Crédit photo: © Khaled Elfiqi/EPA
Par Abdel Aziz HALI
GÉOPOLITICUS – Ils étaient nombreux à s’émerveiller, le week-end dernier, devant le «spectacle pharaonique» autour du défilé des momies royales déménagées du mythique Musée du Caire vers le Musée national de la civilisation égyptienne (NMEC).
Au total, 330 figurants (étudiants en sport), 150 musiciens et 150 percussionnistes des forces armées égyptiennes, 150 chevaux, 60 motos et plusieurs intermittents du spectacle ont été mobilisés pour l’évènement, selon les autorités: une véritable démonstration de force du maréchal-président Abdel Fattah al-Sissi pour hypnotiser le monde et faire oublier les multiples drames ferroviaires causés par des trains vétustes de l’« Egyptian National Railways » (ENR), voire l’impuissance de l’Autorité égyptienne du canal de Suez (SCA) dans l’opération de déblocage du géant porte-conteneurs « Ever-Given ».
En effet, cette mise en scène, quasiment, cinématographique du cortège des vingt-deux chars noirs ornés de motifs dorés et lumineux rappelant les embarcations funéraires antiques ne peuvent que nous renvoyer vers de vieilles recettes de propagande de régimes forts.
Le « Duce » Benito Mussolini, le « Führer » Adolf Hitler, et tout récemment le chef du Kremlin Vladimir Poutine et son alter ego turc, le « Reis » Recep Tayyip Erdoğan ont tous récupéré l’histoire de leurs pays respectifs pour la transformer en outil de propagande au service de leurs idéologies nationalistes et desseins autoritaires.
C’est avec le régime fasciste italien, sous les ordres de Mussolini, l’autoproclamé successeur moderne des généraux de l’armée romaine, que le monde fut témoin d’une telle entreprise machiavélique.
« ‘’Salut, Dea Roma. Salut à ceux qui furent, sont et seront tes fils prêts à souffrir et à mourir pour ta puissance et pour ta gloire.’’ Cet extrait du discours prononcé par Mussolini au Capitole, le 21 avril 1924, nous place au cœur de la romanité magnifiée et instrumentalisée par le régime fasciste et son chef. », souligne l’historienne italienne Laura Malvano Bechelloni dans son article «Le mythe de la romanité et la politique de l’image dans l’Italie fasciste », paru dans «Vingtième Siècle. Revue d’histoire» (2003/2 (no 78), pages 111 à 120). « Le discours politique, la propagande, les activités scientifiques – que l’on songe à l’archéologie – orchestrés par le régime ont en effet utilisé abondamment l’héritage de l’Antiquité romaine et ce phénomène a fait l’objet de nombreuses études », ajoute-t-elle.
Ce que confirme le docteur en science politique Antoine Aubert dans sa présentation du livre « Fascismo di pietra » (Editions Laterza, 271 pages) de l’écrivain italien Emillio Gentille sur le site de critique « Nonfiction »: « Au début des années 30, la «moitié de Rome est en démolition». Les inaugurations se multiplient, tout comme, à cette occasion, les défilés. À travers eux, les fascistes célèbrent surtout l’avènement du régime totalitaire voulu à la même époque par Mussolini. ».
Emboîtant le pas à César et Auguste, l’inspiration romaine fut assez manifeste dans la politique et les démarches entreprises par le « Duce » durant la « Ventennio fascista » (1922-1943).
« La traversée du Rubicon en 49 avant J.-C. n’est-elle pas la préfiguration de la Marche sur Rome de 1922 ? La lutte contre le Sénat menée par César n’est-elle pas le combat de Mussolini contre le parlementarisme bourgeois ? », précise Philippe Foro, professeur agrégé et maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Toulouse II-Le Mirail (Toulouse, France) dans son article scientifique « Romaniser la Nation et nationaliser la romanité : l’exemple de l’Italie » (p. 105-117).
« Qui plus est, César et Auguste furent de grands bâtisseurs, des conquérants, des fondateurs d’empire, toutes fonctions que souhaite jouer le Duce sur la scène de l’Histoire (proclamation de l’Empire le 9 mai 1936, dégagement des forums impériaux et inauguration de la via dell’Impero le 28 octobre 1932, dégagement du théâtre de Marcellus, dégagement du mausolée d’Auguste et inauguration de la piazza Augusto imperatore, le 23 septembre 1938, avec l’installation de l’Ara Pacis d’Auguste qui vient clore l’année du bimillénaire d’Auguste, célébrée en grande pompe par le régime…). », renchérit-il.
