A partir de la deuxième semaine de mars et jusqu’à la fin du mois d’avril de chaque année, la plupart des villes du gouvernorat de Nabeul vivent sous le rythme de la récolte des fleurs de bigaradier, qui fait partie de ses jolies traditions, où les effluves du Zhar émanent de toutes les maisons, rues, ruelles… et bien évidement des campagnes.
Malgré une saison exceptionnelle, à cause de cette crise sanitaire liée à la Covid-19, la récolte et la distillation de la fleur de bigaradier ou ‘’Zhar’’, qui coïncident cette année avec l’avènement du mois de Ramadan, restent une activité de grande importance pour les habitants du Cap Bon. Durant des semaines, la plupart des villes de Nabeul capitalisent sur cette tradition ancestrale où les femmes se rassemblent pour distiller cette fleur blanche qu’offrent les milliers de bigaradiers, qui sont localisés dans les zones de Béni Khiar (25%), Dar Chaâbane- El Fehri (13%), Nabeul (12%) et le reste dans les localités de Tazarka, Hammamet, Béni Khalled, Menzel Bouzelfa, Belli et M’hedhba. Selon l’arrondissement de la production agricole du Commissariat régional au développement agricole (Crda) de Nabeul, les bigaradiers couvrent une superficie de 400 hectares au Cap Bon.
Une belle tradition
Fatma, une femme au foyer, qui possède un terrain agricole hérité de sa mère, nous indique que rares sont les familles nabeuliennes, qui ne disposent pas, aujourd’hui d’arbres de bigaradier dans leurs jardins. Dans ce sens, la sexagénaire a appelé à la préservation de cette tradition qui se perpétue depuis des siècles.
«La récolte et la distillation des fleurs de bigaradier font partie de nos traditions dont on ne sait si demain elles perdureront encore. Mais, à mon avis, il faut œuvrer toujours pour assurer la pérennité de ce patrimoine immatériel et empêcher sa disparition. Pour ce faire, les futures générations, qui doivent prendre la relève, sont appelées à apprendre les techniques de la distillation qui nous sont propres, car avant tout, la distillation est un art et un amour… D’ailleurs, tout le monde, dans tout le territoire, cherche toujours à s’approvisionner de ce produit, dont l’usage est non seulement gastronomique, mais aussi cosmétique», souligne-t-elle.
Le timing est important
Pour sa part, Leïla, une grand-mère de plus de 70 ans, nous indique que chaque année, dans son garage, elle transforme sa propre récolte de fleurs en eau ainsi que celle de ses enfants et de ses frères. Pour elle, le timing est important et rien n’est gaspillé, et même les feuilles de bigaradier se transforment en eau, comme remède contre les coups de soleil. «On récolte les fleurs de bigaradier, puis on les étend. Le lendemain, on les met dans un couffin, puis on les verse dans l’alambic pour la distillation. Si on veut, par exemple, distiller 8 kilos de fleurs, on verse deux seaux et demi d’eau. Ensuite, on couvre avec le couvercle et on ajoute un tissu imbibé de savon ou de cendre pour l’étanchéité. Puis, on place la fechka (bouteille de deux litres), on allume le gaz et on fait bouillir. Quand la première fechka est remplie à moitié, on place une deuxième et on la remplit en entier pour que les deux bouteilles soient aussi concentrées en huile essentielle», explique-t-elle.
Rien n’est gaspillé
Un avis partagé par Mme Sana, une maman de 3 enfants, qui ajoute que l’eau de fleur de bigaradier a diverses utilisations. En plus de ses vertus médicinales, l’eau de fleur de bigaradier ajoute une saveur très parfumée et légèrement sucrée. En cuisine, elle est utilisée essentiellement pour parfumer nos plats ou préparer des gâteaux. «L’eau de fleur est utilisée pour parfumer des plats, comme le couscous, le poulet cuit au four… Quand on met les épices, on ajoute trois ou quatre cuillères d’eau de fleur. On l’utilise aussi pour diluer le safran avec lequel on parfume les plats de l’Aïd et la viande d’agneau. Quand on prépare un plat sans tomate, on ajoute aussi l’eau de fleur», souligne-t-elle. La jeune femme affirme, également, qu’ on peut la boire en mettant quelques gouttes dans l’eau et c’est délicieux et bon pour la digestion. «… On verse l’eau de fleur, ou de géranium rosat, ou des feuilles de bigaradier sur la tête pour faire baisser la fièvre. Pour les feuilles de bigaradier, on prend les feuilles encore très petites et on les met dans l’eau et on boit. C’est bon pour le cœur et l’estomac… On les distille aussi et c’est très efficace contre les insolations : quand on asperge la tête d’eau de bigaradier, la fièvre disparaît. Et pour l’estomac, on boit aussi l’eau de feuilles de bigaradier ou de géranium rosat», explique-t-elle.
Des prix qui ne bougent pas !
Important de souligner que, pour cette saison, le prix de la «wazna», l’équivalent de 4 kg de fleurs de bigaradier, varie entre 8 et 13 dinars, ce qui est en deçà des attentes des agriculteurs qui doivent travailler du lever au coucher du soleil pour un rendement de quelques dizaines de kilos par jour. A cela on ajoute les frais de la main-d’œuvre (des ouvrières saisonnières) qui varient entre 20 et 25 dinars par jour pour chaque ouvrière. Quant au prix de la fechka, il varie entre 30 et 35 dinars. Important aussi de préciser que si les petites récoltes familiales sont transformées à la maison en eau florale selon les traditions, 80% de la récolte régionale sont livrés aux unités industrielles pour en extraire la très précieuse huile de néroli. Chaque année, la Tunisie exporte entre 700 et 750 kg d’essence de fleurs dessillés (néroli), notamment vers la France au prix de 20.000 dollars le kg, soit plus de 55.000 dinars le kg.