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Tunisie-FMI | A quand les reformes tant attendues ?

A la fin d’une mission à distance, du 9 au 18 décembre 2020 et du 4 janvier au 13 janvier 2021, dans le cadre de la consultation pour 2020 au titre de l’Article IV pour la Tunisie, les services du Fonds monétaire international (FMI) encouragent les autorités tunisiennes à continuer de renforcer les filets de protection sociale et d’améliorer l’investissement public, alors que le pays, qui fait face à une flambée de contaminations par le coronavirus, peine à boucler son budget pour 2021.

Pour une reprise des négociations, le Fonds monétaire international (FMI) pose, une nouvelle fois, ses conditions à la Tunisie. Il paraît bien que ce dernier n’a plus confiance en l’Etat tunisien qui ne fait que promettre des réformes qu’il ne réalise pas.

A la fin d’une mission virtuelle, qui s’est déroulée entre le 9 et le 18 décembre dernier, puis du 4 au 13 janvier 2021, une équipe des services du FMI, dirigée par Chris Geiregat, a rendu son verdict. Face au double défi de la Tunisie ; le sauvetage des vies et la préservation des conditions de vie, le pays doit « assigner une priorité claire aux dépenses de santé et de protection sociale, tout en exerçant un contrôle sur la masse salariale, sur des subventions énergétiques mal ciblées, et sur les transferts aux entreprises publiques ». Toujours selon le rapport de la mission, « la loi de finances pour 2021 cherche à atteindre cet équilibre entre les différentes priorités, avec un déficit budgétaire estimé en réduction pour atteindre 6,6 % du PIB. Des mesures spécifiques sont nécessaires pour parvenir à cet objectif de déficit, alors qu’en leur absence, les services du FMI estiment que celui-ci pourrait atteindre un chiffre élevé, de plus de 9 % du PIB ». Les services du FMI encouragent les autorités à continuer de renforcer des filets de protection sociale mieux ciblés et de favoriser l’investissement à fort impact en termes de croissance économique.

Pacte social

D’après les conclusions du Fonds, les perspectives économiques de la Tunisie, à moyen terme, dépendront étroitement  de l’adoption par les autorités d’un plan de réforme crédible et bien communiqué. Il s’agit d’une condition sine qua non  pour bénéficier du soutien de la société tunisienne et de ses partenaires internationaux de développement. Pour ce faire, toutes les parties prenantes, chacune dans son domaine, doivent s’engager, à travers un « Pacte social » à résoudre les problèmes structurels de l’économie tunisienne, à savoir la masse salariale très élevée de la fonction publique, la problématique des subventions, le rôle des entreprises publiques dans l’économie, le secteur informel, l’équité fiscale, les reformes anti-corruption et l’environnement des affaires.

Malgré les efforts louables engagés par l’Etat pour soutenir plusieurs grandes entreprises publiques croulant sous le poids de la dette, les services du FMI encouragent les autorités à mettre en place un plan de réforme à moyen terme. Ce plan sera basé sur la viabilité financière de ces entreprises, leur importance stratégique et leur nature de leurs activités. Ce plan de réforme doit envisager, par ailleurs, de placer ces entreprises publiques en difficulté sous la tutelle d’une seule entité. Les réformes demandées par le FMI concernent, également, le renforcement de la gouvernance d’entreprise et l’amélioration de la transparence et le « reporting » financier. Aussi, il est question d’améliorer la situation financière des caisses de sécurité sociale, ce qui réduirait les risques budgétaires. Les réformes qui doivent être entreprises pour les années à venir devraient concerner l’anti-corruption, la bonne gouvernance et la transparence.

En ce qui concerne la politique monétaire de la Banque centrale de Tunisie, « les  services du FMI encouragent les autorités à éviter de procéder, dans le futur, à un financement monétaire de l’Etat, alors que celui-ci risquerait de faire marche arrière s’agissant des succès enregistrés dans la lutte contre l’inflation, d’affaiblir le taux de change et le niveau des réserves de change, et d’affecter négativement la stabilité financière ». La BCT doit continuer de se concentrer sur l’inflation via ses taux directeurs, tout en préservant une flexibilité du taux de change, à la hausse comme à la baisse. La BCT est appelée, d’après  le rapport de la mission du FMI, à surveiller de manière étroite le secteur financier en ces temps de crise sanitaire.

Pour faire face aux problèmes structurels de son économie, la Tunisie doit davantage miser sur le secteur privé et la concurrence. Le FMI appelle à l’élimination des monopoles. Le fonds encourage l’Etat dans son engagement  sur la voie des sources d’énergie renouvelables et son combat contre le changement climatique.

Réformes prioritaires

Depuis avril dernier, le Fonds monétaire international a listé les réformes prioritaires qui doivent être engagées par la Tunisie, à moyen terme, pour sortir de sa crise structurelle. Au-delà la crise immédiate du Covid-19, les autorités doivent appliquer des mesures et des réformes visant à assurer la stabilité macroéconomique, à empêcher la dette d’augmenter davantage et à soutenir une croissance tirée par le secteur privé, qui doit profiter à tous les Tunisiens.

