Le secteur bancaire tunisien fait l’objet d’importantes réformes en vue de rapprocher ses ratios en matière de solvabilité et d’efficacité aux standards internationaux. Selon une étude élaborée par Amel Medini, présidente du Conseil de la BH, le secteur a connu une restructuration des banques publiques et la mise en place de plusieurs réformes durant la dernière décennie pour redresser ce secteur qui connaissait certaines difficultés : évolution négative de la marge d’intermédiation et du rendement des actifs propres entre 2009 et 2011, un risque élevé de liquidité, une évolution importante des créances improductives entraînant un effet de provisionnement plus important au niveau des banques privées.
Le secteur bancaire tunisien se caractérisait, au cours des dix dernières années, par «une fragmentation importante avec 21 banques pour 11 millions d’habitants, un faible taux de bancarisation (32%) malgré le nombre important de banques, une concurrence limitée inférieure à ce qui est constaté par exemple au Maroc et en Egypte. Cette situation est expliquée en partie par le cadre de réglementation et de surveillance qui était inadéquat, l’insuffisance de normes, la limitation du taux d’intérêt maximum par la BCT, l’intervention de l’Etat au niveau des banques publiques et l’inefficacité du régime de faillite», explique Mme Medini.
Et d’ajouter que le nombre d’agences bancaires est inférieur à celui de pays à économie similaire. De même, leur taille ne permet pas le soutien des grandes entreprises.
Cependant, le potentiel de développement du secteur bancaire était important eu égard aux services bancaires fournis qui n’ont cessé d’évoluer. A cela s’ajoute l’intérêt accordé au secteur bancaire tunisien par les banques étrangères qui ont augmenté leurs parts d’actifs au niveau des banques de 20% en 2004 à 35% en 2011.
Réforme indispensable
Concernant la réforme du secteur bancaire, elle s’est avérée indispensable, de l’avis de Mme Medini, et ce, afin de consolider la concurrence, l’efficacité et l’efficience des banques à travers le renforcement de la réglementation et de la surveillance des banques.
En effet, «les réformes engagées depuis 2011 pour le secteur bancaire ont touché plusieurs volets, dont principalement la gouvernance, la gestion des risques et la lutte contre le blanchiment d’argent».
Conscient des difficultés et des défis du secteur bancaire et plus précisément des banques publiques, le ministère des Finances, en accord avec la BCT, a lancé en 2012 des opérations d’audit complet pour les 3 grandes banques publiques : la STB, la BNA et la BH afin de déterminer les points forts et les points faibles de chaque banque, et définir en conséquence un programme de restructuration spécifique à chacune d’elles. Cette réforme vise la révision du rôle de l’Etat dans le secteur bancaire.
«Les mesures et réformes prises à la suite de ces audits, outre la recapitalisation de la STB pour 750 M.D et la BH pour 110 MD, ont porté sur l’amélioration de la gouvernance, l’organisation y compris le réseau, les services et la performance, les ressources humaines et le système d’information».
L’étude indique, par ailleurs, que «les plans de restructuration doivent aussi être actualisés et adaptés en fonction des nouveaux besoins émanant de l’évolution du volet réglementaire, mais aussi de l’environnement économique du pays et des attentes des clients de chaque banque en vue de renforcer sa compétitivité et son efficacité dans le financement de l’économie ».Outre les mesures prises individuellement au niveau de chaque banque, des mesures ont été prises par l’Etat pour assouplir les procédures de recouvrement des créances par les banques publiques qui sont soumises à des règles très strictes, ne permettant pas l’abandon des créances dans le cadre d’arrangements avec les clients, connaissant des difficultés contrairement aux banques du secteur privé. Il s’agit de la loi du 6 juin 2018 modifiant et complétant celle de 2015, visant le renforcement de la solidité financière des banques. « Cette loi a prévu la création d’un comité de contrôle de la réforme administrative et structurelle des politiques de recouvrement et d’audit dans les banques publiques ».
Selon la même source, les réformes entreprises ont eu un impact positif sur la gouvernance des banques et l’amélioration de leur solidité financière. Toutefois, «ces efforts doivent être poursuivis par les divers intervenants, à savoir l’Etat, la BCT et les banques elles-mêmes pour développer le secteur et renforcer son soutien à l’économie».
Pistes de réflexion
Aux dires de Mme Medini, la crise sanitaire du Covid-19, en plus de la crise économique et à l’environnement politique et social du pays, va forcément impacter négativement la situation financière des banques à cause de la période de confinement qui a entraîné une baisse de l’activité, mais aussi suite aux mesures prises par le gouvernement pour soutenir les individus et des entreprises. D’où, «des pistes de réflexion peuvent être balisées pour la poursuite des réformes et le développement du secteur bancaire, à savoir l’engagement des réformes nécessaires et la restructuration des entreprises publiques permettant de les assainir et de les redresser ce qui va permettre au secteur financier de recouvrer les créances auprès de ces entreprises et de les soutenir dans leurs programmes de développement. Il y a lieu également d’envisager la privatisation de certaines entreprises publiques.
