Wissem Heni, directeur de l’Institut de gouvernance des ressources naturelles en Tunisie (NRGI), à La Presse : « L’Etat n’aurait pas dû céder son rôle souverain à la CPG »

L’Institut de gouvernance des ressources naturelle a organisé mardi une conférence intitulée « Le phosphate, locomotive du développement économique et social à Gafsa ». Une conférence qui a été une formidable occasion pour la société civile locale de raconter son expérience et son engagement en vue d’un changement de paradigme dans le traitement de la question du phosphate dans la région, et plus spécifiquement dans les régions du bassin minier.
Nous avons profité de cette occasion pour poser quatre questions à WissemHeni, directeur de l’Institut de gouvernance des ressources naturelles en Tunisie (Nrgi), dans lesquelles notre interlocuteur revient sur les principales problématiques et les solutions collaboratives envisagées pour sortir du statu quo qui plombe le développement.

Quel est l’objectif de cette rencontre ?

On a organisé cette conférence pour présenter les résultats de notre projet qui concerne le renforcement du rôle de la société civile dans le bassin minier de la région de Gafsa, le renforcement de son rôle en tant qu’acteur de la médiation et une force de proposition. Force de médiation entre les manifestants dans le bassin minier qui bloquent la production et la transformation des phosphates et le pouvoir.

Ces manifestants ont toujours des demandes en termes d’emploi, ils veulent être employés par la Compagnie des phosphates de Gafsa et ses filiales. Nous avons donc misé sur la société civile, qui est un acteur crédible, un acteur de proximité, pour entreprendre cette médiation entres les porteurs de revendications et les autres acteurs comme l’État, les pouvoirs régionaux, la compagnie des phosphates . L’objectif à moyen et long terme est de trouver des solutions pérennes pour le bassin minier en termes de développement économique et social.

Dans ce cas, comment expliquez-vous l’absence aujourd’hui d’un représentant officiel de la Compagnie des phosphates de Gafsa ?

On a organisé auparavant plusieurs événements où il y avait eu des représentants de la CPG. Mais aujourd’hui, peut-être qu’ils ont des engagements. Je peux vous assurer que nous avons  le soutien de la direction générale de la CPG.

Nous avons créé un groupe sur Facebook intitulé « Vision Gafsa 2050 » qui est soutenu par la CPG, et nous allons continuer à travailler avec eux dans le futur. L’objectif de l’événement d’aujourd’hui était d’introduire les résultats de ce projet à travers les médias. Il y aura des messages qui, je l’espère, seront entendus par la CPG et les pouvoirs publics, car nous avons besoin d’une approche constructive pour pouvoir avancer.

Je pense qu’il faut changer de paradigme, encadrer les mouvements sociaux et les intégrer dans une dynamique d’une feuille de route pour le développement de la région. Un développement qui prendra en considération les aspects environnementaux et socioéconomiques.

Comment ?

L’idée c’est de travailler sur le changement des mentalités. C’est un travail de longue haleine qui demande beaucoup d’efforts et une stratégie qui doit se faire sur plusieurs années.

Nous avons essayé avec nos partenaires de la société civile dans les régions de Gafsa de prendre contact avec les manifestants et d’essayer de transformer les mentalités.  Être embauché par la CPG n’est pas une solution de développement viable. Embaucher tout le monde causera la faillite de l’entreprise et ce n’est franchement dans l’intérêt de personne.

Il est important d’envisager le développement d’une économie diversifiée à Gafsa pour, en même temps, sauver la CPG et préserver la paix sociale. Cela implique également que l’Etat soit associé à travers le développement de l’infrastructure et notamment le développement du système éducatif. Pour l’instant, le taux de décrochage scolaire est énorme, ce qui plombe l’intégration des jeunes dans le marché du travail à Gafsa. Donc, c’est un travail intégré. Quant à l’infrastructure, elle est parmi les plus pauvres du pays.

Ces dernières années, quelles sont les erreurs commises par l’État tunisien à Gafsa selon vous ?

C’est son absence ! C’est d’avoir cédé le rôle souverain de l’Etat à la CPG. La CPG devrait avoir un rôle, commercial, économique et non pas un rôle social donc, et même souverain parfois. Le péché est d’avoir laissé la CPG intervenir dans tous les domaines qui relèvent de l’Etat, comme la sécurité, l’éducation, le sport, la culture, etc.

Sa mission à Gafsa est de faire des bénéfices et alimenter le budget national, et aussi son rôle de responsabilité sociale, notamment dans la diversification économique et le soutien à la création d’emplois dans le cadre de petits projets. Mais la CPG ne peut se substituer à l’Etat.

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