Accueil Culture Table ronde | «Femmes, libres-penseuses» à l’Institut Français de Tunisie : Brefs, mais plaisants retours sur expériences

Table ronde | «Femmes, libres-penseuses» à l’Institut Français de Tunisie : Brefs, mais plaisants retours sur expériences

«J’aime me comparer à un escargot dans ma technique de danse qui est inscrite dans le cosmos et inspirée de la nature.
L’escargot se déplace toujours avec sa maison, la scène est ma maison, je reçois des gens chez moi», Germaine Acogny.

Dans le cadre du programme « Quelle humanité pour demain ?» co-organisé avec l’ambassade du Sénégal en Tunisie, l’Institut français de Tunisie a organisé, mercredi dernier, une table ronde sur le thème «Femmes, libres-penseuses».

Du très beau monde autour de cette table ronde modérée par la journaliste et documentariste tunisienne Teycir Ben Naser:  la chorégraphe franco-sénégalaise Germaine Acogny, figure historique de la danse en Afrique depuis la fondation de son premier studio de danse africaine en 1968, à Dakar. Entre autres consécrations, elle a reçu le Lion d’Or de la Biennale de Venise en février dernier; la femme de lettres franco-canadienne, Nany Huston, écrivaine d’expression double (anglaise et française), a écrit de nombreux romans et essais, livres pour enfants et pièces de théâtre, presque tous publiés aux éditions Actes Sud. Son roman «Lignes de faille» (Prix Fémina et Prix France télévision 2006) a été traduit dans plus d’une quarantaine de langues à travers le monde. Les écrivaines Djaïli Amadou Amal du Cameroun, Aïda Diop du Sénégal, Nadia Ghrab (Egypte/Tunisie), Faouzia Zouari (France/Tunisie) et Penda Diouf, auteure de théâtre franco sénégalaise. Une rencontre qui promettait d’intéressants échanges entre ces belles plumes, une occasion de les voir s’exprimer autour de leur littérature, de cette notion de liberté dans la littérature chez la femme et dans les arts d’une manière générale, malheureusement, les interventions furent brèves, manquaient parfois de consistance et nous ont laissés sur notre faim… On aurait aimé plus de retour sur expériences, peut-être quelques lectures d’extraits qui auraient pu faire écho au thème traité.

«Moi, je marche, je danse et tant que je le pourrai, je vais danser», c’est avec ces mots remplis de passion que commence Germaine Acogny son intervention.  Elle évoquera le corps vecteur de gestes, de pensées et d’affects. Un corps important et sacré pour elle car permettant de communiquer au-delà de la barrière de la langue et c’est ce qui fait que la danse soit un moyen d’éducation et de dialogue des peuples. 

L’être féminin est cette histoire du corps, corps interdit, comme abordé dans le roman «Le corps de ma mère» de Faouzia Zouari qui traite du corps sacré maternel. Pour son prochain roman, l’auteure s’intéresse à son enfance. Elle dit avoir trouvé de la difficulté à remonter à son propre corps, dont elle ne trouve aucune trace dans ses réminiscences. Sortant de l’enfance et là où elle espérait reconquérir ce corps, à ses 12 ans, elle le perdit à nouveau en subissant un rite ésotérique de chasteté où l’on scelle la membrane de l’hymen des jeunes filles :  «Je suis cette absence du corps et être libre penseuse dans nos sociétés arabo-musulmanes est difficile à réaliser…», note-t-elle.

En invoquant la phrase de la fameuse romancière anglaise Virginia Woolf, «une femme doit avoir de l’argent et un lieu à elle si elle veut écrire de la fiction», la modératrice ramène les échanges sur les conditions d’accès à l’écriture de nos jours pour une femme.

Pour Djaïli Amadou Amal, la littérature fut une bouée de sauvetage la libérant après plusieurs années d’un mariage auquel on l’a forcée à l’âge de 17 ans. Elle sombre dans une grande détresse dont elle ne se libérera que par l’écriture de son autobiographie qui lui a donné la force de partir et de se retrouver. Elle souligne qu’en Afrique subsaharienne, pour que la femme accède à ce monde, il faut dans certains cas l’accord de son père ou de son mari, il y a aussi la contrainte financière car il n’est pas aisé de trouver un éditeur et de se faire publier sans avoir un petit capital de départ.

