Ce n’est pas un concours de saveurs que nous nous proposons aujourd’hui, mais à un examen sémantique du vocabulaire culinaire qui, lui, n’a pas changé, et qui étonne souvent par sa créativité.
J’ai des origines ottomanes, certainement, d’autres syriennes probablement. Des réminiscences berbères, peut-être. Une certaine touche andalouse incontestablement. Qui suis-je ?
Je suis l’art culinaire tunisois, que des générations de femmes ont porté au plus haut degré de raffinement, d’imagination et de poésie. Et qui, aujourd’hui, n’a plus rien à envier à ses origines. Bien au contraire, qui les a probablement dépassées en inventivité, subtilité, et originalité.
Ce n’est pas un concours de saveurs que nous nous proposons aujourd’hui, mais à un examen sémantique du vocabulaire culinaire qui, lui, n’a pas changé, et qui étonne souvent par sa créativité.
Connaissez- vous, par exemple, la querelle du fameux « Tarayoun » appelé ainsi pour la couleur verte de ses pistaches, apparentée à celle du costume des tirailleurs? Certaines familles refusent cette démocratisation cavalière, et revendiquent pour nom « Khobzet Lahoua », ou gâteau du général, dont l’uniforme, lui aussi, était vert.
Qui expliquera jamais pourquoi cette délicieuse soupe de poulet, dans laquelle on a trempé des morceaux de doigts de fatma, si appréciée pendant le mois saint de ramadhan, s’appelle… « Cheikh Ftarech » ? Serait-ce la recette créée pour un cheikh au fin palais ? Et pour quelle inexplicable nostalgie le plat de légumes farcis, « mehchi » pourtant démocratique, s’appelle encore « Choualek dar el Bey». Vous savez, bien sûr, que la tranche de viande roulée et farcie d’œufs durs, servie en sauce, est baptisée « Aïn sbanioura », l’œil de l’Espagnole, cependant que, sans œufs, la même viande s’appelle, par une obscure revanche, « boulis mkatef », ou le policier ligoté.
Mais qui saura jamais pourquoi on appelle « Kaak amber », ces délicieux gâteaux qui ont tout de la pâte d’amande, et absolument rien de l’ambre. Quant aux « ouedhnain el cadhi », le pauvre cadhi aux grandes oreilles est sûrement entré dans la légende. De même que la Houria de la salade de carottes parfumée au cumin, au joli nom d’ Omek Houria.
Un autre mystère culinaire serait cette subtile composition de miel et de poudre de pois chiches appelée « ghzil el bnet » ou le tissage de jeunes Pénélopes gourmandes. Ou encore le très grivois « bazoulet el khadem », le sein de l’esclave. Et la délicieuse « halouet mgharef », sucrerie appelée, curieusement, bonbons de la cuillère.
Sans compter les spécialités de certaines familles connues pour leurs talents culinaires, dont les recettes sont entrées dans le domaine public : Cheikh Daoud — décidément, encore un cheikh gourmet — pour cet exceptionnel mesfouf à la crème, Mourali pour ce sublime ragoût gratiné, ou « teffah dar Belkhoja » pour ces pommes pochées farcies de pistaches.
Si avec tout cela vous n’avez pas l’eau à la bouche…
Sami
27 novembre 2020 à 14:28
Très amusant, merci !