Accueil Société Médecine de famille: 4% seulement des médecins ont l’intention de rester en Tunisie

Médecine de famille: 4% seulement des médecins ont l’intention de rester en Tunisie

La question de la migration de nos médecins à l’étranger a été évoquée de façon récurrente depuis la Révolution sans parvenir à mettre fin à ce fléau qui tue à petit feu notre modèle de santé. Mais aujourd’hui, et face à un système de santé qui pourrait souffrir d’une pénurie en ressources humaines, en dépit d’une crise sanitaire sans précédent, cette fuite des cerveaux, qui touche la crème des qualifiés, est de nouveau sur la table de discussion, étant donné que les chiffres annoncés sont tout aussi effrayants.

Dans le cadre de sa thèse de doctorat, portant sur la question de la migration des médecins de famille, Ibrahim Ben Slama indique que, d’année en année, de plus en plus de médecins —toutes spécialités confondues— quittent ou rêvent de quitter leur pays à tout prix. Ce départ massif a été justifié par les conditions de travail, qui sont souvent défavorables pour ne pas dire catastrophiques, la faible rémunération, le climat politique instable, la baisse inexorable du pouvoir d’achat, la crise économique qui perdure dans le pays… ce qui n’encourage pas ces jeunes élites à rester.

Selon ce jeune médecin de famille, aujourd’hui, la situation devient de plus en plus critique dans le secteur de la santé pour plusieurs raisons qui ne semblent pas négligeables. D’une part, la Tunisie, à l’instar de tous les pays du monde, fait face à une épidémie d’une très grande ampleur, ce qui a nécessité la mobilisation de tous les réseaux de soins du pays, alors que, de l’autre côté, avec cette fuite des cerveaux et ces médecins qui ne cessent de déserter les hôpitaux, la santé publique tunisienne reste en déperdition, notamment dans ce contexte particulier, ce qui aura des répercussions sur la qualité des soins dans notre pays. Ce constat pose de nombreuses questions : cette migration de médecins a-t-elle contribué à une détérioration de l’état de santé des populations qui restent dans le pays ? N’a-t-elle pas engendré des déficits de main-d’œuvre? Faut-il s’inquiéter de notre futur avec le vieillissement progressif des praticiens dans ce métier ?

La dynamique migratoire…

Dr Ben Slama précise que, durant les dernières années et du fait des pénuries et des défis sanitaires qui s’imposent à tous les pays du monde, la migration internationale des médecins est devenue un objet de recherche et une préoccupation majeure pour les pays d’accueil où les médecins étrangers aident à faire face aux pénuries en personnel médical, considérant ainsi ce phénomène comme moyen d’ajustement des ressources humaines dans le secteur de la santé.

«Les pays en développement, avec des moyens financiers limités, sont les plus touchés par ce phénomène international, avec des motivations de départ qui se multiplient. Mais même si cette dynamique migratoire touche surtout les pays en développement, comme le nôtre, ceux qui sont développés n’y échappent pas, étant donné que le monde entier a connu, pendant la dernière décennie, une augmentation du flux migratoire des compétences, à l’instar des médecins.

Toutefois, si les flux s’orientent principalement des pays en développement vers les pays riches, étant donné que leurs systèmes de soins reposent de façon considérable sur des professionnels de santé étrangers, ces flux sont, également, croissants entre pays développés ainsi qu’entre pays en développement.

Donc, ce qu’il faut retenir est le suivant : il semble qu’à chaque crise sanitaire, on redécouvre l’ampleur de ce phénomène, qui est bel et bien ancré dans le temps », explique Dr Ben Slama.

69% des médecins tunisiens veulent quitter le pays

Revenant sur l’étude qui a été réalisée sur un échantillon de 253 médecins de famille, considérés souvent comme la pierre angulaire du système de santé en Tunisie, Dr Ben Slama précise que 69% des médecins sondés ont affiché leur intention de quitter le pays, contre 27% qui n’ont pas encore décidé, alors que 4% seulement ont l’intention de rester en Tunisie.

«Parmi les raisons de non attractivité de ce métier noble, on cite tout d’abord les perspectives professionnelles pour cette spécialité, objet d’une polémique forte pendant ces derniers moments (réforme des études médicales, gel des recrutements dans le secteur public…). A cela on ajoute le faible taux d’encadrement, la répartition inéquitable de la charge de travail, la mauvaise infrastructure des hôpitaux, l’absence d’une meilleure perspective d’avenir…qui figurent aussi parmi les problématiques de ce secteur. Pour ce faire, il est plus que jamais temps de revaloriser ce métier pour lui rendre ses lettres de noblesse…

Sur un autre plan, en temps normal, les médecins de famille, également qualifiés de “médecins de première ligne”, traitent plus de 90% des problèmes de santé de notre population. Leur rôle se renforce encore avec cette crise sanitaire liée au coronavirus durant laquelle ils sont investis d’une mission, qui est la lutte contre cette pandémie, tout en assurant la continuité des services offerts à la population. D’où la nécessité de revoir notre système de santé à l’heure où ce secteur connaît un départ massif vers l’étranger et cette approche de la migration n’est que l’un des symptômes de défaillance de notre système de santé », explique-t-il.

Toujours selon l’étude réalisée, la première destination des médecins migrants reste l’Allemagne pour 78% des personnes sondées, suivie de la France avec 25% puis le Canada. Ce choix est expliqué par les possibilités qu’offre ce pays dans le processus de spécialisation (en Allemagne, avec un système “souple”, il est beaucoup plus facile de se spécialiser que dans d’autres pays), la médecine de famille est l’un des métiers où il y a une pénurie de main-d’œuvre, ce pays européen offre des conditions de travail attrayantes…

«En 2024, le vieillissement des praticiens dans ce secteur génère des besoins en soins grandissants, ce qui fait que le pays devrait faire face au manque de personnel médical et à son inégale répartition sur le territoire. Pour éviter ce scénario, il faut mettre en place une stratégie globale pour la migration des cerveaux, dans tous les domaines, afin de minimiser ce fléau et fidéliser nos compétences», conclut Dr Ben Slama.

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