Accueil A la une Entretien avec Raoudha Gafrej, Experte en ressources en eau et en adaptation aux changements climatiques : «Le tarif de vente de l’eau potable doit être revu à la hausse»

Entretien avec Raoudha Gafrej, Experte en ressources en eau et en adaptation aux changements climatiques : «Le tarif de vente de l’eau potable doit être revu à la hausse»

La terre se porte de plus en plus mal à cause de l’activité humaine qui a considérablement fragilisé les écosystèmes marin et terrestre en accentuant les changements climatiques dont les répercussions sont multiples : fonte des glaciers, hausse de la température…. L’épée de Damoclès pèse aujourd’hui sur une sécurité alimentaire négativement impactée par le rendement faible des cultures agricoles lourdement touchées par les phénomènes climatiques extrêmes qui sont survenus au cours de ces dernières décennies. Un cercle vicieux et insidieux s’est installé suite à des épisodes de sécheresse qui ont eu pour effet d’accentuer la pression sur les ressources hydriques, découlant de l’augmentation des besoins en eau de la population et du secteur agricole et de la surexploitation des nappes phréatiques. Quelles menaces pèsent aujourd’hui sur les ressources hydriques ? Faut-il revoir la gouvernance de l’eau et réajuster le tarif de l’eau potable en Tunisie ? Autant de questions qui se posent aujourd’hui et auxquelles Raoudha Gafrej, experte en ressources en eau et adaptation aux changements climatiques, a bien voulu répondre. Entretien

Selon le dernier rapport sur la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, le volume des ressources hydriques a baissé de 32% en Afrique du Nord au cours des trois dernières décennies. Cette baisse représente-t-elle une menace pour la sécurité alimentaire dans les zones de la région méditerranéenne?

Ce rapport confirme la baisse des apports en eau dans la région de la Méditerranée. Ce qui nous intéresse nous c’est la Tunisie. Nous avons pu observer au cours des dernières décennies une grande variabilité de la pluviométrie qui diffère entre le Nord, le Centre et le Sud et les saisons. Cette année, le mois de janvier a été plus chaud que d’habitude.  La température est élevée par rapport aux normales saisonnières. Cette hausse de la température en hiver a, pour effet, de générer une évapotranspiration plus importante et un assèchement des sols et accentue par conséquent les besoins du secteur agricole.

La fréquence et l’intensification des épisodes extrêmes climatiques, l’alternance entre les périodes de pluies intenses et les périodes de sécheresse au cours des trois dernières décennies ont eu des impacts négatifs sur l’agriculture. Cela s’est traduit par une réduction des apports en eau au niveau des barrages qui ont enregistré une baisse de 30 à 40% par rapport à l’année dernière. On parle d’ailleurs d’année sèche. La sécurité alimentaire dépend non seulement de la variabilité de la pluviométrie liée aux changements climatiques mais également du type d’agriculture pratiquée, des capacités et du rendement des agriculteurs et du déploiement de l’exportation des produits agricoles tunisiens sur les marchés étrangers.  La sécurité alimentaire est tributaire en effet de plusieurs facteurs.  Il faut savoir qu’au cours des 15 dernières années, nous avons importé  60% de nos besoins en céréales. La productivité à l’hectare est faible en Tunisie. Nous utilisons des semences qui ne sont pas résistantes à la sécheresse et aux maladies. Par ailleurs, un tiers du PIB agricole provient de l’agriculture irriguée qui concentre uniquement 5% des terres agricoles. En Tunisie, les périmètres publics sont irrigués à partir des grands barrages de Sidi Salem, Nebhana …En cas de sécheresse, l’alimentation en eau potable des ménages devient prioritaire et on procèdera alors à la satisfaction de seulement  20% des besoins en eau de ces périmètres irrigués dont dépend notre sécurité alimentaire.

Cela va se répercuter automatiquement sur le PIB agricole qui va fléchir. Le plus grand problème en Tunisie, c’est l’agriculture pluviale. Les oliveraies sont, à titre d’exemple, irriguées par la pluie. Or, en cas de grande variabilité de la pluviométrie et de période de sécheresse, si on ne recourt pas à une irrigation d’appoint, ces oliveraies vont s’assécher. Les répercussions sont multiples: déficit de la balance alimentaire, baisse des exportations et, par conséquent, des apports en devises qui servent à importer nos besoins en céréales. Par conséquent, les épisodes de sécheresse menacent la sécurité alimentaire, en impactant négativement le rendement et la productivité des agriculteurs.  Je pense qu’il faut trouver de nouvelles alternatives, en réduisant les superficies des périmètres publics irrigués, en optant pour des cultures qui ne consomment pas beaucoup d’eau, en augmentant les exportations de nos produits agricoles….

