En temps de crise, l’entreprise reste le maillon faible d’une économie sous pression. Mais au lieu d’accepter cette situation comme une fatalité, quel que soit le défi, il y a toujours un moyen d’améliorer la situation et même de renverser la donne. Mais que dit Carl Gustav Jung ? « Les crises, les bouleversements et la maladie ne surgissent pas par hasard. Ils nous servent d’indicateurs pour rectifier une trajectoire, explorer de nouvelles orientations, expérimenter un autre chemin de vie ». Partant de ce constat, et en attendant de pouvoir franchir le pas, ‘’Open Tunisia’’ voit le jour dans un contexte difficile, où la relance de la croissance des entreprises est un défi à relever. Ridha Charaa nous en dit plus dans cet entretien à La Presse.
Après l’Utica et la Conect, un troisième syndicat patronal voit le jour. Quelle est la genèse d’Open Tunisia ?
L’Organisation professionnelle des entrepreneurs-Tunisia (Open Tunisia) a été créée le 7 août 2020 à l’initiative d’un groupe de personnalités, chefs d’entreprise pour la plupart. A la différence des deux autres syndicats patronaux (l’historique Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat — Utica — et sa rivale la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie –Conect–), Open Tunisia est dédiée surtout aux TPE/PME. Elle s’est donné pour mission fondamentale de défendre les intérêts de ses adhérents et autres parties prenantes et de formuler des propositions pour faire évoluer le cadre législatif et réglementaire du climat des affaires en Tunisie.
L’idée de sa création est venue de la volonté d’un grand nombre de chefs d’entreprise de sauver le tissu économique tunisien (composé à 90% de PME) qui traverse, aujourd’hui, une crise aiguë et exceptionnelle, suite à l’apparition de la pandémie de coronavirus qui a bouleversé la stabilité du monde entier.
A l’instar de la plupart des pays du monde, la Tunisie, fortement impactée par la propagation de la Covid-19, fait face, aujourd’hui, à une situation de plus en plus précaire et même dangereuse, étant donné que la plupart des secteurs ont été fortement touchés par cette crise sanitaire avec une perte quasi totale du chiffre d’affaires, et certains sont même à l’arrêt. Et d’ailleurs les chiffres officiels confirment ce constat douloureux et décevant : selon les dernières statistiques publiées par l’Institut national de la statistique (INS), plus de 35% des entreprises en activité (près de 300.000) déclarent faire face à un risque de fermeture définitive dans les conditions actuelles. Par ailleurs, selon les chiffres publiés par le ministère de l’Industrie, les entreprises qui disparaissent avant d’atteindre l’âge de 3 ans représentent près de 80%. Et donc, des milliers d’employés et de salariés risquent de perdre leurs emplois. A ce tableau sombre, on ajoute la complexité des procédures administratives qui reste le premier handicap pour les investisseurs nationaux et étrangers ; des procédures compliquées qui peuvent s’étaler sur plus de deux mois, ce qui fait fuir les investisseurs… Sur un autre plan, le taux réel de la pression fiscale en Tunisie s’élève à 35,5%, soit l’un des plus élevés en Afrique…
A cet égard, cette crise et cette situation nous ont poussés à reclasser et à revoir nos priorités pour nous concentrer sur ce qui est vraiment important, faire face à ces nouveaux défis et surtout retrouver le chemin de la croissance économique afin de garder et sauver les postes d’emploi menacés qui se comptent par milliers. C’est à partir de ces besoins et de ce constat qu’est née Open Tunisia avec comme slogan : «S’ouvrir, s’unir, bâtir ».
Mais, dans ce contexte exceptionnel, il semble que le chantier entamé soit semé d’obstacles. A quoi la priorité sera-t-elle donnée ?
Il est vrai qu’Open Tunisia est venue enrichir le paysage syndical professionnel économique, qui est dans l’ADN de notre activité. Mais plus loin que ça, notre organisation a fixé des objectifs qui ouvrent la voie à un nouveau modèle économique et qui seront atteignables et réalisables. Ces derniers s’articulent autour de la promotion et de la défense de toute initiative d’entrepreneuriat pouvant assurer le développement de n’importe quel secteur d’activité et l’amélioration de son environnement tant au plan national qu’international, du renforcement des relations avec les partenaires internes et externes, de l’accompagnement de l’entreprise au quotidien pour assurer sa bonne marche et sa pérennité, du développement des réseaux à mettre en place au profit de tous les membres…Open Tunisia vise, entre autres, à servir et assurer la défense générale des intérêts légitimes des entreprises et des entrepreneurs pour être porte-parole des entrepreneurs et défenseur de leurs points de vue auprès des interlocuteurs appropriés.
Notre syndicat patronal vise ainsi à être un interlocuteur de référence sur tous les sujets concernant l’entrepreneuriat en Tunisie, à jouer un rôle actif dans les enjeux géopolitiques, économiques, culturels, environnementaux, numériques, sociaux et sociétaux, à adopter une approche prospective, globale et à long terme des défis à relever pour une économie tunisienne solide et compétitive…et donc à être une force de construction…Et pour l’être, il ne suffit pas de vouloir…
Vous souhaitez être une force de construction, mais sans vrai débat, c’est compliqué. Comment comptez-vous le faire ?
