Le théâtre de l’Opéra de Tunis a concocté pour le mois d’août une programmation estivale 100% digitale avec, au menu, des spectacles de danse chaque jeudi et des concerts de musique les vendredis. Tous les spectacles sont diffusés à partir de 21h00 sur sa page Facebook.
Côté danse, les spectateurs ont pu (re) découvrir, le 12 août dernier, la création chorégraphique «El Habs lé» de Chouaïb Brick. Un travail qui met la lumière sur la jeunesse tunisienne, ses infortunes et ses espérances.
«El Habs lé» (Non à la prison) s’inscrit dans la mouvance hip-hop et réunit sur scène les danseurs Yasser Madi, Aymen Benabed, Hilmi Bouzidi et Oussama Chouchène. Mais au-delà de la simple performance hip-hop et de l’aspect spectaculaire lié à ce genre de danse et à cette culture, le chorégraphe a voulu hisser la forme vers une dimension plus théâtrale, narrative…
La pièce chorégraphique, donc, est présentée brièvement dans un texte, comme l’histoire d’une jeunesse qui subit les dépassements d’un système qui refuse d’ouvrir les yeux sur une réalité pourtant omniprésente dans toutes les sphères de la société. On comprendra que cette réalité est surtout liée à la consommation du cannabis et sa lourde peine et qui demeure malheureusement sous nos cieux une matière à oppression, pression et abus menés surtout à l’encontre des jeunes les moins favorisés socialement. Une loi liberticide qui, de plus, comme pas mal d’autres, est appliquée abusivement à demi-mesure selon les cas et les circonstances. Cette jeunesse qui, comme le suggèrent les différents tableaux chorégraphiques, ne semble aller nulle part, est au ralenti, prise dans le piège, s’agite sur place, tourne en rond, se confronte, s’affronte, se perd, s’immobilise, elle est surveillée, punie (en référence à l’œuvre de Michel Foucault) et malmenée par un ordre institutionnel abusif et une justice liberticide.
Passionnée de hip-hop, Break danseur «B-Boy», Chouaïb Brick a une formation en sécurité de système informatique et a fait de sa passion une vocation. Il a pris part à plusieurs battles de Break danse en Europe et ailleurs au sein de son groupe «Upper Underground». Se fixant comme objectif et ambition de promouvoir cette culture et cet art urbain chez nous, il a créé en 2011 l’association Art Solution qui produit des événements et organise des ateliers partout en Tunisie.
Entre autres spectacles programmés, figure «Les trois mystiques» de Karim Touwayma diffusé le 19 août.
Signée par Karim Touwayma et interprétée par les danseurs du Nouveau ballet de la danse tunisienne du Pôle Ballet et arts chorégraphiques, l’œuvre conte trois histoires (trois tableaux), celle des fils d’un «Boussaadia» qui cherche en vain sa fille Saadia enlevée, l’histoire d’un «Akacha», un mystique dont la bravoure et la force surhumaine font briser les chaînes de l’oppression dans un mouvement de corps déliés qui se mélange aux effluves d’encens et d’authenticité.
Et celle du Cheikh « Marnikh» et son penchant pour les grandes tablées. Le cheikh, dont la générosité rallume les lumières du cœur et qui aime s’attabler autour de banquets faits de bons plats qui émoustillent ses papilles et celles des petites gens, pauvres et sans abris, qu’il reçoit quotidiennement. Un travail sur le patrimoine immatériel, la mémoire collective avec une approche scénique et scénographique contemporaine (musique électronique, mapping, projection de lumière).
« Les trois mystiques » a souffert d’une mauvaise qualité de l’image, mais aussi des prises de vue qui ne mettaient aucunement en valeur ni le travail des danseurs, leurs mouvements sur scène ni la scénographie. Abritée vraisemblablement par le somptueux Palais du Baron d’Erlanger à Sidi Bou Saïd (Ennajma Ezzahra), la pièce chorégraphique n’a pas été filmée avec le recul nécessaire, pas très permis il faut le dire vu le choix du lieu (la pièce centrale de la bâtisse). À la place, on a eu droit à un enchaînement décousu filmé sous une multitude d’angles qui ne permettait pas de suivre l’évolution de la chorégraphie. En attendant de renouer de nouveau avec la scène et l’aspect vivant des spectacles, il est important de savoir profiter des avantages du digital pour le mettre au service des créations. Car le format digital quand il est bien maîtrisé, bien réfléchi en termes de forme, de durée, cela peut intéresser le public en temps pandémiques et en dehors aussi pour se positionner comme un outil de production et de diffusion complémentaire qui peut servir et la forme et le fond de l’œuvre.