La diffusion du développement dans toutes les régions du pays constitue, aujourd’hui, une ardente obligation qui conditionne la préservation de la paix et la cohésion sociale dans le pays. Les efforts déployés depuis des décennies pour intégrer les différentes régions dans le processus de développement, s’ils ont permis quelques percées significatives en matière d’exploitation des potentialités des régions de l’intérieur, demeurent encore insuffisants.
D’importantes disparités dans le niveau et la qualité de la vie demeurent entre les régions, rendant impérieuse la refonte de la stratégie et des politiques de développement régional.
Déséquilibres régionaux et inégalités sociales : deux problèmes cruciaux qui plombent le développement en Tunisie. S’il est une question d’importance capitale qui mette d’accord les différentes parties prenantes en Tunisie, c’est bien celle des inégalités sociales et régionales observées à travers le pays qui conditionnent inévitablement sa stabilité et son développement. L’atténuation de ces inégalités a été, d’ailleurs, consacrée dans la nouvelle Constitution de la République tunisienne de 2014 et figure en outre parmi les objectifs premiers de la stratégie de développement couvrant la période 2016-2020.
Grande attention populaire
L’étude sur le thème «Déséquilibres régionaux et inégalités sociales en Tunisie-Axes et actions prioritaires», publiée par Friedrich Ebert Stiftung Tunis, indique qu’un «intérêt particulier doit être porté à la perception des inégalités de l’opinion publique tunisienne qui suscite de grandes attentes et donc exacerbe davantage les tensions, ce qui conditionne par conséquent la définition des priorités des actions à mettre en œuvre par les pouvoirs publics dans le traitement de la problématique des inégalités».
D’ailleurs, cette problématique détient une importance manifeste et préoccupe une large majorité de la population, puisque selon une enquête réalisée en 2014 par le Think Tank américain Pew Research Center, 77% des Tunisiens interrogés ont déclaré que les inégalités entre les pauvres et les riches constituent un problème d’une priorité absolue, ainsi qu’un défi majeur à relever dans la conduite des politiques publiques.
Toujours d’après la même enquête et sur un total de 46 pays, la Tunisie se situe au 3e rang en termes de perception des inégalités économiques, juste derrière la Grèce et le Liban.
Le rapport Open Sigma 2017 sur les tendances socio-politico-économiques du pays, qui donne un aperçu des attentes des Tunisiens, ne fait que conforter ce constat. Il révèle que près de 90% des Tunisiens sondés se préoccupent de la question des inégalités dans le pays, et constatent même un échec par rapport à la réalisation des revendications propres aux disparités régionales.
Environ 64% de l’ensemble des interviewés considèrent que les inégalités se sont accentuées dans le pays, avec 23% qui estiment qu’elles se seraient même significativement accentuées. Moins du 1/3 considèrent que les inégalités ont régressé dont uniquement 6% qui considèrent qu’elles se sont significativement réduites durant ces sept dernières années.
Plus du 1/3 des interrogés ont perdu espoir quant à la résolution du problème des inégalités et considèrent qu’il n’existe pas de solutions. 31% ont un avis mitigé et trouvent que même si les solutions existent, elles sont difficiles à trouver. L’espoir persiste chez plus du 1/5 qui estiment que les solutions existent.
Distribution inéquitable des ressources
Les experts, auteurs de cette étude (Nizar Alaya, Riadh Ben Jelili et Abdessatar Mabkhout), précisent que «chaque région est marquée par une inégalité sociale et économique spécifique. Laquelle inégalité tient à la fois à la distribution inéquitable des ressources (équipements ou infrastructures, entreprises, revenus, investissements) et au redéploiement de la population qui en découle sur l’ensemble du pays».
Et d’ajouter que les disparités socioterritoriales représentent un problème majeur en Tunisie dont les pouvoirs publics sont conscients depuis de nombreuses années. D’ailleurs, l’injustice sociale a été l’un des principaux moteurs de la révolution de 2011». Toutefois, les solutions pour y remédier tardent à se mettre en place depuis.
Force est de constater que le pays n’arrive toujours pas à s’affranchir des anciens schémas socioéconomiques et des équations héritées de la période pré-révolution, notamment pour ce qui est du partage et de la répartition des richesses.
L’étude montre que l’injustice sociale a donné toujours lieu à un fossé régional incessant qui marginalise une large frange de la population.
Indice de développement régional
Le classement des gouvernorats en fonction de l’Indice de développement régional dénote d’une grande disparité entre les villes côtières, d’un côté, et les villes de l’intérieur de l’autre.
De même, «il existe une forte prédominance du nord-est et du centre-est du pays, à savoir Tunis, l’Ariana, Monastir, Ben Arous et Sousse qui arrivent en tête du classement en 2015. Ce sont les villes de l’Ouest qui accusent le plus de retard en termes de développement et notamment les gouvernorats du Centre-Ouest et du Nord-Ouest avec Jendouba, Kasserine, Kairouan, Siliana et Sidi-Bouzid, qui sont au plus bas du classement avec les indices de développement régional les plus faibles».
Adopter une démarche inclusive
La révolution de 2010-2011 a érigé la question des inégalités sociales en problématique nationale de premier ordre. «Les différents gouvernements ont tenté d’apporter des solutions à la problématique. Mais l’action publique peine à trouver de véritables solutions dans le traitement de la problématique des inégalités régionales et sociales dans le pays. Les résultats escomptés ne sont pas à la hauteur des attentes des différentes parties prenantes et les choix politiques sont souvent mis en place et conduits de façon unilatérale».
Les experts estiment que l’efficacité des actions de lutte contre les inégalités, demeure tributaire d’une large adhésion des différents acteurs concernés. Elle nécessite une démarche nouvelle, axée sur l’implication des différentes parties prenantes, c’est-à-dire une démarche inclusive et une attitude positive.
Dans un pays où les gens commencent à perdre patience, «la mesure de la rentabilité socioéconomique des investissements publics ne devrait plus se baser exclusivement sur une actualisation strictement chiffrée. Une stratégie de spécialisation devrait être envisagée comme processus de rattrapage et de convergence des régions en retard, en tirant profit de leurs avantages concurrentiels».
Il s’agit, en effet, d’assimiler les régions à des entités économiques potentiellement créatrices de valeur et les traiter en tant que telles, en cherchant, d’abord, à identifier les avantages comparatifs d’une région par rapport aux autres. Il s’agira par la suite de prioriser le développement de ces avantages en y concentrant les ressources et les moyens de la région en question.