C’est au niveau des ménages que le gaspillage est roi
Aborder la question relative au gaspillage alimentaire en Tunisie, par ces temps de pandémie, est quelque peu délicat. Il n’en demeure pas moins qu’en dépit de la baisse vertigineuse du pouvoir d’achat d’une bonne majorité des citoyens, certaines habitudes demeurent indéboulonnables. Les chiffres que l’on annonce ici ou là sont particulièrement choquants. D’ailleurs, on n’a pas besoin de chiffres ni encore moins de statistiques scientifiquement établies pour confirmer cette fâcheuse tendance d’acheter plus qu’il n’en faut, consommer sans aucune notion des besoins que réclame un individu normal pour vivre sainement et veiller comme il se doit sur sa santé. Il n’y a qu’à voir les habitudes qu’ont acquises bon nombre de « sportifs », d’adeptes de jogging ou des salles de sports pour jouer à la gonflette pour en être convaincu : au terme d’une séance on perd bien entendu des calories. Une fois cette séance terminée, on plonge le nez dans le réfrigérateur et on s’envoie tout ce qui tombe sous la main. Conclusion : on a récupéré des calories bien au-delà de ce qu’on a perdu. En fin de compte, cette séance de « sport » n’a en rien permis au corps de se développer conformément à des règles bien établies. Au diable les recommandations du « Docteur Hakim ! »
Mais ce qui est plus grave, c’est au niveau des habitudes de toute la famille que le gaspillage est roi : la mère de famille cuisine deux, trois, quatre plats avec la certitude qu’on n’en mangera qu’une partie. Le reste ira dans les poubelles.
Des habitudes indéboulonnables malgré un maigre budget
A l’occasion des fêtes, on se prive souvent de bien des choses importantes et nécessaires pour acheter gâteaux, viandes ou autres en quantités énormes. Ce sera le cas à l’occasion du prochain aïd. Si le mouton est cher, on achètera des dizaines de kilos de viande pour les consommer en deux ou trois jours. Cela fera mal au niveau du portefeuille et encore plus de préjudices pour la santé avec l’augmentation du taux de cholestérol et de diabète. Ne parlons pas du nombre de baguettes de pain auxquelles on n’a pas touchées, des restes des ruptures de jeûne au mois de ramadan qui trônent dans des sacs en plastique et bien d’autres produits desquels on se débarrasse aussi bien au niveau des familles que des grandes surfaces ou des pôles touristiques. D’après les chiffres officiels datant de 2020, près de 572 millions de dinars de produits alimentaires sont gaspillés chaque année par les ménages tunisiens. Ce chiffre est d’autant plus alarmant que le nombre de personnes sous-alimentées s’élève à 500 000.
Gaspillage partout
Le directeur général de l’Institut national de la consommation, cité par l’agence TAP, avait précisé que près de 680.000 quintaux de pain, soit plus de 10% du pain fabriqué dans les boulangeries, d’une valeur de 100 millions de dinars, sont annuellement jetés dans les poubelles. Le gaspillage touche également 12% des aliments préparés dans les hôtels et 16% des repas dans les restaurants. Quant aux grandes surfaces, elles se débarrassent de l’équivalent de 2,8 millions de dinars d’aliments…
Pour la famille tunisienne, dont la situation devient de plus en plus critique, surtout ces dernières années en raison du pouvoir d’achat en berne, les dépenses représentent 16% pour le pain, 10% pour les dérivés de céréales (pâtes et couscous) et 6% pour les légumes. Lorsque qu’on sait que 80% du total des dépenses de subvention des produits alimentaires sont consacrés aux produits à base de céréales et dérivés, on a tout simplement la possibilité de mieux comprendre l’importance de ce problème. Avec la pandémie, ces chiffres ont sans aucun doute bougé et il nous semble plus raisonnable d’attendre la fin de cette catastrophe pour avoir des données fiables et pour mettre en place des actions rigoureuses et efficaces.
Pas seulement les ménages…
Selon la FAO, le gaspillage alimentaire en Tunisie, surtout des produits céréaliers, est une question horizontale qui mobilise plusieurs intervenants et plusieurs structures. En effet, ce gaspillage n’est pas lié aux ménages seulement, mais touche également les établissements publics (restaurants universitaires, hôpitaux, casernes,), et aux structures privées (grandes surfaces, restaurants privés, hôtels, cliniques etc…) En effet le gaspillage alimentaire revêt certes une réalité économique mais se reflète sur l’aspect environnemental. On estime que 78% des déchets domestiques sont organiques et seuls 5% d’entre eux sont en mesure d’être recyclés.
