Elle nous a offert un texte dynamique, inventif qui se prête au jeu, à l’interprétation, il incarne l’histoire, comme il est incarné par les comédiens. Ce ne sont pas des fabulations ni des élucubrations laborieuses, mais un dialogue qui sort de la bouche des acteurs dans un naturel étonnant.
Sa première mise en scène, «Les veuves», augurait d’une écriture d’une extrême sensibilité car nous avons retrouvé chez elle la fluidité d’un discours bien structuré, une fable, un drame et une trame bien ficelés. Wafa Taboubi, comédienne de son état, est une femme qui pose un regard juste sur la femme, son corps, son expression et ses problématiques sans pour autant nous livrer un travail rafistolé de clichés, vissé de slogans, alourdi de discours surconsommés sans verve et sans consistance.C’est au théâtre le Rio, récemment remis à neuf et en même temps coproducteur du spectacle, que le public du 4e Art a découvert en avant-première la nouvelle œuvre de Wafa Taboubi. «La dernière» réunit deux comédiens : Mariem Ben Hamida et Oussama Kochkar dans une performance sur laquelle nous reviendrons plus loin. Ce sont les deux derniers de leur espèce… un homme et une femme… autour d’eux il n’y a plus âme qui vive… Serait-ce une catastrophe naturelle ou une épidémie qui éradique la vie sur terre, ou peut-être un suicide collectif et massif ? Peu importe les raisons…le fait est là… ils sont seuls, l’un face à l’autre, l’un à côté de l’autre, l’un le reflet de l’autre ou son complément…ils sont similaires avec les mêmes codes et couleurs comme une équipe de chasse au trésor…, mais l’espace est étroit, le jeu se fait dans la sphère de l’intime…, qui sont-ils ? A quel jeu jouent-ils ?
La solitude, l’ennui les poussent à jouer le jeu du temps …
Le jeu de la peur, de l’isolement, de la suspicion et du conflit avec l’autre pour tuer le monstre qui se cache en eux…
Il se peut que l’enfermement du confinement, la peur de l’inconnu, l’incertitude d’un lendemain, la privation de la liberté d’exercer son humanité nous poussent à inventer des jeux. Et c’est apparemment le cas de notre auteure-metteure en scène qui transcrit et imagine ce chassé-croisé. Dans ce travail, elle se réinvente, elle se libère, renaît et s’éteint, revient au point de départ, repart à zéro, détruit pour reconstruire. Wafa nous a offert un texte dynamique, inventif qui se prête au jeu, à l’interprétation, il incarne l’histoire comme il est incarné par les comédiens. Ce.ne sont pas des fabulations ni des élucubrations laborieuses, mais un dialogue qui sort de la bouche des acteurs dans un naturel étonnant.
La pièce se construit par bribes, par fragments, dalle sur dalle et de fil en aiguille. Comme une chorégraphie qui se passerait de parole et qui trouve sa propre logique dans l’agencement de ses morceaux. Légère et aérienne, la gravité du propos nous parvient comme une fumée qui nous enveloppe sans nous en rendre compte sur le coup. Les situations que Wafa met en place et effeuille une à une, sans les souligner avec insistance, nous reviennent en différé, happées par la subtilité du jeu et le rythme qui ne nous laisse point de répit.
Toutes ces intentions et cet engagement ont été pris en charge par deux magnifiques comédiens que Wafa a incité à prendre part à ce jeu dans lequel la mort se murmure comme une parole douce.
Mariem Ben Hamida porte dans son corps de danseuse classique une parole tue. Elle ouvre la bouche et déploie ses ailes dans une prise en charge totale de son-ses personnages. La femme c’est elle et ses facettes sont diverses et multiples. Wafa la mène dans des pistes de jeu où son atout de danseuse n’est pas utilisé à outrance. Elle prend de la danseuse, qu’elle est, sa légèreté et son côté aérien, son corps malléable, sa bonne pâte et l’oriente dans un jeu intense, speed et physique. Mariem s’avère être une actrice qui porte dans sa voix une personnalité intelligente, elle a su donner à son personnage ou à son interprétation de nouvelles variations. Du rire, du drame, de la psychose, de la tension et de la tragédie.
Lui, c’est Oussama Kochkar, comédien par amour pour l’art, par désir et par choix. Il débarque dans cette aventure avec ses acquis, son savoir-faire et surtout avec son envie de toucher un nouvel univers d’un metteur en scène qui aime ses acteurs. Lui aussi il est multiple. Il est entier, il rebondit, tire les ficelles, lâche du lest. Il joue sur le fil du rasoir dans une totale adéquation avec sa partenaire. Tous les deux se rencontrent dans ce jeu de rôle. Un jeu de victime et de bourreau. On remise les cartes et on les redistribue. Noir, rouge et blanc sont les trois couleurs et rien ne va plus. Les deux acteurs se placent de chaque côté du fil tendu, se manipulent mutuellement pour finir par une mise à mort inattendue et une fin de partie.
La lumière, quant à elle, nous dessine des couloirs, nous donne des indications, brouille les pistes, accompagne la bande son, la devance parfois, l’annonce par moments et se place en contre- point. La table, au milieu, sépare les mondes ou les réunit dans un dernier dîner, on lance des dés une dernière fois … et le jeu prend fin.