Un appel à remettre, dans une place de choix, l’enfant et par la même occasion l’élève dans la société tunisienne et sa famille dans le cadre d‘une éducation à la citoyenneté accomplie et aboutie.
Un café cultur
el, qui a vu plusieurs exposés présentés par des associations liées à l’enfance, s’est tenu vendredi dernier à la Cité des sciences à Tunis sur le thème de la violence en milieu scolaire. Cette thématique est aujourd’hui d’actualité, au vu des derniers événements qui ont agité la société tunisienne. Les vidéos abondent dans ce sens et montrent l’étendue du désastre. Pas plus tard que jeudi dernier, une rixe a éclaté entre un élève et son professeur dans un établissement scolaire de Kébili.
Dans la droite lignée de ces événements fâcheux, Najeh Missaoui, président de l’Association tunisienne pour l’éducation aux médias (Atem) et Dr Moëz Cherif, président de l’Association tunisienne de défense des droits de l’enfant (Atdde), et d’autres intervenants se sont relayés, au cours de cet événement, pour débattre de ce qu’il faut entreprendre afin d’améliorer le climat social au sein des institutions scolaires et éducatives en Tunisie. Dr Moëz Chérif, chirurgien pédiatre, ne mâche pas ses mots : «La solution est dans la responsabilité collective. Elle est dans le rétablissement du dialogue générationnel. Cela doit être organisé dans toutes les institutions qui ont un lien avec les enfants. Il faut écouter les enfants et vivre au diapason de leur évolution. Car qu’on le veuille ou pas, dans toutes les sociétés et dans toutes les civilisations, ceux qui font avancer les choses ce sont bien les enfants. On ne vit pas au même rythme que nos parents et nos enfants. Il faudrait rétablir tous les créneaux de communication avec les enfants et leur rendre la place qui leur appartient dans la société. Parce que depuis une dizaine d’années, nous sommes dans une situation de rupture avec le monde de l’enfance qu’on ne considère pas du tout comme une priorité.
La succession des crises politique, sociale, économique et maintenant sanitaire fait que la problématique enfant a été renvoyée aux calendes grecques, alors que c’est une préoccupation permanente.
Parce que c’est elle qui va assurer le renouvellement des sociétés et prendre la relève et c’est encore elle qui va assumer les conséquences de toutes les fautes que nous sommes en train de commettre aujourd’hui. Comme le dit Antoine de St-Exupéry dans son roman Le petit prince, nous empruntons la terre à nos enfants. Quelle est notre part de responsabilité de ce que nous avons emprunté à nos enfants, qu’allons-nous leur laisser ? Malheureusement, en l’état actuel des choses, nous n’allons pas leur laisser quelque chose de bien et même quand on va dans ce processus démocratique, les instances qui sont importantes pour les enfants, comme les instances des droits de l’Homme ou des droits des générations futures et de respect de l’environnement, n’ont pas été mises en place par nos responsables institutionnels et politiques qui n’ont pas jugé cela comme fondamental. On est dans la gestion de l’instant présent et on n’a aucune vision sur l’avenir et je pense qu’il va nous réserver des surprises.
Au sujet de la citoyenneté de l’enfant qu’il propose comme solution pour réduire le phénomène de la violence indirectement dans nos institutions scolaires, Dr Cherif développe : «L’élément institutionnel est de considérer l’enfant comme un citoyen en devenir et de le faire bénéficier de tous les mécanismes de la citoyenneté. Que cela ne reste pas une approche théorique, mais une approche pratique qui va, à travers son implication, lui permettre de donner son avis, de le responsabiliser et de créer en lui le sentiment d‘appartenance à son école, son quartier, à sa ville et son pays».