Open Tunisia est une organisation où les systèmes isolés, cloisonnés et ignorant «l’autre» feront place à une ouverture à des réalités multidimensionnelles, source d’enrichissement mutuel et d’innovation. C’est aussi une organisation ouverte, de réflexion et d’action, à laquelle chacun peut participer en fonction de son champ d’expertise, un carrefour où se rencontrent et s’allient les cultures, les sexes, les générations, les époques, les secteurs, les régions, les disciplines, les croyances religieuses et les choix politiques.
Et pour pouvoir concrétiser tous ces chantiers, il faut s’attaquer à l’origine du problème et commencer par le commencement.
Dans ce cadre-là, Open Tunisia se bat pour l’élimination des handicaps administratifs, la réduction de la pression fiscale et l’allégement de la fiscalité des TPE/PME, assurer un climat d’affaires favorable à tous les opérateurs économiques et surtout aux TPE/PME, garantir le respect par l’État de ses engagements vis-à-vis des entrepreneurs (accélérer le paiement des marchés publics, le remboursement des trop-perçus, traiter tous les entrepreneurs du même secteur sur un pied d’égalité,…), développer les activités des membres sur les plans national et international, assurer la représentativité et la présence de l’organisation dans toutes les instances locales, régionales, nationales et internationales, participer activement aux plans de la relance économique (surtout post-Covid), engager avec les partenaires sociaux un dialogue serein et loin des contraintes…
Il est, également, indispensable pour nous de réhabiliter l’image du chef d’entreprise et valoriser le rôle fondamental de l’entreprise pour l’économie nationale, participer à la lutte contre la contrebande et l’économie parallèle, adapter les normes et le droit aux spécificités des TPE/PME, sécuriser le statut du chef d’entreprise et de l’artisan, être un partenaire économique et social à part entière…
Ainsi, Open Tunisia défend-elle une vision à long terme de l’entreprise créatrice de richesse et d’emploi, qui sera le levier pour la diversification de l’économie nationale.
Il n’est pas inutile de rappeler à ce niveau-là que la Tunisie a toutes les potentialités notamment humaines pour être la cheville ouvrière en matière de développement au niveau des espaces euro-méditerranéen et arabo-africain. Pour aller de l’avant, la Tunisie doit s’appuyer sur son histoire, sa culture, ses potentialités… et sa population, jeune et dynamique en investissant dans l’éducation, les infrastructures et les nouvelles technologies.
Dans de récentes déclarations, vous avez plaidé pour arrêter de diaboliser les chefs d’entreprise, une revendication ancienne qui date de 2011. Que dites vous à ce sujet ?
Cette revendication est toujours d’actualité… Il faut cesser de diaboliser les hommes d’affaires et l’entreprise tunisienne, car ce sont eux qui créent l’emploi et par conséquent la richesse. Malgré ce contexte difficile, la majorité des chefs d’entreprise est prête à courir des risques pour le bien du pays. C’est à eux qu’on demande de payer ou de venir en aide à l’Etat à travers les dons en cas de besoin.
Et donc, c’est tout à fait légitime, qu’en contrepartie des efforts qu’ils fournissent, ils gagnent de l’argent.
Ainsi, il faut cesser de diaboliser ceux qui réussissent, car il est plus que jamais temps de protéger les créateurs de richesses et de prendre les décisions les plus appropriées pour la relance économique. Cet axe fait, aussi, partie de notre orientation afin de valoriser tous les atouts de ce pays.
Quel bilan dressez-vous après cinq mois d’exercice ?
Dans une première phase, notre effort a été intense pour mettre en place les structures régionales, sectorielles et internationales. Actuellement, sur le plan national, Open Tunisia est présente dans les 24 gouvernorats que compte la Tunisie avec 24 représentations, alors que sur le plan international, elle est présente dans 14 pays (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Niger, Sénégal, Côte d’Ivoire, Gabon, France, Italie, Suisse, Allemagne, Espagne, Belgique).
Il est important ici de souligner que l’Afrique reste notre priorité étant donné que ce continent connaîtrait une croissance dynamique – à 7,8 % d’après la Banque mondiale –, couplée à un développement rapide des infrastructures de commerce. Outre la mise en place des représentations d’Open Tunisia dans les pays à fort potentiel de développement, des accords de partenariat ont été signés pour faciliter l’accès des entreprises tunisiennes au marché africain.
Il est, également, prévu d’organiser, le 9 janvier en cours, une journée d’information destinée aux entreprises tunisiennes intéressées par le marché africain pour étudier les perspectives d’exportation des produits et services tunisiens vers l’Afrique (le cas de la Zone Comesa qui regroupe 21 pays).
Le 15 janvier 2021, il est prévu de conclure un accord de partenariat avec la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso. Le 21 janvier 2021, une visite du président de la Chambre du commerce, agriculture, industrie et services de la Guinée Bissau est attendue. Et à partir du 21 février 2021, des voyages des hommes d’affaires de et vers ces pays africains seront organisés…