La réforme du système de compensation est l’un des points majeurs des débats publics. Etant au centre des grands enjeux socioéconomiques, cette réforme n’avance pas à la vitesse souhaitée. Elle se situe au centre d’un paradoxe de politique économique et d’un dilemme majeur : comment réformer et rationaliser le système de subvention sans augmenter la pauvreté et accroître les inégalités.
Historiquement, le système de compensation a été introduit en Tunisie en 1970 pour assurer l’accès des ménages, particulièrement les plus vulnérables, aux biens de première nécessité et préserver le pouvoir d’achat des franges sociales. Il s’agit d’un important instrument de redistribution et de correction des inégalités mis en place par l’Etat. «Ce système a permis de déconnecter les prix mondiaux des prix locaux, notamment pour ces produits de base, et d’éviter par conséquent de faire subir aux populations les effets de la grande volatilité des prix de ces produits sur les marchés internationaux», précise Hakim Ben Hammouda, ancien ministre des Finances.
Aujourd’hui, ce système a connu ses limites. En effet, dès le début des années 80, «on a assisté à une augmentation rapide des coûts de la compensation qui devenait une charge de plus en plus lourde sur le budget de l’Etat. Cette charge a atteint des sommets, ces dernières années, avec l’augmentation des prix des matières premières». Ainsi, en 2013, les dépenses de la Caisse générale de compensation ont atteint 5,5 milliards de dinars, ce qui représente 20% du budget de l’Etat et 7,2% du PIB. Certes, les mesures prises en 2014, notamment sur la fin des subventions pour les industries énergivores, notamment l’industrie du ciment et les verreries, ainsi que l’augmentation des produits pour les grands consommateurs d’énergie, ont permis une certaine réduction des dépenses de subventions. Mais en dépit de ces efforts, ces dépenses restent relativement importantes, représentant 5% du PIB en 2014 et 4,17% en 2015.
D’après Ben Hammouda, le second problème que rencontre le système de subvention concerne les inégalités dans les bénéfices des dépenses de subvention. En effet, «l’étude de la Banque mondiale montre que les revenus les plus bas ne bénéficient que de 13% des dépenses de subventions énergétiques alors que les ménages aux revenus plus élevés en tirent 29% ».
Un fardeau pour les finances publiques
Le poids des subventions dans le budget et leur caractère général sont au centre des projets de réformes depuis des années. Ces réformes sont approuvées par le FMI et la Banque mondiale, et sont devenues progressivement une conditionnalité pour leur soutien à la Tunisie. Ainsi, des projets de réformes ont été mis en place avec deux objectifs clairs : d’abord, réduire le poids des dépenses de subvention sur le budget de l’Etat, d’un côté, et en faire bénéficier les familles les plus pauvres de l’autre.
Concernant la réforme des produits de base, sa mise en place se heurte aux difficultés d’identification des couches cibles pour passer d’un système de subvention généralisée à un système de versement direct aux couches nécessiteuses. De même, « l’hypothèse d’une levée totale des subventions énergétiques reflétera une augmentation du taux de pauvreté qui passerait de 15,5% à 19,9% et une grande mobilité des classes sociales vers des classes plus basses.
Le ciblage, une option nécessaire
Dans un pays à revenu moyen, avec une urbanisation croissante et une inégalité élevée, le ciblage des ménages est une option nécessaire à l’efficacité et l’efficience.
La Tunisie doit concevoir un nouveau dispositif dans la double finalité, celle de mieux connaître la réalité sociale des populations pauvres ou vulnérables et celle de se doter d’un prérequis pour la mise en œuvre de la réforme des programmes de transferts monétaires. Car, les populations cibles ne sont pas saisies dans leur totalité, même si les critères d’identification sont définis. Des formules de ciblage doivent être mises en œuvre, en s’appuyant sur les enquêtes de revenu et de la consommation des ménages.
Le ciblage est primordial pour des raisons d’équité. En effet, un meilleur ciblage permettrait de concentrer les ressources sur ceux qui en ont le plus besoin et de maximiser, ainsi, l’impact des programmes sociaux. Il est, donc, fondamental de renforcer la capacité de l’Etat à mieux identifier les populations vulnérables, les zones de forte fragilité sociale pour augmenter l’impact social de son action.
Le ciblage est un point de focalisation de l’impact social des programmes de lutte contre la pauvreté et des aides monétaires de l’Etat aux catégories sociales pauvres et vulnérables. La pratique du ciblage n’est pas récente dans la trajectoire des politiques publiques. Elle donne lieu à des controverses sur les méthodes appropriées pour atteindre les populations cibles des politiques et programmes sociaux.
Aujourd’hui, la question du ciblage reste entièrement posée. On a eu de nouveau recours à ses mécanismes quand il a fallu distribuer des aides sociales dans la crise de la Covid-19. Les leçons tirées des différents mécanismes de ciblage mis en œuvre sur la longue période peuvent s’avérer pleins d’enseignements sur la complexité de l’identification des catégories cibles, sur la mise en place d’un dispositif de scoring approprié, sur la construction d’un système d’information désagrégé, sur les procédés d’enquêtes pour l’appréciation des sources des revenus, des actifs ou des ressources des ménages.