Accueil A la une Zouhair Maghzaoui, secrétaire général du Mouvement Echaâb, à La Presse : «Beaucoup d’improvisation et d’hésitation dans la gestion de la crise sanitaire»

Zouhair Maghzaoui, secrétaire général du Mouvement Echaâb, à La Presse : «Beaucoup d’improvisation et d’hésitation dans la gestion de la crise sanitaire»

Dans l’entretien qu’il accordé à La Presse, le secrétaire général du mouvement Echaâb parle de sa vision du prochain dialogue national qui aura lieu sous la houlette du Président de la République, ainsi que de son évaluation de la gestion politique des crises en Tunsie dont la pandémie de Covid-19

Vous faites partie de ceux qui sont à l’origine de l’idée du dialogue national, pourquoi aujourd’hui et quelles sont les réactions que vous avez eues ? 

L’initiative d’un dialogue vient de plusieurs parties prenantes et cela témoigne de la crise que la Tunisie traverse actuellement. La situation est vraiment critique puisqu’il s’agit d’une crise politique, sociale et économique aggravée par la pandémie du Covid-19. Nous avons proposé déjà une initiative avant que le Chef du gouvernement actuel, Hichem Mechichi, n’obtienne le vote de confiance. L’idée est que Hichem Mechichi qui voulait «arrêter l’hémorragie» devrait identifier les causes de cette hémorragie.

Ensuite, il s’agit de s’engager sur une période bien déterminée dans le temps, notre proposition était de un an et demi à deux ans. Après évaluation, il peut poursuivre ou bien on peut passer à un gouvernement politique ou à des élections anticipées. Entre-temps, le Parlement aura voté la Cour constitutionnelle et introduit les réformes nécessaires concernant la loi électorale. De même, les organisations syndicales ouvrière et patronale s’engagent à une période de répit et le gouvernement à tenir un dialogue avec les mouvements de contestation. On s’est rendu compte que dans tout cela, Hichem Mechichi ne s’intéressait qu’au répit. Notre réponse était claire : personne ne vous garantira ce répit sans contrepartie. Nous considérons vraiment que c’est une occasion ratée puisqu’il ne nous a pas répondu positivement. Ensuite, la crise s’est aggravée, les contestations se sont étendues d’une région à l’autre et la loi de finances aggravé une situation déjà alarmante. D’où l’idée d’un dialogue national pour faire une évaluation et trouver une sortie de cette crise.

Quelle est votre évaluation de la situation aujourd’hui ?

Dix ans après la révolution, rien ne s’est encore réalisé ! Nous avons un acquis politique et voici qu’il ressort entaché par la corruption et je vous renvoie au dernier rapport de la Cour des comptes qui prouve qu’il y a eu malversations, escroqueries, de l’argent qui provient de l’étranger pour des députés ou pour des responsables de l’Etat, etc. Aucune réalisation non plus sur le plan social. La raison veut aujourd’hui qu’on se pose la question: pourquoi nous n’avons pas pu réaliser ce que le peuple demande ? Le Président de la République a été très ouvert à cette proposition du dialogue.

Que pensez-vous de l’intervention de la présidence de la République à travers Madame Nadia Akacha concernant ceux qui ne vont pas participer à ce dialogue ?

Ceux qui sont à l’origine de cette crise et ceux qui sont impliqués dans des affaires de corruption ne peuvent pas faire partie de la solution. C’est la position de la présidence et on partage cet avis. D’autant plus que le dialogue à la manière traditionnelle de 2013 et 2014 n’est plus de court aujourd’hui, car le contexte a changé. Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’un dialogue politique mais d’un dialogue qui concerne tous les volets, social et économique entre autres. Qui va participer à ce dialogue ? La question est encore en discussion. Mais nous insistons à ce que ce dialogue ait lieu pour trouver des solutions au peuple qui n’a plus confiance en sa classe politique .

Quels sont vos rapports avec l’Ugtt aujourd’hui ?

On défend tous les deux l’idée de la portée sociale de l’Etat et de sa citoyenneté ainsi que celle de la démocratie sociale. On ne peut pas être d’accord sur certains détails, mais on essaie de trouver des solutions. Sur les grandes lignes, nous n’avons pas de désaccords avec l’Ugtt comme avec la présidence de la République.

Que pensez-vous de la nouvelle Troïka qui se prépare entre Ennahdha, Qalb Tounès et Al Karama ?

Cette alliance existe en effet et il est bien admis que cette Troïka était parmi les causes  qui ont miné le gouvernement Fakhfakh. Nous avons un président de l’Assemblée des représentants du peuple qui veut être à la fois à La Kasbah, au gouvernement et en même temps dans l’opposition à l’Assemblée des représentants du peuple ! La plupart des conflits sous le gouvernement Fakhfakh viennent du fait que le président de l’Assemblée voulait assurer sa position à la tête du Parlement et il a trouvé Qalb Tounès et Al Karama pour le soutenir.

Cette Troïka tourne autour d’intérêts personnels. Le président de l’ARP veut consolider son poste; Al Karama est connue pour être un «pare-choc» d’Ennahdha et Qalb Tounès est l’esclave des procès de son président.