Santé mentale mise à mal
L’environnement éducatif suscite plein d’interrogations : qui gère, qui contrôle, qui est responsable ? Le président de l’Atdde pointe du doigt les inégalités scolaires au point que l’on ne sait si l’égalité est un principe ou un slogan. La petite enfance, la scolarité et la situation familiale et sociale créent des inégalités entre les enfants dont on mesure mal les conséquences sur la société à moyen et à long terme. Les facteurs favorisants sont l’éducation violente, la pauvreté, le non-respect des droits de base de l’enfant…
Dr Chérif signale dans sa présentation que 60% de la violence est familiale. Cette situation est aggravée par la rupture des facteurs de participation dans le cercle familial, institutionnel, éducatif ou citoyen et médiatique. Il évoque des risques et dangers sur la santé mentale à cause de l’absence de stratégie nationale, de cellules d’écoute dans les établissements scolaires, d’un cadre pédagogique non formé et met en garde contre les comportements addictifs dont l’exposition prolongée aux écrans sans contrôle.
L’isolement, la marginalisation, l’humiliation, l’absence de dialogue, de respect et d’écoute et le sentiment d’injustice forment un cortège de troubles liés au milieu scolaire. L’éducation violente, la violence médiatique, la cyberviolence et l’absence de sanctions renforcent cette dure réalité qui met à mal la santé mentale des enfants scolarisés. Les conséquences qui en découlent sont des comportements à risques, violents, une difficulté d’intégration, l’abandon scolaire, les risques de la rue…
La discipline scolaire n’est pas adaptée à la situation des élèves et des écoliers, puisque le conseil de discipline est absent dans de nombreuses structures éducatives. L’adoption d’une attitude punitive n’est pas bonne conseillère sur le long terme et il n’y a pas de mécanismes de résolution de crises.
Données sur la violence, les abus et excès
On apprend que ¼ des élèves avouent être victimes de violence (39,4% des garçons contre 13,1% des filles) alors que 27,5% des garçons sont responsables des violences.
La première cigarette commence à un âge précoce, puisque 30% ont fumé leur première cigarette, alors qu’ils n’avaient pas dix ans, tandis que 30% avaient entre 12 et 13 ans. Ceux qui fument entre 13 et 15 ans représentent 17% des garçons. 64,9% ont une dépendance au tabac. S’agissant de la consommation de l’alcool, pourtant interdite aux mineurs, et du cannabis (drogue) qui reste prohibée en Tunisie, les chiffres sont alarmants, puisque 3,5% des garçons ont fumé leur premier joint. Les autres drogues consommées par les enfants entre 15 et 17 ans ne sont pas en reste. 2,1% d’entre eux consomment des psychotropes, 0,52% de la cocaïne, 0,2% de l’ecstasy, 15,7% recourent à des inhalations d’essence et 13% de l’inhalation de colle.
Pour sa part, Dr Najeh Missaoui, président de l’Atem, a une autre vision : «Nous sommes spécialisés dans l’univers du média pour apprendre à l’enfant comment recevoir un bon message médiatique en développant un esprit critique et d’analyse, afin de distinguer entre les contenus nuisibles, descriptifs et consultables».
L’intervention de ce dernier a porté sur le rôle de l’approche positive dans l’éducation face à la violence dans les écoles. Comment les médias et les nouvelles technologies affectent-ils ce climat éducatif et comment créent-ils un comportement addictif et violent chez les enfants ? «Comment minimiser cette addiction ? Autant de questions qui ont été soulevées par l’intervenant.
Les programmes télévisés, les jeux violents du type freefire ou l’accès au cinéma en ligne empêchent le développement de l’esprit critique et la construction de l’analyse chez l’enfant et l’adolescent», a observé le président de l’Atem, qui a mis l’accent sur le fait que la bonne production d’un contenu journalistique conforme aux normes déontologiques permet de consolider les valeurs de citoyenneté et de non violence. Il rappelle le succès de certaines opérations, notamment l’an dernier, avec l’action «Ramadan dans mon école» qui est une compétition qui a regroupé toutes les directions régionales de l’éducation.
«C’est ainsi qu’on doit faire pour que les enfants tunisiens rêveront un jour de rester et non de partir à l’étranger», conclut Dr Cherif.