Par Chedly BEN AMMAR
Oui, arrêtez le massacre… C’est à vous que je m’adresse, « Compétences », au pouvoir depuis un mois et demi déjà. A part essayer de nous anesthésier avec votre langue de bois, qu’avez-vous réussi à freiner, à stopper, à améliorer ne fût-ce qu’un peu les choses dans le désastre généralisé qui s’est emparé de notre chère patrie, de notre Tunisie ?
La réponse me paraît évidente : rien !
Notre gouvernement, composé de « compétences », c’est-à-dire de personnes supposées être immédiatement opérationnelles, ne propose rien pour le moment…
La situation économique, sociale et financière de notre pays est en train de se dégrader au point de constituer une sérieuse menace pour la paix sociale et la souveraineté de la Tunisie, et ce gouvernement, pas plus que ceux qui l’ont précédé, n’a pas de stratégie à proposer pour sortir de la crise. L’agence de notation Moody vient d’ailleurs de dégrader encore les perspectives de la Tunisie, preuve s’il en est qu’elle n’est guère optimiste quant à la capacité de l’actuel gouvernement à assurer à notre économie une éventuelle croissance et à conduire la nécessaire politique de réformes et de redressement financier pour restaurer un climat de confiance favorable aux investissements. L’actuel gouvernement est-il d’ailleurs capable de redresser les finances de l’Etat pour que le pays soit en mesure d’honorer les prochaines échéances de 2021 ? J’avoue être sceptique sur ce point et sur tant d’autres, surtout que lors du second trimestre, l’Etat a enregistré une récession record de -21,6% et que l’on s’attend, sur toute l’année 2020, à une récession de l’ordre de -9 à -10%, ce qui engendrera inévitablement un accroissement du taux de chômage dans les mois à venir.
Mais parlons de la situation sanitaire, puisque c’est celle-là qui prime dans toutes les pensées. Nous subissons aujourd’hui un nouvel assaut de ce maudit virus, les nouveaux cas se comptent désormais chaque jour par milliers, les morts par dizaines. Sommes-nous prêts à traiter ces hordes de malades ? Non. Je dirais même plus que rien n’a été fait depuis mars dernier, nonobstant d’ailleurs les sommes récoltées dans l’opération 1818, on a tout juste commencé tant bien que mal à augmenter le nombre de lits de réanimation, mais les hôpitaux publics sont à peine mieux équipés, et leurs personnels n’y sont toujours ni mieux formés ni plus nombreux.
Quant à cette fameuse opération, à laquelle nous avons été nombreux à participer malgré sa gestion floue, qu’a-t-on fait de l’argent récolté ? Aucune information n’a été rendue publique sur la manière dont nos dons ont été utilisés, ce qui, vous en conviendrez aisément, laisse la place à tous les doutes et à toutes les suspicions.
Et que dire du coût des tests qui pourraient rassurer certains d’entre nous ? On parle de tarifs situés entre 200 et 400 dinars par personne. Quelles sont les familles qui peuvent assumer de telles dépenses, auxquelles s’ajoutent les masques, les visières, les gels, vendus un peu partout sans garantie réelle d’efficacité – alors que tout cela aurait dû depuis longtemps être dûment régimenté et qu’un dépistage à grande échelle aurait dû être mis en place, à charge de l’Etat. Nos caisses de sécurité sociale sont vides, me répondriez-vous ? A qui la faute… ? Mais ce qui est certain, c’est que ce n’est pas au peuple d’en supporter les conséquences. En un mot comme en cent, vous n’avez daigné prendre jusqu’ici que des mesurettes qui seraient ridicules si la situation n’était à ce point tragique et catastrophique…
D’un autre côté, c’était certes intelligent de mener une campagne de vaccination contre la grippe, de manière à restreindre les incertitudes diagnostiques face à des symptômes souvent ressemblants. Mais où sont les vaccins contre la grippe saisonnière ? Comment des voyous, les seuls comme toujours à profiter du chaos, ont-ils pu rafler ceux qu’on allait distribuer dans les officines pour les vendre ensuite au marché noir ? Où sont les médicaments, y compris les compléments vitaminés et le sulfate de zinc qui pourraient nous aider à soutenir notre immunité ? On n’en trouve plus en pharmacie, le savez-vous seulement ?
Où sont les mesures qui permettraient de protéger les Tunisiens, y compris d’eux-mêmes ? Le couvre-feu ? A ce que je sache, le Covid-19 ne respecte pas un emploi du temps précis ni exclusivement nocturne… Tout porte à croire que, très cyniquement, vous avez opté, comme cela se pratique dans d’autres pays sans oser le dire, pour une hypothétique « immunité de groupe » qui, en principe, n’existe pas pour les virus de type Sras. En d’autres termes, vous avez choisi de laisser mourir des gens, les plus âgés, les plus faibles, les plus atteints par d’autres maladies, un peu à la manière d’un sacrifice inavoué.