Une charte
Dix-huit organisations, associations de la société civile et structures professionnelles ont signé, en 2019, deux chartes de la lutte contre le gaspillage alimentaire « afin d’assurer un suivi continu de la valeur réelle du gaspillage alimentaire en Tunisie à travers la réalisation d’études et de recherches dans ce domaine ».
La charte a beau concerner la réduction des pertes et gaspillage dans la chaîne de valeur lait et produits dérivés, avec ce que nous voyons régulièrement et de manière cyclique, les producteurs de lait n’ont rien compris et continuent de déverser leur lait sur la chaussée. Les centrales productrices de lait et dérivés continuent à se débarrasser de leurs invendus ou de leurs produits dont la date limite est dépassée dans les décharges. De toutes les façons, les prix de ces produits deviennent de plus en plus dissuasifs pour le commun des mortels. Les centres de collectes donnent l’impression qu’ils ne sont aucunement intéressés par les problèmes qui se posent aux producteurs et c’est la raison pour laquelle les mouvements de protestations se répètent à chaque période de haute lactation. Plusieurs centrales de lait relevant du Groupement interprofessionnel des viandes rouges et du lait ont pourtant signé cette charte.
L’un des objectifs principaux de cette charte est d’adopter une approche participative pour réduire à 50% les pertes de lait, au cours des cinq prochaines années. Quelles ont été les actions conduites et quelles en ont été les conclusions ?
Engagement et après ?
La FAO confirme l’importance de l’engagement de la Tunisie à lutter contre la faim en freinant le gaspillage alimentaire. « Dans le cadre du projet de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) visant à réduire le gaspillage et les déchets alimentaires, et à l’issue des travaux de l’atelier pour l’élaboration d’une Charte Nationale pour la lutte contre le gaspillage alimentaire, organisée à Hammamet les 18 et 19 septembre 2018, la FAO a félicité l’engagement de la Tunisie à lutter contre la faim et freiner le gaspillage alimentaire. Mais qu’est-ce qui a été fait finalement? Y a-t-il problème ? Pourquoi n’y a-t-il aucune campagne, tentative, action pour mobiliser les citoyens ? Il y a certainement des choses qui ont été faites, mais la réalité du terrain, avec cette dilution du sens des responsabilités et avec cette agitation qui règne partout et dans tous les domaines confirme qu’il n’y a aucun progrès.
Bien des choses à faire
Ce n’est donc pas une question de charte mais de volonté et d’idées rationnelles et pratiques. Lorsque Coluche avait mis en place ses « restaurants du cœur » (bien après les repas de rupture de jeune au mois de ramadan chez nous), il était parti d’une idée. C’est maintenant toute une organisation qui est en place. Elle reçoit de l’aide de partout et c’est une affaire qui marche et dont les répercussions sont énormes sur le plan social parce que tout simplement le gaspillage n’est en rien une tare, mais bien une mauvaise éducation. Pourquoi, à l’occasion du mois de ramadan, ces grandes surfaces et ces producteurs de différents produits se montrent-ils disposés à aider et à donner leurs surplus et pourquoi cessent-ils de le faire après ? Pourquoi ne donne-t-on pas les surplus aux associations caritatives (et non politiques) au lieu de jeter dans la nature ce qui pourrait faire la joie de bien des démunis ? On le sait, c’est pour ne pas « déséquilibrer l’offre et la demande », ou pour recycler et ne pas tout perdre. Aux dépens de la santé du consommateur et en l’absence de tout contrôle rigoureux et de sanctions dissuasives.
Mais c’est là une toute une autre histoire !
Sixtus
28 juin 2021 à 19:59
N’enseigne-t-on pas aux élèves dans leurs dernières années d’école l’économie ménagère? En Europe, cela avait été mis au programme scolaire.
Mejda Arfa
18 avril 2022 à 10:55
Dans notre société ,on méprise celui qui économise en mangeant le pain d’hier ou les restes des repas. C’est une question de mentalité:on doit manger du pain frais tous les jours et préparer des plats quotidiennement , meme si le réfrigérateur est plein .