Modèle de développement en Tunisie: Chausse-trappe, exclusion… et après ?

Avec un taux de pauvreté qui oscille autour de 20% selon la Banque mondiale, un PIB qui a chuté de 8,2% en 2020, un taux de chômage de 15%, un taux de croissance négatif de 3% au 1er trimestre de 2021, des investissements et des exportations nettement inférieurs à leurs niveaux respectifs d’avant la révolution, d’après l’INS, il est clair que rien ne va plus en Tunisie. Et faute de bien comprendre les enjeux, on rechigne à revoir la politique économique et le modèle de développement mis en place depuis des décennies.


Rien ne va plus. Paupérisation de pans entiers de la société tunisienne, disparité régionale, dégradation continue de la notation souveraine du pays par les agences internationales, arrêts fréquents de la production de phosphate, remous politiques et sociaux, une économie informelle causant à l’Etat un manque de recettes fiscales et cotisations sociales de 11,7 milliards de dinars (soit près de 30% du budget de l’Etat), la marche du pays est, à bien des égards, suicidaire., Or, l’on peine encore à se poser les bonnes questions. Les analyses et décisions d’hier peuvent-elles nous être utiles aujourd’hui, ici même, dans un monde de plus en plus globalisé ?

Tous les indicateurs économiques et sociaux sont au rouge. De crise en crise, la machine de production et les hommes qui lui sont utiles sont en proie au doute. Lequel doute est souvent alimenté par les appréciations de parties tierces.

En attestent les rapports des ONG qui classent la Tunisie parmi les pays significativement corrompus (Transparency International), et les constats de certains diplomates étrangers accrédités à Tunis. D’ailleurs, les déclarations de l’ancien ambassadeur de l’Union européenne en Tunisie, Patrice Bergamini, au sujet du système économique tunisien, ont fait date.

S’attardant sur les difficultés auxquelles faisait face l’économie tunisienne, il a brossé un tableau sombre. «… Si l’on doit aider la transition économique, la forcer, la pousser, c’est parce qu’il y a des positions d’entente, de monopoles. Certains groupes familiaux n’ont pas intérêt à ce que de jeunes opérateurs tunisiens s’expriment et percent», a-t-il dénoncé.

Egalité fallacieuse

Conformément à la Constitution de 2014 (art 14), la Tunisie devait s’engager dans un processus de décentralisation qui donne aux autorités locales plus d’autonomie et un rôle moteur dans le développement économique et social de leurs territoires. Or, en se fiant à la réalité des régions autrefois défavorisées, mais qui le sont toujours, on s’aperçoit que les disparités socioéconomiques qui caractérisent de manière générale la Tunisie sont toujours là. Liées à des dichotomies profondément ancrées dans le modèle tunisien, ces disparités multiples et diverses : dualité économique, caractérisée par le dynamisme du secteur d’exportation dans les régions côtières et la stagnation des régions intérieures, dichotomie géographique, avec des régions prospères sur la côte et des régions appauvries à l’intérieur du pays et marché du travail à forts contrastes entre secteur public et secteur privé.

Pis encore. Une étude menée en 2014 par la Banque mondiale concluait que, derrière la façade, «le climat économique de la Tunisie était (et reste) profondément déficient». Le même document note que «les élites urbaines et des régions côtières ont conservé leur forte influence sur les activités économiques, les processus décisionnels et la formulation des politiques». On n’a donc pas dérogé à la règle : les politiques économiques et réglementaires sont conçues pour préserver les privilèges des élites, débouchant sur l’exclusion sociale et économique de la majorité des Tunisiens.

L’égalité républicaine inscrite dans la Constitution apparaît donc formelle, voire fallacieuse, puisque tous ne jouissent pas des mêmes positions au sein de la société.

De l’utilité d’un Etat social en Tunisie

Au centre des priorités des partis politiques, des organisations internationales et des défenseurs des droits de l’Homme, il y a la lutte contre la pauvreté. En Tunisie également, tous les acteurs de la politique politicienne ont constamment axé leurs campagnes électorales et leurs interventions télévisées sur cette même lutte contre la misère, plaidant pour un Etat social. Sauf que leurs promesses infondées se heurtent non seulement à la dure réalité économique d’un pays peu nanti mais aussi à la complexité d’une oligarchie politico-économique très verrouillée.

Par-delà, en se fiant aux théories économiques de l’économiste américain Milton Friedman, un des plus influents du XXe siècle, on peut remettre en question la perspective d’un Etat social, dans un pays où gouvernants et gouvernés dépendent étroitement de leur état d’âme dans une société majoritairement endogame. Donc qui puise beaucoup plus dans l’émotionnel que le rationnel.

Tout constat fait, avant le déclenchement de la pandémie et au plus fort de la crise sanitaire. En Tunisie l’Etat social s’est avéré une infernale machine bureaucratique qui décourage l’effort et nuit au dynamisme de l’économie.

Le ver étant dans le fruit, l’Etat ferait donc bien de se limiter à la création d’un cadre dans lequel peuvent se déployer l’activité économique et la libre entreprise, tout en garantissant des allocations destinées aux pauvres et en évitant les lourdeurs bureaucratiques.

Autarcie assassine

L’autre écueil de la politique économique tunisienne est cette autarcie pratiquée au nom d’un protectionnisme qui n’a fait que brider l’esprit d’initiative chez les jeunes surtout.

De l’avis de l’économiste Radhi Meddeb, «la Tunisie reste une économie fermée, les autorisations administratives sont difficiles à obtenir, de même que l’accès au financement pour les PME». D’autant plus que le transfert de devises à l’étranger est une opération très compliquée, voire une aventure agaçante et la possession de monnaie électronique est passible de poursuite judiciaire (en atteste le cas du jeune récemment arrêté pour utilisation de monnaie numérique).

Il s’avère ainsi que nos gouvernants peinent à trouver le juste milieu entre protectionnisme (imposé par l’intérêt supérieur de la patrie, s’agissant de produits locaux comme les produits agricoles) et le libre-échange permettant de commercer avec le monde, intelligemment et tout en appliquant la règle de l’économiste écossais Adam Smith : «Le commerce libéré améliore la richesse globale d’un pays qui tire avantage à la fois de l’exportation des produits et de l’importation de ce qu’il produirait à coût élevé».

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