Ce dernier croit que la Justice est entre les mains d’Ennahdha et que s’il s’en éloigne il sera traîné dans les tribunaux.

Cette nouvelle Troïka n’est pas basée sur l’intérêt de la Tunisie mais sur celui du président de Qalb Tounès et celui d’Ennahdha.

Ce qui constitue un danger aujourd’hui c’est que le Chef du gouvernement, Hichem Mechichi, est visé et risque d’être pris dans le piège de la nouvelle Troïka. Malheureusement, il est tombé dedans. Et à maintes reprises je lui ai fait savoir qu’il pouvait encore éviter ce piège. En fait, on lui a vendu un mirage pour lui faire croire qu’ils sont 120 députés au Parlement, or le décret 116 a dévoilé qu’ils sont beaucoup moins que ça. J’ai toujours dit à Hichem Mechichi que son point fort est son indépendance et qu’il ne doit pas céder au chantage. S’il cède, l’histoire de la Tunisie ne le retiendra pas tout comme ses prédécesseurs.

Quel est votre point de vue sur la loi de finances de 2021 ?

D’abord, nous avons des réserves concernant la loi de finances complémentaire de 2020 avec un taux de déficit de 13,7%. Le  gouvernement demande un financement interne à hauteur de 11 milliards de dinars.

La BCT a répondu qu’elle ne pouvait accorder que 3,5 milliards de dinars.

La proposition  a été retirée pour être ensuite remise au Parlement avec un déficit budgétaire d’environ 11 milliards et une demande de financement à hauteur de 8,5 milliards. La BCT ne peut fournir que 3,5 milliards avec la garantie du Parlement. Le ministre des Finances n’a pas répondu à la question «comment trouver le reste des financements ?».

Nous avons fait des propositions pour renflouer les caisses de l’Etat. Par exemple, si les fonctionnaires et les retraités ont soutenu l’Etat par une journée de travail pourquoi les banques, les assurances, les cliniques privées, les laboratoires pharmaceutiques ne participeraient pas à cet effort ? Ce sont des solution qui nécessitent du courage et de l’audace. Pourquoi ne pas imprimer de nouveaux billets pour faire rentrer les sommes colossales lâchées dans le circuit parallèle ? Pourquoi ne pas faire un plan pour récupérer les taxes fiscales qui traînent encore dans les tribunaux et qui s’élèvent à environ 4.000 milliards. Pourquoi ne pas s’ouvrir sur les marchés africain et chinois et ne s’accrocher uniquement aux partenaires classiques qui ont eux-mêmes des difficultés. A crise exceptionnelle, il faut des solutions exceptionnelles.

Quant à la loi de finances 2021, à notre sens, elle a été fondée sur des idées saugrenues ou du moins hilarantes. Elle a été établie par exemple sur le fait que la pandémie disparaîtra au mois de décembre.

Or, aucun pays au monde, même parmi les plus développés, n’a avancé une date concernant la fin de l’épidémie. Elle a été établie sur un taux de croissance qui atteindra les 4%,  ce qui est irréaliste vu le contexte actuel.

C’est aussi une loi de finances où la portée sociale de l’Etat est absente, tout comme le problème des ouvriers de chantier…la loi de finances 2021 n’est qu’une opération comptable sans aucune vision sociale et économique…

Que pensez-vous de la gestion de la deuxième vague du Covid-19 avec des décisions qui ne sont pas suivies d’explications logiques parfois ?

A mon avis, il y a un grand problème au niveau de la gestion politique de cette crise. Il ne s’agit pas uniquement de donner des chiffres. C’est le rôle du ministère de la Santé. La direction politique doit convaincre les citoyens et faire de la mobilisation. Tout cela est absent… Le Chef du gouvernement a parlé des cliniques privées qui viendront à la rescousse mais dans la réalité cela a été catastrophique. Au contraire, cela l’a décrédibilisé  aux yeux de tout le monde.

La santé du citoyen est un droit constitutionnel et la question des cliniques privées doit être tranchée avec une réquisition pendant la pandémie… Concernant l’horaire de la fermeture des cafés et des restaurants à 16 heures, la décision a été prise et appliquée.

Mais alors que la courbe du Covid continue à augmenter, le gouvernement décrète certaines mesures sans expliquer pourquoi. Est-ce sous l’effet d’une quelconque pression? En plus, personne n’arrive à comprendre le concept de ces restaurants qui ferment à 19 et des cafés à 16 heures. Pour tout vous dire, il y a beaucoup d’improvisation et d’hésitations dans la gestion de la crise du Covid. Personne n’arrive à trouver une explication logique à ces décisions.

Le gouvernement est appelé à trouver des solutions urgentes contre cette crise en réquisitionnant les cliniques par exemple.

Je demande aux Tunisiens de ne pas désespérer…les solutions pour sortir de la crise sociale et économique sont encore possibles et les objectifs de la révolution même s’ils ne sont pas encore atteints pourraient l’être un jour.

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