En soutien aux journalistes de la TAP ayant subi mardi dernier une violente incursion de la police dans leurs locaux, la société civile s’est rassemblée hier devant l’agence Tunis-Afrique Presse. Les journalistes de ce média public continuent à rejeter la nomination de Kamel Ben Younes par Hichem Mechichi, Chef du gouvernement, à la tête de leur entreprise. Notre reportage
Malgré la pluie et le mauvais temps, l’appel des journalistes de la TAP lancé avant-hier sur les réseaux sociaux à l’attention de la société civile a été clairement entendu. Hier, des représentants de plusieurs syndicats et ONG, dont la Snjt, l’Atfd, l’Unft, la Ltdh, l’Ugtt, le collectif Soumoud, la Fédération générale de l’information, le Centre Kawakibi des transitions démocratiques, le Centre de Tunis pour la liberté de la presse…ainsi que des dizaines de journalistes de différents médias et des personnalités publiques sont venus nombreux soutenir les agenciers et le personnel de l’entreprise publique.
Masques blancs, bleus ou noirs et brassards rouges noués sur le bras en guise de protestation, les journalistes de la TAP brandissent à l’entrée de leur agence des écriteaux pour l’indépendance de la presse. Frappés du sigle du Syndicat national des journalistes tunisiens, les banderoles réclament la dignité des journalistes, dont beaucoup ont été attaqués et agressés mardi 13 avril à la suite de l’incursion de plusieurs corps des forces sécuritaires dans les locaux de l’agence Tunis-Afrique Presse. Une descente du ministère de l’Intérieur pour imposer par la violence l’installation du nouveau PDG Kamel Ben Younes, nommé à ce poste par Hichem Mechichi, le Chef du gouvernement, le 6 avril dernier.
Mardi noir à la TAP
De ce mardi noir, Olfa Habouba, représentante du Snjt à la TAP, garde des séquelles sur son corps, « Des hématomes et des coups sur le dos, ont été diagnostiqués par les médecins de l’hôpital », témoigne-t-elle. Faisant partie de la ceinture qui a voulu empêcher Kamel Ben Younes d’accéder à l’ascenseur qui mène au bureau du premier responsable de l’entreprise, elle a reçu des coups de coude au niveau des côtes, est tombée par terre puis s’est vue piétinée par les policiers et les compagnons du PDG nouvellement désigné.
« De ma vie et de ma carrière de 30 ans de journalisme, je n’ai jamais vu autant de brigades de sécurité à l’assaut d’une si petite entreprise. Une agence de presse encerclée et assaillie, c’est de l’ordre du surréalisme ! Cela n’arrive même pas dans les pires dictatures ! », s’émeut Olfa Habouba. Sa voix est couverte par un torrent de slogans :
« Libre, libre la Tap ! Out les mercenaires ! », « Libre, libre la Tap ! Ben Younes dehors ! », « Médias public, ni partisans, ni pro-gouvernement ! », « Le quatrième pouvoir n’est pas un pouvoir soumis ! », « Shams, Shams libre, libre ! Fetouhi dehors ! ».
Hichem Mechichi est lui aussi insulté à voix nue ainsi qu’un parti de sa ceinture politique, accusée par les agenciers d’être à l’origine de cette nomination controversée, le mouvement Ennahdha.
Pour Yosra Fraous, présidente de l’Association des femmes démocrates venue exprimer sa solidarité avec les journalistes de la TAP, le geste de Mechichi s’inscrit dans une tentative de restauration, qui l’unit au mouvement islamiste, à l’origine de la nomination de Mohamed Ghariani, ancien SG du RCD au Parlement en tant que conseiller de Ghannouchi.
« Placer à la tête de la TAP un homme connu pour sa proximité avec l’ancien régime et réputé pour sa verve de propagandiste n’est pas innocent. Grave : nous passons avec les derniers évènements vécus ici par les journalistes la vitesse supérieure. C’est par la tyrannie et l’intervention de la force et de la police que le système veut mettre à genoux les médias. Et notamment un média de service public », insiste Yosra Fraous.
En guise de riposte, depuis deux jours, les agenciers s’abstiennent de couvrir les activités du gouvernement et boycottent également celles de son allié, le mouvement Ennahdha. Nedra Boukesra, journaliste à la TAP, relève que les atteintes à l’intégrité physique des agenciers vient dans un contexte de montée des agressions à l’égard des professionnels des médias. Attaques provenant notamment de formations politiques, telles que le Parti destourien libre (PDL) et la Coalition El Karama.
Elle s’interroge : « Est-ce dans une ambiance aussi tendue qu’on veut sortir le pays de la profonde crise économique dans lequel se débat actuellement ? Le FMI a pourtant invité, dans son dernier rapport, le gouvernement tunisien à trouver les moyens d’impulser un climat de paix et de dialogue social favorables à une sortie de crise. Je me pose la question : ce gouvernement et ses alliés portent-ils réellement une vision pour ce pays ? ».
Les journalistes de la TAP ont décrété une grève générale annoncée pour la journée du 22 avril, tout en exigeant des excuses du Chef du gouvernement et du ministère de l’Intérieur.