La 6e édition des Journées cinématographiques de Carthage dans les prisons s’est ouverte à Oudhna le 19 décembre 2020, pendant la matinée. Au bout de l’interminable route du site archéologique de cette ville historique, un nouveau centre pénitentiaire a vu le jour depuis une année. Les JCC pour les prisonniers, c’est ici avec la projection des six courts métrages de l’ouverture en présence d’une partie importante des équipes des films, disponible pour le débat avec ce public peu ordinaire.
Prison d’Oudhna, 10h40, arrivée des journalistes, médias et autres invités soumis à un dispositif sécuritaire pointu avant de pénétrer dans une immense salle, ressemblant à un gymnase, ou à un grand atelier d’activités manuelles, situé en plein centre de la prison d’Oudhna. A l’intérieur, sièges, tapis rouge, séparant détenus et conviés, agents de sécurité se sont occupés de la mise en place de tout le monde face à un écran, installé à l’occasion. Conditions correctes adaptées au protocole sanitaire anticovid-19 exigé. Plus d’une soixantaine de détenus, hommes et femmes, dont une partie ramenée de la prison pour femmes de La Manouba et d’autres prisons des environs, attendent, assis, patiemment la projection.
L’initiative engagée est organisée en collaboration avec le Cnci et l’Organisation mondiale contre la torture (Omct). Gabriela Reiter, directrice du bureau tunisien de l’Omct, a exprimé son enthousiasme et sa satisfaction dans un court discours donné face au public présent. Elle y exprime sa reconnaissance aux autorités responsables du maintien de l’initiative des «JCC dans les prisons», qui est, selon elle, l’action même qui donne un sens au droit inaliénable pour chaque être humain d’accéder à la culture. Sont affiliées à son réseau SOS-Torture, de nombreuses organisations à travers le monde, militantes pour les droits humains. L’Omct collabore pendant et en dehors des JCC avec les autorités afin de renforcer leurs capacités en matière de prévention de la torture et de la lutte contre l’impunité à travers des moyens structurés, à l’image de ce rendez-vous cinématographique minutieusement organisé. Le droit du prisonnier à la santé va de pair avec celui de la culture, selon les responsables présents. Le rendez-vous maintenu avec l’appui du ministère de la Culture et de l’équipe des Journées cinématographiques de Carthage attise la passion, éveille curiosité et réactions diverses de cette audience pas si déconnectée de la réalité et du monde des arts qu’on ne le penserait d’emblée. Les courts métrages réalisés par Sonia Chamkhi, Hbib Mestiri, Alaa Eddine Abou Taleb, Tarek Khalladi, Heifel Ben Youssef et Faouzi Chelbi ont suscité échanges, réflexions, reconnaissance et réactions pendant presque une heure entre équipes de films et public. L’insistance des détenus quant au maintien de cette initiative se sent dans la plupart des interventions. Un intervenant a exprimé sa déception quant à sa découverte de films courts : il aurait aimé voir un film long, qui ferait durer le plaisir. Un autre a signalé l’importance de donner une meilleure image des quartiers populaires et des jeunes issus des régions qui peuvent également avoir un avenir professionnel «respectueux», selon ses propos.
«Barber House», le court métrage de Tarek Khalladi, interprété à l’écran par Nasreddine Ben Maati et Fatma Nasser, a provoqué applaudissements et fougue, spécialement chez les prisonnières présentes : il s’agit de l’histoire courte d’une femme qui est parvenue à venger la mort de sa petite fille. «La vengeance n’étant pas le meilleur moyen d’obtenir justice, il revient à la justice de trancher», modère un responsable. Des réflexions sur le Noir au cinéma ont été étalées après visionnage du «Noir 2» de Hbib Mestiri.
La plupart des interventions étaient constructives. Les intervenants avaient une certaine maîtrise, idées et connaissances du cinéma et de la scénographie. Cette échappée annuelle derrière les barreaux à travers le cinéma compte pour tous les détenus. Des workshops cinéma seront organisés en collaboration avec le Cnci pour les prisonniers pendant l’année. Initialement, le film de Kaouther Ben Henia «L’homme qui a vendu sa peau» était programmé à la prison d’Oudhna, mais finalement déprogrammé quelques heures plus tôt. La sortie première d’un film aussi attendu en prison aurait eu de bons échos.