Accueil Economie Chokri Faouzi, agroéconomiste, expert en énergie renouvelable à La Presse: «En Tunisie, la transition énergétique pourrait créer jusqu’à 20.000 emplois, d’ici à 2030»

Chokri Faouzi, agroéconomiste, expert en énergie renouvelable à La Presse: «En Tunisie, la transition énergétique pourrait créer jusqu’à 20.000 emplois, d’ici à 2030»

En Tunisie, le déficit énergétique a été multiplié près de 10 fois en huit ans et par conséquent près de la moitié de nos besoins en énergie primaire doivent être sécurisés par l’importation. Notre sécurité d’approvisionnement est de plus en plus fragile sans oublier la subvention de l’Etat et les dépenses en devises étrangères. Chokri Faouzi, expert en énergie renouvelable met le doigt sur cette problématique. Interview.

Quelles sont les difficultés et les risques d’investissement dans le secteur des énergies renouvelables ?

Bien que les coûts d’accès à la technologie dans le domaine des énergies renouvelables aient baissé, il est désormais évident que ceux qui freinent clairement l’investissement dans ce domaine en Tunisie sont les coûts de financement. Ces coûts élevés sont le reflet d’un ensemble de freins d’ordre technique, réglementaire, financier et institutionnel, qui s’accompagnent de risques d’investissement. Ces défis sont bien réels, mais pas insurmontables.

Quels sont les dangers cachés des énergies renouvelables ?

On parle sans cesse d’énergies renouvelables et de transition énergétique pour résoudre les problèmes environnementaux. Le problème, c’est que cette vision des énergies renouvelables oublie de poser certaines questions et cache certains problèmes. D’abord, les énergies renouvelables ne remplacent pas le pétrole. La plupart des énergies renouvelables, que ce soit le solaire ou l’éolien, produisent une seule énergie : l’électricité. Or l’électricité n’est pas la seule énergie que notre pays utilise. Si les énergies renouvelables permettent de rendre notre production électrique plus durable, cela ne résout pas le problème. Il faut encore résoudre la question du pétrole, qui représente la majorité de nos consommations énergétiques.

Ensuite, les énergies renouvelables ne sont pas 100% propres. On a souvent tendance à associer énergie renouvelable avec énergie propre, or ce n’est pas tout à fait le cas. En effet, si les éoliennes ou les panneaux solaires permettent de produire de l’électricité sans émettre de CO2, la production de ces éoliennes et de ces panneaux solaires, elle, émet du CO2. Il faut, donc, extraire les matières premières, fabriquer les éoliennes ou les panneaux solaires, transporter les matériaux et les pièces, les assembler. Durant ce processus, on consomme du pétrole et de l’énergie, et donc on produit du CO2.

Enfin, il y a le problème de l’intermittence des énergies renouvelables. Car ces dernières sont des énergies irrégulières, ou plutôt «intermittentes». Concrètement, pour qu’un panneau photovoltaïque fonctionne, il faut qu’il y ait du soleil. S’il n’y en a pas, le panneau ne produit pas d’électricité. Idem pour l’éolien.

Est-ce que la crise sanitaire a eu des répercussions sur le secteur des énergies renouvelables ?

Les conséquences de la crise de la Covid-19 sur le secteur des énergies renouvelables sont encore en évolution et sont difficiles à prévoir. En général, les effets de la pandémie sur les systèmes énergétiques et les transitions vers les énergies propres continuent d’évoluer, et il est nécessaire de procéder à des considérations politiques prudentes pour s’assurer que ces mesures politiques prises maintenant ne créeront pas d’effets néfastes négatifs, particulièrement sur les transitions vers les énergies durables à long terme.

Les énergies renouvelables peuvent-elles être au service de l’économie tunisienne ?

Le secteur des énergies renouvelables est, sans conteste, un pilier de la croissance économique à faible émission de CO2. En Tunisie, les énergies renouvelables ne sont plus un choix en soi, leur impact sur l’économie du pays peut être significatif en permettant de baisser la facture énergétique, de développer de nouvelles activités et de créer de l’emploi qui peut être direct et indirect. La valeur économique créée ne peut être que positive.

Les énergies renouvelables sont-elles véritablement une résolution écologique ?

Bien sûr, les énergies renouvelables restent globalement bien plus écologiques que le gaz naturel, le pétrole ou le charbon. Selon plusieurs études, les panneaux solaires émettent dix fois moins de CO2 par kwh d’électricité produite que le gaz naturel, et 20 fois moins que le charbon ou les produits pétroliers. Pour l’éolien, les chiffres sont encore meilleurs, puisqu’il émet quatre fois moins que le photovoltaïque. Mais il ne faut pas croire que ces énergies sont 100% propres pour autant.

Est-ce que le financement dans les énergies renouvelables permet de créer de l’emploi ?

Sûrement ! Le secteur des énergies renouvelables crée des emplois. 11 millions de personnes dans le monde travaillent dans les énergies renouvelables, 700.000 emplois ont été créés en 2018. La Chine représente 39% des emplois, l’éolien 44 %. Le solaire concerne 3,6 millions de postes et les biocarburants ont créé plus de deux millions d’emplois en 2018. En Tunisie, selon le Plan solaire tunisien actuel, la transition énergétique pourrait créer jusqu’à 20.000 emplois d’ici à 2030.

Ce secteur attire-t-il assez d’investissements ?