Quel est l’impact des changements climatiques sur les ressources hydriques en Afrique du Nord ?

Les changements climatiques sont responsables de la diminution des ressources en eau. Mais si ces ressources tarissent, ce n’est pas à cause de la sécheresse mais bien en raison de  la pression exercée sur ces ressources qui va s’accroître. Le tarissement des ressources découle finalement de l’accroissement des besoins de la population et du secteur agricole en période de sécheresse et de la surexploitation des nappes phréatiques.

Pourquoi de nombreuses populations rurales sont privées aujourd’hui d’eau potable alors que les zones dans lesquelles elles habitent sont les mieux nanties et les plus riches en eau ?

En Tunisie, 6% de la population rurale, soit  près de 300 000 personnes, n’ont pas accès à une eau potable  propre et sécurisée alors qu’elles vivent en majorité dans les régions du Nord-Ouest  qui sont les mieux nanties en ressources hydriques. On trouve dans cette zone l’un des plus grands barrages du pays. Si l’accès à l’eau potable est difficile pour ces habitants c’est parce qu’ils vivent dans des zones montagneuses élevées alors que le barrage se trouve en contrebas. Pour pouvoir faire parvenir l’eau à ces zones où les habitations sont dispersées, il faut recourir à des technologies qui sont trop chères et trop coûteuses pour les groupements de développement agricoles qui  gère l’infrastructure de l’eau et l’accès à l’eau potable dans les zones rurales. Surendettés, ils ont montré leurs limites en matière de gestion de l’eau potable.

Comment améliorer l’accès à l’eau potable dans les zones les plus reculées et les plus défavorisées ?

L’Etat doit assumer ses responsabilités et mobiliser les moyens humains et nécessaires pour assurer l’accès à l’eau potable. A titre d’exemple, il est possible d’installer des citernes au sein des habitations. Dans les zones où il y a des rassemblements d’habitants on peut les alimenter à partir d’un forage. Il y a des technologies qui permettent également de transformer l’humidité de l’air en eau potable. Mais ce sont des technologies coûteuses.

Qu’est-ce qui doit changer en matière de politique de gestion de l’eau en Tunisie ?

Nous vivons dans une situation de pénurie d’eau absolue avec une moyenne qui ne dépasse pas 400m3 par habitant par an.  Les politiques en matière de gestion de l’eau ont atteint leur limite. Il y a un problème de gouvernance de l’eau en Tunisie. L’un des principaux problèmes réside dans la centralisation de la gestion des ressources hydriques au sein du ministère de l’Agriculture qui assure à la fois les fonctions de planification, de  gestion, de régulation alors qu’il est également un grand consommateur d’eau ce qui le place dans la position délicate de juge et partie. D’où l’importance de décentraliser la gestion de l’eau et d’instaurer une institution indépendante de gestion et de régulation…

Faut-il augmenter le tarif de l’eau potable en Tunisie ?

Il y a une infrastructure d’eau qui est vétuste et qu’il faut entretenir car elle est vieille. Or, le tarif de vente de l’eau  potable en Tunisie est trop faible et ne permet pas de couvrir les charges et les frais d’exploitation de la Sonede. Il s’agit d’une tarification sociale voulue par le gouvernement qui s’est toujours opposé à l’augmentation du tarif de vente de l’eau potable.

La Sonede a enregistré des pertes importantes sur son réseau car la plupart des conduites  sont très anciennes. Or, la vente de l’eau à un tarif inférieur à son coût de production rend difficile aujourd’hui la maintenance du réseau. C’est pour cette raison qu’il faudrait revoir à  la hausse le prix de l’eau potable et celui de l’eau d’irrigation sinon l’Etat devra, comme il le fait pour l’Onas, dont il couvre un tiers des charges d’exploitation, envisager également de subventionner les frais de gestion et d’exploitation de la Sonede.

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