De l’isolement de la Tunisie face à la gestion de la crise pandémique : Communication défaillante, diplomatie inerte…mille et un écueils

Dans une récente interview radiophonique, la porteparole du ministère de la Santé publique, Nissaf Ben Alaya, a annoncé «l’effondrement du système de santé. Ce constat amer et alarmant fait suite à un lourd bilan : près de 16 mille morts, un taux d’occupation des lits d’oxygène et de réanimation qui a atteint sa capacité maximale dans toutes les régions ou presque, une crise écosociale très aiguë et des cris de détresse psychique allant du nord au sud du pays.
Pourtant, au lieu de faire leur mea-culpa, responsables et acteurs politiques continuent de se lancer la balle, dans un registre attestant un grand nivellement pas le bas de l’exercice politique. En témoigne le débat qui a opposé, jeudi soir, le dirigeant et député du parti islamiste Noureddine Bhiri (ancien ministre de la Justice) et l’ancien ministre de l’Education, Mohamed Hamdi. Puisant dans l’émotionnel, le dogmatisme et le populisme, les deux invités ont parlé pour ne rien dire, défendant l’indéfendable. Or, la fausse marche, le trébuchement et l’improvisation marquant les modes opératoires des gouvernements successifs, depuis la reconnaissance par l’Organisation mondiale de la santé, le 11 mars 2020, du déclenchement d’une pandémie sont connus de tous aujourd’hui.
C’est là l’occasion de revenir sur cette conjonction de facteurs qui a fait que nous soyons là où nous sommes.

Inadéquation entre les événements, les actions et les paroles

Alors qu’ailleurs (en Occident), aussitôt la pandémie décrétée, les États ont réalisé l’importance du facteur temps et d’une communication efficiente dans la gestion de la crise, les acteurs tunisiens n’ont fait qu’improviser, s’adonnant à un laxisme assassin.
En Allemagne, à titre d’exemple, la chancelière Angela Merkel a misé sur le développement d’une pédagogie citoyenne, lorsqu’elle a décidé de dire la vérité à ses concitoyens. Elle a alors «donné pour la première fois des chiffres élevés de diffusion de la maladie, là où ses homologues européens se contentaient d’allusions vagues, laissant faire les médecins».
Les chaînes de télévision nationales ont, quant à elles, joué un rôle de premier plan dans la diffusion de ladite pédagogie citoyenne, en insistant sur la longévité de l’effort commun à fournir pour une sortie de crise. Pour ce faire, elles relayaient à longueur de journée les actions des acteurs sur le terrain, les réactions du public à chaud et des institutions économiquement affectées.
En Allemagne comme en Suisse, on a fait preuve d’une flexibilité et d’une grande capacité de coordination, mettant ainsi plutôt en collaboration qu’en concurrence les différentes parties impliquées dans la gestion de la pandémie.
En France comme en Italie, en Grande-Bretagne comme aux États-Unis, on a privilégié une communication recourant à une analogie avec la situation de «guerre». Laquelle analogie a permis de choquer, donc, d’attirer l’attention sur la nécessité d’une grande solidarité et d’une réaction commune. Et voilà qu’ils sont parvenus à surmonter la crise, grâce à un fort soutien populaire ayant pour socle la confiance entre gouvernants et gouvernés et le partage de valeurs communes.
En Tunisie, la gestion fragmentée de la crise due à une décentralisation contreproductive et l’effritement du pouvoir n’ont fait qu’enfoncer le clou.
Pis encore, frôlant le comble de la stupidité, on a constamment cherché comment mener Totoche à Medrano, bloquer un adversaire, se mettre en avant, quitte à perdre du temps et faucher des vies.

Diplomatie inerte

Si la vie semble avoir repris son cours normal dans plusieurs pays européens (en attestent les images provenant des stades accueillant l’Euro 2021), c’est parce que leurs dirigeants ont très tôt compris qu’il n’est point de salut sans diplomatie publique efficace.
De ce point de vue, ils ont procédé à la mise en place d’un consensus en faveur d’une coordination transnationale efficiente, et parallèlement à «la solidarité de soins qui prit place entre les pays voisins capables de partager les ressources en soins».
Les gouvernements européens ont, en effet, agi de concert, privilégiant coordination et consultations continuelles, en guise d’un mode d’action visible et admis par tous.
Efficaces et armés d’une intelligence stratégique, les gouvernants des pays riches, concentrant 14% de la population mondiale, ont acheté jusqu’en décembre dernier 53% des vaccins disponibles sur le marché mondial, selon la People’s Vaccine Alliance. À cette date, les pays pauvres, dont le nôtre, n’avaient encore conclu aucun accord avec les groupes pharmaceutiques. Pourtant, nos gouvernants qui auraient bu l’eau des nouilles ont tardé à recourir à une diplomatie active pour ouvrir les canaux avec les pays (Russie, Chine) et les laboratoires qui étaient prêts à collaborer avec les pays pauvres. D’ailleurs, selon la BBC, Oxford-AstraZeneca s’est alors engagé à « fournir 64 % de ses doses aux populations des pays en développement ».
Peu disposés à faire l’effort nécessaire pour comprendre le monde autour d’eux du fait de leur ensablement dans les luttes intestines, nos gouvernants semblent toujours ignorer les tensions ou les conflits inter et intraétatiques à engendrer par la pandémie et la « guerre des vaccins ».
Tantôt dans le déni, tantôt dans la victimisation et le misérabilisme, ils continuent leur saugrenu spectacle.
L’on se demande, au demeurant, ce qu’ils ont appris des réactions et des modes d’action et de communication adoptés par les gouvernements qui sont sur le point d’enrayer la crise.
Quand apprendront-ils à évaluer les facteurs de réussite ou d’échec d’une stratégie d’action ou d’une autre ?

Photo Abdelfatteh BELAID

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