Les remaniements annoncés dans les rangs des hauts cadres sécuritaires, leur publication sur les réseaux sociaux, puis leur annulation et, enfin, la révocation du ministre de l’Intérieur ne présagent rien de bon, notamment dans une conjoncture sécuritaire difficile marquée par la persistance des menaces terroristes et la montée de la criminalité.
Le Chef du gouvernement, Hichem Mechichi, a décidé de démettre le ministre de l’Intérieur, Taoufik Charfeddine, de ses fonctions sans pour autant expliquer les raisons de cette décision, ce qui a alimenté les rumeurs, suscité de nombreuses interrogations et provoqué l’ire de certains observateurs qui ont très vite dénoncé « une ingérence politique», d’autant plus qu’elle survient suite à des remaniements effectués par le ministre limogé et qui ont touché pratiquement une grande partie des directions clés relevant de ce ministère régalien. Mechichi assurera lui-même l’intérim en attendant la nomination d’un successeur.
Par contre, peu d’inquiétude face à la publication de documents classés top secret portant les noms et les postes des hauts cadres dudit ministère et moins de commentaires se rapportant aux incidences négatives sur le moral de certains hauts cadres qui ont été appelés à quitter leur fonction. Comment pourront-ils aujourd’hui assurer le bon déroulement du travail après avoir été (à tort ou à raison on ne le sait pas trop) pointés du doigt par le ministre limogé.
Si l’année 2020 s’est achevée sur une mauvaise nouvelle pour les services sécuritaires avec ce berger égorgé par un groupe terroriste le 20 décembre dans une montagne relevant d’une zone militaire fermée à Hassi El Frid, la nouvelle année commence, elle aussi, très mal pour les sécuritaires, non pas en raison des remaniements décidés, et qui, par ailleurs, ne dérogent pas à la règle, mais à cause du cafouillis qui s’en est suivi avec en premier temps la publication sur les réseaux sociaux de documents classés top secret détaillant ces remaniements et leur annulation en second lieu par le Chef du gouvernent en personne. Le limogeage du ministre de l’Intérieur qui n’a pas tardé a constitué la cerise sur le gâteau.
Désigné à la tête du ministère de l’Intérieur en août 2020, Taoufik Charfeddine, avocat de profession, et ancien coordinateur de la campagne électorale du Président de la République à Sousse, a décidé des remaniements qui ont touché des directions importantes relevant aussi bien de la Garde nationale que de la Sûreté nationale. Une décision qui s’apparente beaucoup plus à une «opération de nettoyage», prise dans la discrétion la plus totale, selon une source sécuritaire qui a requis l’anonymat. Plus d’une vingtaine de hauts cadres étaient concernés par ces remaniements dans une conjoncture sécuritaire difficile marquée par la persistance des menaces terroristes et la montée de la criminalité.
Instrumentalisation politique
La récupération politique ne s’est pas, en tout cas, fait attendre après le limogeage du ministre de l’Intérieur et l’annulation des remaniements dans les rangs des hauts cadres sécuritaires, comme s’il y avait des vainqueurs et des vaincus du côté des politiques. C’est que Taoufik Charfeddine était depuis sa nomination sur une chaise éjectable et fut la cible du parti Kalb Tounès, comme l’avait annoncé le député du Courant Démocratique Hichem Ajbouni dans une déclaration à une radio privée hier. Ce dernier a rappelé les propos de Nabil Karoui qui remontent au 1er septembre dernier annonçant le remplacement de sept ministres de l’actuelle équipe gouvernementale.
Pour sa part, le dirigeant du parti Ennahdha Abdelkarim Harouni a expliqué lors de son passage sur une chaîne de télévision privée que la Constitution octroie au Chef du gouvernement le droit d’évaluer ses ministres, d’intervenir en temps opportun pour procéder à des remaniements selon les besoins et l’intérêt du pays. Ce qui compte, c’est la compétence et l’intégrité des membres de l’équipe gouvernementale, a-t-il ajouté. Harouni a toutefois fait savoir que le gouvernement actuel est celui du Président de la République, un gouvernement indépendant des partis politiques. «On a demandé à Mechichi d’assumer son rôle de Chef du gouvernement et non celui de premier ministre auprès du Président de la République» a-t-il encore souligné.
Le limogeage du ministre de l’Intérieur est-il donc l’arbre qui cache la forêt dans un paysage politique où les partis se regardent inlassablement en chiens de faïence? Reflète-t-il la persistance d’un bras de fer entre les trois présidences qui ne fait qu’affaiblir les institutions de l’Etat. Les prochains jours apporteront peut-être la réponse.