L’autrice de théâtre Penda Diouf, en parlant du Sénégal, souligne plutôt d’inégalités entre les deux sexes en termes de visibilité et de représentativité des femmes dans le domaine de l’écriture théâtrale. Pour Faouzia Zouari, l’écriture c’est surtout de la disponibilité, un confort permis par les moyens financiers. Précisant qu’en général la femme qui veut avoir une certaine autonomie est contrainte d’exercer un autre boulot et cela ne permet pas cette disponibilité et peut même l’altérer.

Nadia Ghrab, qui a tenu à rendre hommage à la grande écrivaine égyptienne Nawal Saâdaoui qui nous a quittés récemment, a aussi évoqué l’importance du temps et de la disponibilité pour écrire. «Moi, j’ai toujours manqué de temps dans ma vie pour cela», ainsi, elle a fait le choix de s’y consacrer complètement à sa retraite après une carrière de chercheuse et enseignante en énergies renouvelables en publiant en 2019 un recueil de 8 nouvelles intitulé «Dépassements».

La participation de Germaine Acogny et Nancy Huston dans la pièce chorégraphique «Multiple-s» de Salia Sanou, présentée dans le cadre de ce même programme « Quelle humanité pour demain ? », le vendredi 2 avril, fut un bon contexte pour inscrire les thèmes de l’exil, de la rencontre et des identités multiples qui y sont représentés, dans l’acte de l’écriture, mais aussi pour parler de féminisme.

A cela, Nancy Huston répond que depuis l’enfance, elle fut baignée dans le syncrétisme et dans les rencontres et que son exil a longtemps nourri sa littérature. Pour ce qui est du féminisme, elle dit préférer à ce terme, le militantisme féminin, dans lequel elle est engagée depuis bien des années.  «J’aime me comparer à un escargot dans ma technique de danse qui est inscrite dans le cosmos et inspirée de la nature. L’escargot se déplace toujours avec sa maison, la scène est ma maison, je reçois des gens chez moi», note, de son côté, Germaine Acogny.

Pour Nadia Ghrab, l’exil est fondateur dans l’écriture : «J’ai en cœur le Caire, Tunis et Paris où sont éparpillés les membres de ma famille. La notion du manque devient alors un aiguillon de l’écriture, permet plus de recul, de lucidité et d’acuité», précise-t-elle.  Pour elle, le combat féminin revêt différentes formes, comme celle d’accéder à ce qui nous est difficile d’accès, voire interdit.  Dans son cas, c’était le fait de poursuivre des études d’ingénieur: «Quand j’ai débuté mes études en Égypte dans les années 70, on était à peine 10% des filles. Par la suite, pour mon DEA en France, j’étais la seule fille… quand j’ai commencé à enseigner, à Tunis en 1981, à l’Ecole nationale d’ingénieurs, dans mon département j’étais la seule femme sur 15 enseignants. De nos jours, dans le même département, 2/3 des enseignants sont des femmes. Les choses évoluent avec une vitesse qui n’est pas négligeable».

La lutte féminine doit-elle nécessairement nourrir l’écriture des femmes? Écrire doit-il nécessairement être lié à une cause ?

Djaïli Amadou Amal affirme que dans nos sociétés où la violence faite aux femmes est perpétuée même inconsciemment, la littérature intervient pour éveiller les consciences, et d’ajouter : «La plume de la femme est importante dans le sens où elle traite d’une cause qui la concerne et la littérature est là pour faire avancer les causes».

Pour Penda Diouf, la genèse de son écriture s’inscrit par rapport à des ressentis face à des formes d’injustice, ses textes sont reliés à des thématiques fortes, à une cause ou à des ponts historiques oubliés et invisibilisés. Les femmes, comme elle le dit, sont habituées, à cause de l’éducation qu’elles ont reçue, à développer des sentiments d’écoute et d’empathie, de ce fait, elles ont un rapport autre au monde qu’elles subissent d’une certaine façon car, malheureusement, elles ne sont pas toujours aux manettes et cela peut être un ferment à l’écriture, à l’envie de raconter, c’est aussi une manière autre de réparer les blessures qui peuvent toucher l’humanité dans son ensemble.

Les participantes furent invitées à la fin à adresser un message à la nouvelle génération de femmes. On retient le beau message de Nancy Huston :  «Ayez des enfants avec des hommes doux et gentils, des hommes qui doutent, des hommes incertains, qui se souviennent, qui vous écoutent, c’est le seul espoir pour sauver l’humanité.»

A bonne entendeuse!

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