« Lorsque la crise du coronavirus s’estompera, le gouvernement tunisien prendra des mesures pour améliorer les soldes budgétaires du pays; elles viseront notamment à réduire davantage les subventions à l’énergie tout en veillant à l’équilibre social et à maîtriser la masse salariale de la fonction publique, qui reste parmi les plus élevées dans le monde. Il importera également d’améliorer encore l’équité du système fiscal, notamment en redoublant d’effort pour prévenir la fraude fiscale », selon une note publiée le 10 avril 2020 sur le site du FMI. Les recommandations du fonds sont toujours les mêmes ; réformer le secteur des grandes entreprises publiques, améliorer le climat des affaires et créer de l’emploi dans le secteur privé.

« Sans un pacte national auquel s’engageraient l’Etat, l’Ugtt et l’Utica, il serait difficile de sauver le pays. Aujourd’hui, le gouvernement est en train de négocier tout seul avec le FMI et il est en situation de faiblesse. Les négociations risquent d’être à son désavantage et le FMI pourrait lui imposer des mesures draconiennes. Les bailleurs de fonds internationaux, tels que le Fonds monétaire international, ont besoin de visibilité avant de s’engager », souligne Afif Chelbi, ancien président du Conseil des Analyses Economiques (CAE) et ancien ministre de l’Industrie (avant la révolution), dans une déclaration faite sur le site électronique « webmanagercentre ». Il poursuit : «Sans ses partenaires sociaux garants de la paix et de la stabilité sociales et sans être munis d’un plan de réformes à moyen terme, qui est de nature à rassurer nos interlocuteurs et à baisser leur niveau d’exigence, le gouvernement tunisien serait fortement lésé ».

Pour Slim Tlatli, également ancien ministre et expert international dans la mise à niveau et la modernisation industrielle, «même si le FMI et la Banque mondiale promettent que s’il y a un plan d’ajustement et de restructuration, ils accorderont des aides aux classes les plus vulnérables, il n’est pas sûr que les réformes attendues ne soient pas douloureuses, surtout pour les classes moyennes, d’ores et déjà affaiblies ». Tlatli, qui s’est exprimé sur le même site, déclare que « la dette publique est devenue insoutenable et l’Etat tunisien devra trancher dans le vif pour rétablir l’équilibre financier et budgétaire du pays ». D’après lui, « d’ores et déjà, il faut oser la réforme de la compensation et sa rationalisation, assurer une meilleure gouvernance des caisses sociales et mettre fin à l’hémorragie financière des entreprises publiques, mais aucune relance ne sera possible sans la maîtrise de la pandémie du nouveau coronavirus ».

Toujours sur le même site, Radhi Meddeb, économiste et président de « Comete Ingeneering », « le Fonds monétaire international vient de renouer le dialogue avec la Tunisie après une suspension de plus d’un an et demi… Le Fonds a publié un communiqué, comme c’est la règle, et pour une fois, ce dernier n’a pas été enrobé dans un langage diplomatique qui eût abusé le commun des lecteurs non habitué à décrypter les non-dits du FMI… Cette fois-ci, le langage est clair ! Le FMI dit à la Tunisie : vous avez deux défis à relever. Le premier consiste à faire face aux effets de la Covid-19 et sauvegarder la vie des populations. Le deuxième est de ramener les déséquilibres budgétaires et externes sur une trajectoire soutenable. En clair, il faut remettre de l’ordre dans la maison ». Selon Meddeb, «le fonds dit que l’Etat ne peut plus continuer à subventionner des entreprises publiques qui ne relèvent pas de sa mission stratégique. Il n’appelle pas clairement à la privatisation, mais il adresse au gouvernement tunisien le message que les lignes rouges imposées jusque-là doivent être levées ». Radhi Meddeb continue : « Le FMI nous donnait par an 150 millions de dollars, ce montant n’est rien par rapport à nos besoins et ce n’est donc pas avec ce montant qu’il va nous imposer ses lois. Mais la question est beaucoup plus profonde que cela. Il ne s’agit pas des 150 millions. D’ailleurs, le FMI peut ne rien nous donner, mais il aura quand même la même influence sur nos politiques publiques ». Meddeb explique le pourquoi de cette influence. « En discutant avec un  haut responsable financier d’un pays du Golfe, que nos politiques courtisaient, à l’époque, pour nous apporter une partie des ressources dont nous avions besoin, ce dernier m’avait avancé que toutes les parties, qui devaient emprunter de l’argent à la Tunisie, n’étaient pas capables d’évaluer, seules, la viabilité de l’économie tunisienne et de ses finances. Il m’avait expliqué qu’il a été impératif de se mettre derrière une institution, qui porte un drapeau, et cette institution, c’est le FMI. C’est seulement cette institution qui pouvait garantir la solvabilité de l’économie tunisienne ».

Que son accord pour le financement des besoins de la Tunisie soit direct ou indirect, le FMI garde toujours un œil sur les indicateurs économiques de la Tunisie. Malgré cela, certains comme Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt), considèrent que le FMI doit comprendre la spécificité de la situation sociale en Tunisie. D’après lui, toutes les réformes économiques sont les bienvenues,  à condition qu’elles respectent la souveraineté nationale. «Nous sommes bel et bien conscients que nous avons besoin de réformes, mais qui respectent la souveraineté nationale et sans conditions », a-t-il souligné. D’après Taboubi, l’une des réformes urgentes est de garantir la justice fiscale, puisqu’au jour d’aujourd’hui, 75% des impôts sont payés par les fonctionnaires, les banques, les assurances…

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