L’Etat Tunisien a mis en place une stratégie nationale d’intégration des énergies renouvelables dans le mix énergétique du pays en vue de réduire le déficit énergétique. Parallèlement, l’Etat a apporté d’importantes modifications sur le cadre juridique pour l’amélioration du climat de l’investissement. Concrètement et pour attirer les investisseurs privés, le rendement des projets d’énergies renouvelables doit compenser les risques encourus. Une politique incitative, la promotion des emprunts garantis à un coût abordable, des offres bancaires diversifiées peuvent aider au développement du secteur. Le pouvoir public pourrait renforcer son rôle de médiation entre les investisseurs et les porteurs de projets. Quand le contexte est favorable, le secteur privé est capable de générer des business model innovants, capables de répondre aux défis des énergies renouvelables.

Quel est le rapport entre le besoin d’énergie et la croissance économique ?

La relation entre la consommation d’énergie et la croissance économique a été très peu étudiée dans les pays en développement, y compris la Tunisie. On peut dire que l’accroissement de la consommation d’énergie est dû notamment, au développement économique et social du pays. En fait, la tendance de la consommation d’énergie va augmenter sur le moyen et le long terme, et compte tenu du fait que le pétrole représente environ 56% de la consommation totale d’énergie, une politique d’utilisation rationnelle de l’énergie axée sur des actions de sensibilisation des consommateurs et la promotion des énergies renouvelables s’impose avec acuité.

La dépendance de la croissance du PIB à l’égard de l’utilisation d’énergie est-elle primordiale ?

La dépendance de la croissance du PIB à l’égard de la consommation d’énergie est fondamentale et même évidente. Des études menées sur près d’une trentaine de pays et sur plus de quarante ans montrent qu’en réalité, l’élasticité du PIB par rapport à l’énergie primaire (c’est-à-dire la sensibilité du PIB à la variation de consommation d’énergie) est comprise entre 40% pour les zones les moins dépendantes du pétrole et 70%, avec une moyenne mondiale tournant autour de 60%.

Comment finance-t-on l’évolution énergétique ?

En Tunisie et depuis 2014, le financement de la transition énergétique est assuré par le Fonds de transition énergétique (FTE) qui intervient par l’octroi de crédits et le soutien des projets de maîtrise de l’énergie sous forme de dotations remboursables ou la participation en capital qui sont détaillés au niveau du décret n°2017-983.

Les atouts de l’énergie renouvelable pour notre système économique sont importants. En revanche, comment pourrons-nous satisfaire la demande croissante ?

Un développement énergétiquement durable ne consisterait pas à atteindre le parfait équilibre entre la satisfaction légitime des besoins immédiats d’amélioration des conditions de vie de la population la protection des équilibres écologiques et la préservation des ressources naturelles, mais il s’agit plutôt de s’attacher à chercher le meilleur compromis possible.

Il existe deux principes majeurs soutenant le développement énergétiquement durable. Il faut, tout d’abord, une utilisation judicieuse des ressources, des technologies et la mise en place de politiques ou stratégies de développement et d’incitations économiques appropriées. Ensuite, il est impératif d’avoir une surveillance régulière des impacts de ces politiques ou stratégies pour s’assurer qu’elles suivent un profil de développement durable et pour être capable de les ajuster à temps, si nécessaire.

Quel amalgame énergétique faut-il déterminer pour poursuivre le trajet du développement durable ?

Il faut rappeler toujours qu’en Tunisie, le déficit énergétique a été multiplié près de 10 fois en huit ans et, par conséquent, près de la moitié de nos besoins en énergie primaire doivent être sécurisés par l’importation, ce qui rend notre sécurité d’approvisionnement de plus en plus fragile sans oublier les autres impacts secondaires, en ce qui concerne la subvention de l’Etat et les dépenses en devises étrangères. En outre, le mix énergétique actuel de la Tunisie est très peu diversifié avec une forte dépendance au gaz naturel qui représente actuellement environ 97%. Donc, pour suivre le chemin du développement durable en Tunisie, il faut impérativement développer massivement les énergies renouvelables et l’accélération des projets d’efficacité énergétique.

Quel est l’avenir des énergies renouvelables ?

Ce qu’il faut retenir du potentiel des énergies renouvelables dans le monde, c’est le coût de production de ces énergies qui ne cesse de baisser. Elles deviennent progressivement une solution moins coûteuse. D’ici 2025, la part que devraient représenter les énergies renouvelables dans l’augmentation de la capacité énergétique mondiale totale est de 95%. Aussi, il est bon de préciser que la capacité de production d’électricité de l’éolien et du photovoltaïque devrait doubler d’ici 2025. Alors qu’elle produit 3% de son électricité à partir d’énergies renouvelables, la Tunisie vise les 30%, d’ici 2030. Misant essentiellement sur le solaire et l’éolien, elle compte construire suffisamment de centrales pour produire l’équivalent de 3.500 MW à l’horizon de 2030.

Quels sont les enjeux de la transition énergétique ?

Les impacts ou les enjeux de la transition énergétique sont multiples et concernent de grands aspects de notre société. Il y a, en premier lieu, l’enjeu environnemental. Il faut absolument que l’on parvienne à diminuer les effets destructeurs de nos activités sur le climat. Il y a également l’enjeu sanitaire, principalement les gaz à effet de serre qui sont à l’origine du réchauffement climatique. Il ne faut pas oublier l’enjeu économique et là, il est impératif, pour les collectivités comme pour les industries et autres entreprises, de revoir leurs modes de consommation d’énergie et donc leurs modes de fonctionnement. Enfin, il y a l’enjeu politique, par le fait que la loi de transition énergétique doit permettre à la Tunisie d’accroître son indépendance énergétique.

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