Qu’allez-vous faire pour casser cette croissance exponentielle du nombre de cas dans notre pays ? Allez-vous attendre que toute la Tunisie soit endeuillée, qu’à la fin de ce mois nous comptions les décès par milliers ? Nous sommes déjà si nombreux à pleurer nos morts, lesquels, comble de malheur, sont privés d’obsèques décentes…
toutes ces victimes de l’incurie décédées depuis septembre vous pèseront sur la conscience.
J’ose à peine évoquer, tant cela semble secondaire – alors que ça ne l’est pas du tout –, votre inaction, voire votre lâcheté dans le domaine de l’économie. Comment ? Vous discutez masqués avec ces représentants d’El-Kamour qui, eux, ne le sont pas, qui vous prennent en otage, qui dressent le V de la victoire, et nous devrions trouver cela normal ? Un état qui se respecte ne discute pas avec des preneurs d’otages, il les met au pas.
Nous avons des lois : faites-les respecter. Les crimes et les délits augmentent en proportions littéralement effrayantes, les victimes connaissent bien souvent les noms de ceux qui s’en sont pris à elles, mais non… Les bandits hantent les rues et restent impunis. Je crois utile à ce sujet de vous rappeler que le gouvernement détient le pouvoir exécutif, et que celui-ci a, entre autres tâches, celle de faire appliquer la loi et de veiller à ce qu’elle ne soit pas transgressée. Après tout, c’est le rôle de l’Etat de pourvoir à la sécurité des citoyens et de leurs biens…
Un autre exemple : les semailles commencent dans deux semaines, et les silos à engrais (qu’avant nous exportions !) sont toujours désespérément vides. Avez-vous la ferme intention d’y remédier ? Parce que les usines de phosphate sont toujours à l’arrêt et que vous ne paraissez pas avoir fait de leur redémarrage une de vos priorités.
Malgré le soleil automnal, nos rues sont tristes et d’une saleté immonde. N’avons-nous pas il y a quelques années installé à grands renforts de publicité une police de l’environnement ? Où est-elle ? Qu’est-elle devenue ? Quand travaille-t-elle ? Aurait-elle disparu, emportée par le tourbillon des catastrophes politiques à répétition que nous subissons, encore et encore ? Et le ministère concerné serait-il entré en léthargie ? Aurait-il, tout comme les singes du proverbe, décidé de ne rien voir, de ne rien entendre, de ne rien sentir surtout et finalement de ne rien entreprendre, nous laissant démunis devant les bouillons de culture ambiants et la vermine ?
Il est plus que temps, je pense, de mettre un terme à cette détérioration des principaux indicateurs de l’état de santé de notre pays, qu’ils soient économiques, financiers, sanitaires ou sociaux, et qui sont tous dans le rouge le plus sombre. Qu’attendez-vous pour mettre sur pied un plan d’ajustement structurel et pour lancer les grandes réformes qui s’imposent dans les domaines de la santé, de l’éducation nationale, des finances et des entreprises publiques, de la sécurité, de la justice, et que sais-je encore !
Enfin, au risque de me répéter et au-delà des décisions qui seront prises, une chose est certaine : le pays doit se remettre au travail rapidement et sérieusement. Le travail doit impérativement redevenir une valeur en soi, pour soi et au service de l’Etat, et j’entends par là le fait d’assumer pleinement et totalement les tâches qui nous incombent dans les postes qui sont les nôtres. Il convient également de poursuivre notre marche vers la démocratie, surtout pour ce qui est de la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire et médiatique). Il est impératif également de changer le régime politique et la loi électorale, et d’amender certains articles de la Constitution. Les mesures politiques qui avaient été adoptées pour rédiger une nouvelle Constitution ne sont aujourd’hui plus adaptées à la gestion du pays. Cela n’est pas aisé à mettre en place j’en conviens, mais c’est pourtant ce qu’il faudrait faire, et sans autre délai, pour lever les blocages actuels.
La sentez-vous la tension morbide qui accable notre peuple ? La colère gronde, elle fait entendre des cris, encore épars pour le moment, mais jusqu’à quand ? Et que se passera-t-il quand les Tunisiens sortiront enfin de leur torpeur malsaine ?
Avant, le régime politique en place les tenait par la peur et par la méfiance, légitime, à l’encontre des tortionnaires de la dictature. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de pauvres, de gens qui ne peuvent plus se soigner correctement, et même qui ne mangent plus à leur faim. Que valent vos maroquins de ministres par rapport à cela ? Que pèsent vos salaires de députés dans la balance, et vos calculs de bas étage pour les maintenir à tout prix, quitte à en perdre vos âmes ?
Arrêtez le massacre avant qu’il ne soit vraiment trop tard, et redoutez le vent de l’histoire qui emporte impitoyablement ceux qui ont failli, ceux qui manquent à leur mission, à leur honneur, à leur patrie.