Il s’agit, également, de présenter les solutions adéquates aux secteurs économiques qui connaissent des problèmes conjoncturels ou structurels, comme le secteur touristique, celui de la promotion immobilière, du bâtiment et des travaux publics dont l’impact sur le secteur bancaire peut être important (taux de mortalité très important pour les PME du BTP, à cause du non-paiement par les structures publiques des travaux réalisés par ces entreprises).
Il faut aussi fournir des efforts considérables pour faciliter l’accès des PME au financement et à la liquidité pour les aider à améliorer leur compétitivité. «Sachant que les PME jouent un rôle très important dans l’économie tunisienne, de par leur nombre et leur contribution dans le PIB du pays et l’emploi (baisse du taux d’intérêt, recherche de lignes de financement adaptées aux besoins des PME, meilleur accompagnement des PME pour la préparation de leurs dossiers de financement, révision du système de garantie de la Sotugar…)».
D’autres pistes non moins importantes peuvent être proposées, dont le soutien des entreprises tunisiennes dans leur développement à l’extérieur et surtout en Afrique (développement de nouveaux marchés pour garantir la pérennité des entreprises.
L’étude met l’accent sur la révision du régime fiscal du secteur bancaire qui est actuellement surimposé ce qui risque de le fragiliser, ainsi que les procédures du contentieux judicaire pour éviter leur lenteur et complexité et améliorer le recouvrement des créances.
Mesures constitutives
Pour sa part, Rached Fourati, président du Conseil de l’Amen Bank, dresse le premier bilan ou le pré-bilan du programme de restructuration et des réformes mises en place depuis 2012, qui, selon lui, a assuré plusieurs réalisations positives, dont notamment des actions correctives extrêmement utiles au niveau de la gouvernance des banques publiques, des assouplissements particulièrement opportuns dans les procédures de recouvrement et d’abandon de créances (jusqu’à 20% de leur montant), des facilités utiles dans la passation des marchés à conclure par les banques publiques et dans la gestion de leurs achats courants et le renforcement plus que nécessaire des fonds propres de ces banques.
«Ces diverses mesures constitutives d’un vrai programme de sauvetage et de restructuration ont permis aux banques publiques de mettre fin à plusieurs de leurs difficultés et entraves, de retrouver leur place dans le système bancaire tunisien et de générer enfin des PNB (Produit net bancaire) et des résultats fort appréciables. On ne peut que s’en féliciter», souligne Fourati .
Et d’ajouter que les réformes introduites dans le système bancaire (loi de juillet 2016 et les diverses circulaires de la BCT) ont effectivement permis plusieurs avancées, dont notamment le renforcement du contrôle interne au sein des banques, le renforcement de la gouvernance, l’introduction de nouveaux ratios règlementaires pour s’assurer de la solidité et de la résilience de nos banques, ainsi qu’une plus grande protection des épargnants et des déposants.
«Mais ces réformes ont été pensées et mises en place à un moment où la situation économique du pays et la situation matérielle des usagers n’ont cessé de se dégrader d’année en année. En fait, ces usagers mal ou peu informés semblent ignorer que la réalité économique des banques en Tunisie est toute autre, et que cette réalité n’est pas aussi heureuse et florissante que ne laissent apparaître les chiffres de fin d’exercice affichés. En effet, ces réformes appliquées à un secteur déjà hyper réglementé n’ont pas permis de renforcer fortement et durablement leurs fonds propres, même si les premiers stress tests appliqués dernièrement aux banques de la place se sont avérés juste acceptables», souligne-il.
Bilan mitigé
Fourati précise que la 2e vague du Covid est venue encore aggraver la détresse des entreprises. «Cela a eu pour conséquence de voir que le nombre de dossiers finalisés par les banques ne cesse d’augmenter et que le nombre de dossiers en souffrance chez la Sotugar ne cesse lui aussi d’augmenter. C’est dire que ces réformes, dont un premier bilan me paraît plutôt mitigé, se sont conjuguées avec une surimposition des bénéfices des banques: 35% pour l’IS +diverses taxes conjoncturelles, reconduites d’année en année, auxquelles s’ajoute une dernière taxe de 2% sur les bénéfices dûs en 2020 et 2021».
Pour Fourati, dans une conjoncture aussi difficile, telle que celle que nous vivons ces dernières années, est-il raisonnable de surimposer un secteur vital de l’économie aussi fragile au lieu de l’inciter à mettre en réserve le maximum de ses ressources et augmenter ainsi ses fonds propres et sa capacité de transformation et de financement de l’économie nationale.