménagement pour disposer de terrains et d’extensions urbaines permettant à l’AFH d’intervenir. C’est cette problématique de la réglementation urbaine et des délais excessifs que demande  la révision d’un plan d’aménagement qui ont altéré l’efficacité de l’intervention de l’AFH et qui ont conduit à la diminution de son rôle  dans la régulation foncière.

A l’époque, l’agence produisait entre 25% et  30% du besoin foncier de tout le secteur   de l’habitat. Actuellement, sa contribution est de 5% ou 7%. En effet, ce n’est pas un désengagement de l’Etat au niveau de la production foncière, mais il s’agit d’une désuétude des mécanismes de la maîtrise du foncier  qu’il faut revoir et mettre à niveau. Avec le code des collectivités locales actuelles qui lègue aux communes  les prérogatives de gestion de leurs patrimoines, ces dernières  sont appelées à déployer des efforts importants afin qu’elles révisent leurs plans d’aménagement et aient une vision stratégique sur le développement urbain de leurs territoires. L’enjeu est de mettre en place des mécanismes qui permettent la production foncière aussi bien par le secteur privé que par l’AFH. L’AFH est toujours là, c’est une entreprise publique qui a joué un rôle important et qui continuera à remplir sa mission et à réaliser les objectifs des politiques de l’Etat en matière de logements. Le système est, également, ouvert au privé pour combler le manque en matière de production foncière.

-L’habitat informel est un résultat de la crise immobilière que traverse la Tunisie. C’est un phénomène qui pose problème au niveau de l’infrastructure mais surtout sur le plan financier étant donné que la réhabilitation des quartiers anarchiques coûte énormément cher à l’Etat. Quel est l’état des lieux de l’habitat informel en Tunisie? Et est-ce que l’Etat a programmé des actions dans le futur afin de prévenir sa prolifération ?

L’habitat informel est un phénomène qui s’est développé dans les années 70 avec le développement économique qu’a connu le pays, à cette époque, suite à l’instauration de la loi 72, l’installation des industries sous le régime offshore et l’épanouissement du tourisme balnéaire et du secteur hôtelier dans plusieurs sites. Ce phénomène s’est bien proliféré, parce que la production formelle de logements ne permettait pas d’absorber cette demande supplémentaire en matière d’habitat. Il y a eu, alors, une prolifération des quartiers anarchiques éparpillés, essentiellement, dans ces zones de développement économique. Mais avec le temps, l’habitat anarchique s’est aussi développé dans d’autres sites. Parce que l’offre de l’Etat en matière de production foncière et d’habitat n’a pas pu suivre la demande. Des interventions de réhabilitation de ces quartiers ont été  programmées dans les plans quinquennaux. Le nombre des quartiers qui ont  été réhabilités jusqu’à 2019 dépasse les 1300 quartiers abritant plus de 3,8 millions d’habitants. Le problème c’est qu’on n’a pas procédé à concevoir des politiques afin de stopper ce phénomène-là. Comment l’enrayer? Bien sûr avec l’augmentation de la production foncière, mais aussi à travers une offre plus abondante en matière de logements socio-économiques dans ces zones-là. En tant que ministère, nous avons travaillé sur cette question depuis 2014, à travers la nouvelle stratégie de l’Etat. On a fait la refonte du Foprolos, révisé le texte du Fonds national de l’aide à l’habitat, on a créé le Fonds de garantie à travers la Sotugar  dont la mise en place est en cours. Il permet aux non-salariés d’avoir un  crédit bancaire garanti par l’Etat. Mais cet effort doit être consolidé par les communes à travers la gestion de leurs territoires, la maîtrise de leurs extensions urbaines à travers l’accélération  de la révision même partielle de leurs plans d’aménagement au lieu de voir se propager ces quartiers anarchiques. Bien sûr, notre ministère travaille depuis 2015 sur le nouveau code de l’aménagement de territoire et de l’urbanisme, qui est actuellement en phase d’une dernière lecture avec les différents partenaires. Ce nouveau code a été pensé pour s’aligner sur les nouvelles dispositions du nouveau code des collectivités locales. Il permet de remédier aux lacunes de l’ancien code au niveau des mécanismes d’approbation des plans d’aménagements et des lotissements, principalement réduire les délais de révision et d’élaboration des plans. Selon le code en vigueur, la révision du plan d’aménagement prend en moyenne entre 4 et 5 ans. C’est une aberration. On ne peut pas résoudre les problèmes de l’habitat si on prend tout ce temps pour réviser un plan d’aménagement. 

-Selon les derniers chiffres du ministère, seulement 15% de  la ligne du financement dédié au programme du premier logement  ont été utilisés.  Pourquoi ce programme n’a pas marché?

Le programme du premier logement est un programme ponctuel dont l’objectif est d’aider les ménages à moyens revenus d’acquérir un logement à travers la mise en place d’un crédit abordable, c’est-à-dire un crédit avec des conditions favorables qui permet de couvrir l’autofinancement à hauteur de 20%. Ce crédit peut aller jusqu’à 20% du prix du logement avec un taux d’intérêt de 2% et cinq années de grâce. Il est remboursable sur une durée égale à la durée du prêt à laquelle on soustrait 5 années de grâce. La population cible, ce sont les ménages dont le revenu varie entre 4,5 et 12 fois le smig et entre 4,5 et 10 fois le smig pour les célibataires. Le prix du logement est de 220 mille dinars hors taxe composé d’au moins d’un  S+2. On n’a pas réussi à achever ce programme  parce que l’instauration de la TVA a perturbé un peu l’application de ce programme. Bien sûr l’implémentation de ce programme dans les systèmes d’information des banques a pris un peu de temps, entre 5 et 8 mois, ce qui a retardé l’amorçage du programme. L’augmentation du TMM, qui est passé de 4,5,n’a pas permis  à ces ménages de clôturer le schéma de financement de leurs logements. Mais  on travaille en concertation avec toutes les parties prenantes, partenaires publics et privés, banques …etc. afin de proposer, a priori, des modifications au niveau des conditions pour faciliter un peu l’accès à ce programme. 

 

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