Ce fut également le cas de son fidèle allié dans les forces de l’Axe et fondateur du Troisième Reich, le « Führer » Adolf Hitler, dont le régime nazi affichait sa propre modernité, en se référant ouvertement au précédent impérial romain et à la figure d’Auguste.
« Propagandistes médiocres ou savants reconnus n’ont aucun mal à développer l’analogie : Hitler a aboli une République de guerre civile (Weimar) pour créer un empire (le IIIe Reich). Comme Auguste, Hitler a instauré une dictature de la vertu, en rétablissant dans ses droits le mos majorum des ancêtres germaniques. », mentionne l’historien et écrivain français Johann Chapoutot — spécialiste d’histoire contemporaine, du nazisme et de l’Allemagne — dans sa note scientifique « Mussolini et Hitler, nouveaux Auguste ? Autour du bimillénaire de la naissance d’Auguste, 1933-1938 » (Revista de historiografía 27, 2017, pp. 127-135). « Hitler ne cache pas son enthousiasme pour la Rome antique. Il la copie en demandant à ses architectes, dont Albert Speer, d’ériger des édifices qui s’inspirent directement de bâtiments romains. La Germania dont il rêve devra être couverte de colonnades, d’arcs de triomphe et être dominée par une Volkshalle démesurée dont la façade et la coupole seront inspirées du Panthéon dit d’Agrippa. », poursuit-il
Après tout, pour Hitler, « comme l’enseigne la science nazie de la race, les Romains étaient à l’origine des Germains qui, émigrés de leur nord natal, sont venus coloniser et civiliser le sud méditerranéen. », conclut Johann Chapoutot.
Bref, si durant la première moitié du XXe siècle, Mussolini et Hitler furent les porte-drapeaux d’éphémères régimes néo-romains, en ce début du XXIe siècle, le président russe Vladimir Vladimirovitch Poutine et son homologue turc Recep Tayyip Erdoğan ont su surfer sur la vague de ferveur nationaliste, galvanisée par une forte nostalgie pour le rayonnement des empires russes/soviétiques pour l’un et la puissance dans ce qui fut l’ancien espace de l’empire ottoman pour l’autre.
Natif de Saint-Pétersbourg, capitale impériale pendant deux siècles de la Russie, « Platov » (pseudonyme dont le président Poutine se servait quand il travaillait pour le compte du KGB, le renseignement russe-Ndlr) a su remettre le côté glamour et fastueux de la maison Romanov au goût du jour sans pour autant occulter le prestige des victoires militaires de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) lors de la Seconde Guerre mondiale et ses prouesses technologiques dans sa course à l’espace.
Présenté par la presse occidentale comme étant le nouveau « Tsar » russe, V.V.P. (acronyme du président Poutine) a su jongler avec maestria entre une Russie réconciliée avec son christianisme orthodoxe et une fédération russe nostalgique de l’aura de son Armée rouge pour ne pas dire le « hourra » de ses valeureux soldats tombés au champ d’honneur.
Et on se souvient de l’imposante parade militaire de quelque 14.000 soldats russes défilant sur la Place rouge, lors des commémorations des 75 ans de la défaite nazie en Europe: un événement qui aurait dû avoir lieu le 9 mai, mais qui a finalement eu lieu mercredi 24 juin à cause de la pandémie de Covid-19. Durant ce moment de communion « patriotique », Vladimir Poutine a rendu hommage aux vétérans de la Seconde Guerre mondiale et aux quelque 27 millions de morts de l’URSS : « le sacrifice soviétique » et « la dette du monde envers Moscou », selon lui.
Par ailleurs, ces dernières années, le Kremlin ne cessa de soutenir les productions cinématographiques locales mettant en exergue le glorieux passé du patriotisme russe et ses héros de l’époque soviétique (cosmonautes, scientifiques, militaires haut gardés ou de simples soldats, sportifs, etc.), voire les victorieuses campagnes du Tsar Pierre le Grand (7 mai 1682 – 8 février 1725), premier empereur de Russie.
« Poutine est un dictateur postmoderne, mais il n’est ni fou ni idiot. Lui et son entourage ont parfaitement compris qu’ils pouvaient se servir du nationalisme russe à leur profit en faisant semblant de croire à l’idée du «destin spécial» et en offrant au peuple russe une forme de revanche sur les années Eltsine et la période démocratique russe. », affirme Viktor Erofeev, une des figures de proue de la contestation littéraire en Russie dans une interview accordée au Magazine scientifique de l’Université de Genève. « Dans le « projet russe » cher à certains nationalistes, on trouve à la fois un rejet du libéralisme, considéré comme contraire à l’esprit national, le rêve d’une armée capable de rivaliser avec celle des Etats-Unis et l’ambition de reprendre le territoire qui était celui de l’Union soviétique, à l’exception des pays baltes pour lesquels c’est trop tard. ».
De son côté, le président turc ne déroge pas à cette règle. Très attaché à la suprématie de l’empire ottoman et ses multiples conquêtes de territoires, notamment les Balkans, le « Sultan » Erdoğan se voit même investi d’une mission: redorer le blason de l’empire de Soliman le Magnifique et ses redoutables janissaires à travers un projet néo-ottoman.
Entre la polémique autour de la transformation de la basilique Sainte-Sophie en mosquée, ses interventions militaires en Irak, en Syrie et en Libye, son soutien inconditionnel aux forces azerbaïdjanaises lors du récent conflit du Nagorny Karabakh, son bras de fer juridique sur des explorations gazières contestées en Méditerranée orientale, ses stratégies d’influence dans le Maghreb, la Turquie du président Erdoğan ne cache plus ses ambitions.
Et la folie de grandeurs du leader islamo-conservateur — chef de file de la branche turque de la Confrérie des Frères Musulmans — ne s’arrête pas là. À l’image des figurants de la parade cairote, quand il reçoit ses hôtes en visite officielle dans son palais présidentiel, le « Reis » use de tous les clichés kitsch — des armures avec pour couvre-chef des casques de fer ou des turbans, des cottes de maille, des haches, des cimeterres et des arquebuses — pour donner à sa garde d’honneur l’allure de « seize guerriers moustachus » : encore une mise en scène qui n’a rien à envier au célèbre feuilleton turc à succès « Muhteşem Yüzyıl », connu dans nos contrées sous le titre de « Harim el-Soltan », (« Le Siècle magnifique », en français) de Meral Okay.
« Les seize guerriers moustachus sont censés représenter les seize empires turcs ou turcophones qui se sont succédé en 2 000 ans, depuis le royaume des nomades Xiongnu d’Asie centrale au IIe siècle avant notre ère, jusqu’à l’apothéose ottomane. Imaginons sur le perron de l’Elysée un guerrier gaulois côtoyant un légionnaire gallo-romain, des chevaliers moyenâgeux, des mousquetaires en jabot, des sans-culottes et des grognards napoléoniens… », ironise le journaliste Marc Semo dans sa chronique intitulée « La folie ottomane d’Erdogan », publiée dans le « Grand angle » du quotidien français Libération, le 25 mai 2015.
D’ailleurs, tout le monde se souvient encore des festivités organisées, en 2015, par l’AKP (Parti de la justice et du développement, au pouvoir en Turquie depuis 2002) pour célébrer en fanfare — entre défilés en costumes d’époque dignes d’un « cosplay » (costumade), spectacles musicaux et animations visuelles — la chute de l’Empire Byzantin et la conquête de Constantinople du 29 mai 1453, sous le règne du sultan Mehmed II.
Nul doute, le mégashow accompagnant le transfert des sarcophages de 22 momies royales d’un musée à l’autre fut, selon les dires de plusieurs observateurs, à la hauteur de la civilisation égyptienne antique et du pouvoir que détenaient les pharaons.
Toutefois, cet évènement, si grandiose qu’il fût, ne devrait en aucun cas nous faire oublier les arrestations arbitraires de jeunes blogueurs, les disparitions forcées et le kidnapping d’opposants, la torture de prisonniers d’opinion, la galère des chiffonniers du Caire, la misère sociale des quartiers populaires, le harcèlement de la gent féminine dans l’espace public et la chape de plomb exercée dans ce pays riche d’une histoire plurimillénaire.
Ne soyons pas dupes… et « tahya Masr » (vive l’Égypte) !
A.A.H.
Mehdi
19 avril 2021 à 18:30
Trop ridicule comme article.je n’en vois même pas l’utilité.faudrait qu’on se mêle de nos oignons.on est dans la merde en Tunisie.
Loin d’être innocent.on croyait en avoir fini avec ce genre de Presse.